lundi 10 juin 2019

Armes insolites : le grand gourdin à deux mains

Hercule est à l'honneur pour ce nouvel article de ma série discontinue sur les armes insolites puisque nous allons parler de la massue, du grand gourdin, de la bûche, de l'assommoir... de tout ce qui est gros, lourd et brutal (non non non, pas de commentaires, je vous ai vus venir petits coquins).

Il s'agit probablement de l'une des plus anciennes armes de l'humanité car l'une des plus simples. Cependant elle n'est utile à la chasse que contre les petits animaux (et dans une version légère pour être plus rapide), la version lourde et à deux mains qui nous intéresse ici serait surtout utile contre les humains ou pour se défendre contre de grands animaux. Malgré tout une autre arme très ancienne, la lance (on a trouvé trois épieux en sapin sur le site de Schöningen - Allemagne - vieux de 300 000 à 400 000 ans), était plus efficace que le grand gourdin et très utile à la chasse. Le massacre de la grotte de Naturuk, daté d'il y a 10 000 ans a été effectué avec des armes contondantes, c'est la plus ancienne ou l'une des plus anciennes preuves d'utilisation de gourdins.

Malgré cela, dés l'Antiquité avec le héros et demi-dieu Heraklès/Hercule, ses ennemis les Centaures, elle a été associée à l'homme sauvage, non-civilisé. Cette thématique a été largement reprise à la Renaissance, quitte à représenter Hercule luttant contre l'hydre de Lerne avec un gourdin ! Dans une opposition ville/campagne civilisé/rural on la met également dans la main des paysans.

Étudions donc cette arme impressionnante dans toutes ses variantes.

Hercule terrassant l'hydre de Lerne - Cornelis Cort d'après Frans Floris - 1563
Collections du Rijksmuseum d'Amsterdam

Une arme rustique et ses variantes

Représenté dans les mains d'Hercule ou des paysans de la Renaissance, il s'agit d’un gros gourdin, plus ou moins droit, qu’on peut ramasser facilement en forêt, une grosse branche ou un petit tronc en bois suffisamment dur pour pouvoir faire mal. On imagine bien une arme improvisée avec une branche ramassée, grossièrement taillée, du bois de taillis coupé et entassé pour le feu, un élément de maçonnerie, en fait n’importe quoi capable d’assommer et d’assez lourd pour être tenu à deux mains… Le diamètre est plus épais qu’un bâton ou qu’une hampe d’arme d’hast, la longueur est variable et on peut l’estimer entre 1m et 1m50. Pour qu'une telle arme soit suffisamment dure il ne faut pas que le bois soit pourri et n'importe quelle branche ramassée à la hâte ne fera pas l'affaire car elle cassera au premier choc. Il faut donc avoir avoir choisi son gourdin auparavant, sauf à récupérer une grosse branche coupée pour le feu.

Cette arme peut être améliorée par l'ajout de métal, de pointes ou de clous comme on le voit dans la Bible de Maciejowski (1245). On peut également y rattacher le Goedendag des soldats flamands des XIIIème-XIVème siècles. Il s'agit d'un gros gourdin de 1m30-1m40 renforcé d'un cerclage de fer doté d'une pointe sur la partie la plus grosse. Cette arme fit des ravages à la bataille des éperons d'or en 1302 contre les chevaliers français.

Détail de la Bible de Maciejowki représentant un grand gourdin à deux mains renforcé de clous


Reconstitution de Goedendag par le groupe De Liebaart
 
Piéton armés de goedendags par le groupe de reconstituteurs Arbalétriers flamands
Bien plus tardivement Louis de Gaya nous parle de la massue en ces termes :
"On se sert encore de Faux, de Fourches & de Massuës, lors qu'on fait une sortie, lors qu'on veut défendre une brèche & empêcher une escalade.
[...]
Il y a deux sortes de Massuës. La première est comme l'on pourroit dire une Hampe de Pertuisane, au bout de laquelle il y a une boule de bois de la grosseur d'un boulet de huit livres, d'où sortent plusieurs pointes de fer longues d'un grand doigt. La seconde porte une boule semblable à la première, qui pend à la Hampe avec une chaisne de fer , longue de deux pieds & demy. L'on s'en sert comme d'un Fléau à battre les grains."
Louis de Gaya - Traité des armes (1678)

À gauche, des massues dans le Traité des armes de Louis de Gaya (1678)
On pourrait même ajouter à cette liste des armes modernes improvisées comme les battes de base-ball ou de cricket qui en ont la plupart des caractéristiques tout en étant relativement plus légères.

