lundi 19 juin 2023

Faites plus que défendre lorsque vous rompez !

Bonjour à tous

Ici le Baron de Sigognac pour vous desservir,

Lors de mon dernier article, je contais les vertus d'user des déplacements latéraux et diagonaux.  Ce, afin de ne pas se déplacer uniquement en ligne droite. J'admettais aussi que certaines situations nous y obligeaient : scène peu large, champ de caméra, etc.

En soi, ce dernier cas ne posait pas tant de difficultés. La perte des déplacements non linéaires n'empêche en rien l'usage d'autres "outils" à même de créer un bon spectacle : alternance des rôles attaquant et défenseur, jeux d'acteurs, préparations de jambes et ou de mains, prises de fer etc...

Sauf qu'apparait rapidement un autre automatisme, né de notre pratique et capable d'en gâcher les efforts : parer sans riposter parce qu'on va de nouveau reculer. 


Et c'est diabolique ! Pandemonium, 1841, John Martin

Certes, cette situation se rencontre en opposition, les remises et la reprises ne viennent pas de nulle part. Pourtant nous sommes tous conscients que pour des escrimeurs compétents cela ne dure qu'un temps. Je peux exécuter deux défensives à la suite, trois si je suis déséquilibré ou victime d'une offensive composée bien inspirée, mais au delà ça devient vite ridicule ou le signe que mon personnage n'est pas brillant. 

De prime abord, rien qu'un bon équilibre entre offensive et défensive n'arriverait à régler. Un peu de vigilance dans nos créations, quelques séances pour gérer le fait d'alterner plus fréquemment entre actions défensives et offensives sur un même axe et le tour est joué.

Maintenant, imaginons une difficulté supplémentaire. Nous maintenons le fait de rester sur un même axe mais en plus, le scénario ou les consignes reçues, nous obligent à avancer ou reculer d'un point A à un point B dans un temps imparti.

À première vue, l'exercice n'est pas compliqué : charge à celui qui avance d'attaquer sans discontinuer et celui qui défend de reculer et parer tout autant. Un peu de précision sur les cibles et de rigueur sur les déplacements ; défi relevé. Cependant, cette pratique rentre en opposition avec ce que nous attendons d'un bon escrimeur. Donc, même si cette étape est intéressante pour estimer le nombre d'actions possibles, vérifier que nous pouvons respecter les délais imposés... Il conviendrait de ne pas s'en contenter.

Or, vous l'aurez compris, ou le savez déjà, c'est ce que nous observons beaucoup trop souvent.



The Great Day of His Wrath, 1853, John Martin.

Le personnage est la ou l'une des meilleures lames de machin truc, mais va tranquillement parer et rompre jusqu'à destination. Parfois, à ce stade, les rôles s'inversent : la meilleure lame de machin bidule qui n'a toujours pas réussi à atteindre son "adversaire", malgré dix offensives à la suite, se retrouve défenseur au point B et retourne gentiment au point A en ne faisant que dévier et bloquer à son tour. Meilleure lame de machin le bombardant à son tour d'offensives sans parvenir à conclure non plus.
Vous avez l'idée. 

Est ce que cela veut dire que nous devrions ici, cesser de rechercher la cohérence entre l'escrime de notre personnage et sa personnalité ?  Après tout, le terrain semble nous le suggérer. 

Soyons clair, si vous ne faites que reculer en parant ou attaquer et remiser / repriser à l'infini en avançant, je vous souhaite bien du courage pour faire ressentir au public l'excellence de votre personnage. D'ailleurs soyons honnête, il est très probable que vous n'y croirez pas vous même. Dès lors, inutile de l'exiger des spectateurs. 

Pourtant c'est bien ce que des chorégraphes ou des vétérans, dans mes jeunes années, n'ont cessé de défendre. Même de nos jours : on trouve temps à autre des commentaires de ce type sur ce blog. Leurs arguments tournaient souvent autour du el famoso triptyque : c'est ce que le public veut, c'est trop technique, le public doit comprendre.


Pourtant, j'ai rien contre les triptyques, Le Jardin des délices, 1490-1500, Jérôme Bosch 


Un point de vue que je conçois parfaitement dans le cadre d'une industrie. Je maintiens juste que nous sommes dans l'exercice d'un art. Aussi humble soit-il. Art qui côtoie certes le monde de l'industrie, mais ce n'est pas une raison pour tout lui céder. 

Donc, non, simplement reculer ou avancer pour atteindre ce fameux point B ne suffira pas et le faire sur scène est un problème. Vos personnages doivent garder leur cohérence aussi bien par le jeu que par l'escrime. Et par pitié, cessez d'opposer l'un à l'autre. Cela ne fonctionne pas comme ça.  

Ceci posé, abordons quelques solutions. 

User des ripostes : je recule certes, mais je m'oppose. 

Partons simple : la riposte.

Un escrimeur formé est censé riposter ou montrer qu'il en a la volonté. Difficile de s'en passer et ce n'est pas parce qu'on doit se dépêcher de reculer que cela doit changer. 

Scéniquement, cela soutiendra l'idée que notre escrimeur ne se laisse pas déborder et profite de ses opportunités offensives. Ce qui est mieux que simplement parer. J'ai bien conscience que j'enfonce des portes ouvertes, mais le terrain m'incite à penser le contraire

D'un point de vue technique, cela aura même une conséquence intéressante : un changements de rythme.
D'une part parce qu'il est d'usage d'estimer que la riposte doit être plus rapide que l'offensive à laquelle elle répond et que d'autre part nous ne sommes pas censé reculer lors de nos offensives. Ce que la riposte est. Or, nous devons toujours arriver à destination et dans les temps. Riposter prends la place d'une retraite et donc nous incite à accélérer.