Un style de combat limité

Si ces armes sont impressionnantes elles ne sont pas si dangereuses. Ces armes ne sont pas tranchantes et n'ont que rarement de longues pointes capables d'empaler. Elle ont donc besoin que l'on frappe fort et brutalement avec elles pour briser des os ou assommer. Cet inconvénient est augmenté par le matériau, le bois, qui est moins dense que le métal et qui oblige à une arme plus grosse pour le même poids. De fait (en dehors du Goedendag et de sa pointe), la frappe de taille bien armée est à peu près la seule efficace. Comme en plus il s'agit d'armes lourdes, cela en fait des armes particulièrement lentes et peu maniables, laissant beaucoup de temps à l'adversaire pour placer une contre-attaque lors d'un armement.

Soldats flamands contre chevaliers français  à la bataille de Courtrais sur le coffre d'Oxford
Il reste cependant quelques avantages à cette arme comme une allonge assez bonne liée à la taille de l'arme et surtout la difficulté à la parer. Au vu de l'énergie contenue dans un coup il est illusoire de vouloir simplement y opposer une lame, surtout à une main. Il est donc nécessaire d'effectuer des parades dites "du tac" en frappant le grand gourdin pour le détourner, et de préférence en s'aidant de sa seconde main pour avoir plus de force. Enfin, si cette arme ne blesse pas facilement elle serait probablement plus efficace que d'autres contre des adversaires en armure de par la puissance qu'elle dégage. Contre une armure relativement souple comme les hauberts de mailles des chevaliers français de Courtrais en 1302 elle est probablement à même de briser des os ou du moins de mettre à terre l'adversaire par la seule puissance du coup. Contre une armure de plates on ne brisera pas d'os mais on a toujours des chances de bousculer, jeter à terre ou assommer l'adversaire.


Une page du traité Paulus Hector Mair Opus Amplissimum de Arte Athletica (années 1540)
Les seules techniques de combat qui nous sont parvenues se trouvent (encore une fois) dans le traité de Paulus Hector Mair qui nomme cette arme "Bauren stanngen" ou "fustis agrestis"/Bâton de paysan ou massue rustique. Comme pour la faux et la faucille on ne sait pas si ces techniques sont anciennes ou si elles ont été développées par l'auteur et ses escrimeurs. Il nous en parle ainsi :
Die Baurstang Ist ain gewhör Inn der not · nicht das ainer dardurch das leben verliere · aber zu ainer gögenwhor tröstlich
Fustis agrestis, nodis constans, qua non eripitur alicui lucis usura, sed ad defensionem maxime aptus
Le bâton de paysan est utilisé dans l'urgence. Il n'est pas celui par lequel on perd la vie, mais il est très apte à la défense.
Paulus Hector Mair Opus Amplissimum de Arte Athletica (années 1540)
Transcriptions : Julia Gräfand Ingo Petri et Michael Chidester
Traduction approximative : Capitaine Fracasse                        
 
L'équivalent d'une prise de fer au gourdin chez Paulus Hector Mair
Paulus Hector Mair reconnait lui aussi le fait qu'il ne s'agit pas d'une arme très dangereuse. Il nous présente une escrime qui serait assez proche du maniement d'une épée longue par un "buffle" comme on dit à l'époque. Le bâton se manie les deux mains soit au bout du bâton (ce qui permet d'avoir plus de puissance et d'allonge), soit la main gauche en bas et la droite vers le milieu du bâton (ce qui donne plus de maîtrise de l'arme et permet de frapper à des distances plus courtes). Les coups ne sont évidemment que des coups de taille et ils sont presque toujours descendant, soit en diagonale soit verticalement, probablement pour avoir le maximum de puissance. Ils partent de l'épaule ou du sol et ne visent que quelques cibles spécifiques : la tête, les avants-bras ou les cuisses c'est à dire les parties les plus vulnérables. La plupart des parades sont des parades du tac qui frappent l'arme adverse et l'on utilise au maximum l'inertie de ses coups pour parer ou riposter (riposter nécessite en effet de réarmer après sa parade). 
 
Les quelques subtilités de cette escrime (il y en a) résident dans l'enchaînement des pas, les attaques sur un côté inattendu ou le ciblage sur les avant-bras (ou la cuisse qui peut laisser penser qu'on attaque la tête en diagonale si l'adversaire n'est pas attentif). Malgré tout les possibilités tactiques sont assez faibles et l'on imagine que le manieur de gourdin devra surtout jouer sur le côté impressionnant et l'allonge face à des adversaires mieux armés. L'évocation de la défense par P.H. Mair laisserait à penser qu'il est surtout intéressant de tenir l'adversaire à distance en lui faisant bien croire qu'il prendra le gourdin sur le crâne si il ose avancer et attaquer !

Vous pourrez trouver et lire une traduction française de ces techniques par le Chapitre des Armes (traduction de Thomas Rivière d'après la transcription de Pierre Henry Bas)

Présentation des techniques de Paulus Hector Mair par le MEMAG

Un potentiel réel en spectacle

L'époque moderne regorge d'oppositions ville-campagnes fantasmées ou non. La ville est vue comme un endroit civilisé, c'est là que se mettent en action les idées de la Renaissance, le renouveau de la culture gréco-latine tandis que la campagne est vue comme plongée dans un obscurantisme crasse.
Pour l'historien Robert Muchembled la Contre-Réforme catholique a eu pour effet de détruire la culture campagnarde qui cachait un polythéisme sous un vernis chrétien de façade ; elle l'a fait en réprimant tout ce qui sortait de la norme. Dans le même temps, tout au long de l'époque moderne, l'État centralisateur n'a cessé d'imposer le monde paysan, quand les nobles, le clergé et beaucoup de villes échappaient à nombre de taxes. D'où des révoltes récurrentes du XVIème au XIXème siècle. Il semble en tout cas qu'un fossé de plus en plus important se creuse entre les villes et les campagnes à l'époque moderne et qu'il n'a été (en partie) rattrapé qu'au cours de la seconde moitié du XXème siècle.

Dans cette opposition on représente facilement les paysans avec les gourdins des hommes primitifs pour accentuer le contraste avec les citadins. Il n'est évidemment pas impossible que les paysans aient usé de grands gourdins dans leurs révoltes, l'arme n'est pas chère, elle est impressionnante et on a vu qu'elle pouvait avoir un certain impact face à un ennemi armuré. Mais l'on doit tout de même soupçonner beaucoup de symbolisme ou de fantasme dans ces représentations.


Paysan armé d'un gourdin opposé à un noble ou un citadin - Anonyme 1550
Dans les collections du Rijksmuseum d'Amsterdam
On n'hésitera donc pas à récupérer cette opposition et cette symbolique dans le cadre d'un scénario de spectacle. Cette symbolique fonctionne encore, opposant l'escrime et les vêtements raffinés à l'habit grossier et à la brutalité du paysan. Un scénario de révolte paysanne, ou simplement d'agression de bourgeois par des paysans passés au brigandage est une possibilité. Dans un cadre médiéval l'opposition entre le piéton maniant son grand gourdin ou son goedendag et le chevalier qui le subit fonctionne exactement de la même façon. On opposera ainsi le plus souvent le gourdin à une autre arme, plus civilisée en prenant en compte les caractéristiques propres de chaque arme (vous connaissez probablement mon article sur les combats à armes inégales mais je vous remets le lien au cas où). Opposer deux gourdins peut toujours se faire dans un cadre de combat de paysans ou de combat à l'arme improvisée, autour d'un tas de bois entreposé là pour le feu par exemple. On ne se privera pas là des techniques de ce bon vieux Paulus Hector Mair !

D'une manière générale le grand gourdin et ses variantes sont des armes extrêmement impressionnantes sur une scène ou dans un film. À leur longueur, leur taille, la force qu'on leur imagine, s'ajoute un maniement avec d'amples mouvements qui leur assure une formidable puissance scénique. On pourra évidemment les faire manier par des escrimeurs bien bâtis mais pas obligatoirement, l'effet fonctionne encore même avec quelqu'un de taille moyenne ou petite.

Détail d'une gravure de Jacques Callot où l'on voit plusieurs paysans armés de gourdins au milieu des fléaux à grain, des feux, des fourches et des mousquets se venger des soldats qui les ont pillés.
La revanche des paysans dans Les grandes misères de la guerre - 1633
En revanche une réalité est que le combattant de spectacle maniant le bâton devra posséder une force certaine pour manipuler cette arme mal équilibrée à l'inertie importante. N'oubliez pas qu'il ne s'agit pas là d'une arme bluntée mais de l'arme tout court, celle qu'on manierait pour blesser l'adversaire ! Le maniement en lui-même n'est pas très technique mais il est important que les deux combattants ne soient pas débutants car si l'on veut jouer à une vitesse crédible il est important de bien savoir se coordonner face à cette arme lourde. Si l'on veut que le manieur de massue gagne le combat on pourra prévoir des protections cachées pour la zone touchée car il n'est pas possible de faire une "mise à mort" autrement que par un coup de taille bien armé. Mais bon, si l'on suit la logique, le plus souvent il a peu de chances face à une arme rapide et maniable....

*

Pour résumer il s'agit donc d'une arme peu coûteuse à obtenir, pas très compliquée à apprendre et qui peut faire bel effet sur scène à condition de bien savoir se coordonner. C'est, dans l'imaginaire de l'époque et dans le nôtre, l'arme du paysan, du gueux, de la brute mal dégrossie, l'arme de celui qui n'a rien et peut défaire, avec cet arme rustique et primitive, la fine fleur de la chevalerie ou de la bourgeoisie... à moins qu'il ne meure dramatiquement en essayant !





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