Ce qui est tout à notre avantage. Des changements de rythmes cohérents dans une chorégraphie ne peuvent que la valoriser. Là où une série d'actions similaires tend, sans gros efforts, vers la monotonie. Donc, usez en ! Sans vous précipiter. 
 

The fall of Babylon ; Cyrus the Great defeat the Chaldean, 1819-1831, John Martin. 



User des contre-offensives : j'aspire et je pique.  


Je le déconseille fortement avec des débutants, mais, il s'agit d'un outil intéressant capable d'associer le besoin de reculer, même si on peut de pied ferme, et de montrer un certain niveau d'escrime. Il en est de même pour l'attaquant avec les contre-temps. 

Bien exécuté et en nombre suffisant, attention ce n'est vraiment pas évident, ce procédé peut, de surcroit, nous aider à donner une identité à nos personnages.

Tactiquement, le "défenseur" deviendrait un contreur, capable de sentir et provoquer des erreurs d'exécutions chez son adversaire tout en le laissant venir à lui. Certes, il ne gagne pas de terrain, mais conserve l'initiative. Un malin en quelque sorte, en plus d'être technicien. 
Pour l'attaquant, nous basculerions vers le presseur : gagnant du terrain pour forcer son vis à vis à prendre l'initiative dans de mauvaise conditions et en tirer avantage. Une tactique qui sied à des personnages sûr d'eux même, dominateurs, désireux de jouer avec leur proie. 

La rythmique n'est pas en reste, puisque les jeux contre offensifs ont aussi tendance à créer une accélération. Ce qui rend son usage, je répète, à éviter, pour ne pas dire proscrire pour des débutants : on parle d'avancer sur une lame. C'est délicat. En revanche, bien amenées, vos chorégraphies disposeront de temps forts capables de surprendre votre auditoire. 
Alors, non sans prudence, intéressez-y-vous !





The Bard, 1813, John Martin

User du corps à corps : je m'oppose quitte à prendre ta place. 

Terminons enfin, avec une dernière possibilité. Il en reste d'autres. 

Propice suite à une parade de pied ferme, le corps à corps, souvent délaissé par notre discipline, n'en est pas moins un outil efficace, pour ne pas dire majeur quand on recherche la combativité. 

Cette dimension naît parfois de la volonté d''un des protagonistes souhaitant briser la distance. Toutefois, elle résulte plus d'un enchainement d'actions offensives de part et d'autres n'ayant trouvé aucune conclusion satisfaisante : séparation, mise en défaut, blessure etc...
Un cas de figure qui colle bien avec notre scénario : se déplacer en ligne droite sur une longue distance tout en combattant sans trouver de conclusion. Ce fameux point B à atteindre toussa toussa. 

De plus, si le corps à corps est parfait pour briser la ligne, donc, promouvoir des déplacements latéraux et diagonaux, nous n'y sommes pas contraint. Surtout si nous visualisons l'axe de nos déplacements comme un couloir plus qu'une ligne. Ce qui autorise des opportunités intéressantes.

Par exemple, nous pourrions user du corps à corps pour intervertir les rôles et les places : sur une parade de pied ferme du défenseur qui reculait jusque là, celui ci va saisir le bras armé de l'attaquant et le tirer. L'attaquant se laissera faire et en profitera pour prendre l'ancienne place du défenseur et le défenseur celle de l'attaquant.
Notons que pendant ce changement, le défenseur semble avoir une sérieuse opportunité offensive qu'il faudra montrer et faire échouer. 

Une fois fait, les rôles par définition s'inversent : celui qui attaquait jusque là parce qu'il avançait vers le point B doit désormais reculer, à l'inverse de son partenaire. De quoi varier et crédibiliser la chorégraphie si besoin, tout en montrant une belle agressivité. 
Bien sûr, il s'agit d'un cas assez simple, même si je l'aime bien, parmi la myriade de possibilités et richesses que nous offre cette distance, ces devrais-je dire, de combat. N'hésitez donc pas à essayer voire vous former sur le sujet. Et puis entre nous passer d'une distance d'escrime au corps à corps, reste une expérience géniale, vivante, splendide, que dis-je div... J'en fais p'têt un peu trop. 

Trois remarques.

Remarque une : si vous êtes sur un espace très restreint en largeur, style une poutre, faites attention pour le corps à corps, ça devient vite compliqué voire contre productif. 

Remarque deux : chaque solution n'est pas exclusive, libre à vous d'en user plusieurs pour une même chorégraphie. Je sais, c'est évident, mais je préfère préciser.

Remarque trois : si vous avez des armes de tailles très différentes, vous devrez l'intégrer dans vos réflexions.  


The City of God and the Waters of Life, , John Martin

Conclusion. 


Vous l'aurez compris, même en étant obligé de reculer ou avancer, les solutions ne manquent pas pour éviter d'uniquement défendre ou attaquer. Je vous en ai présenté certaines, mais d'autres existent. 

Ici, le contexte scénique proposé nous poussait à atteindre un lieu coute que coute. Ce dans un temps restreint et axe donné. Pourtant, malgré ces contraintes, assez sérieuse, j'espère vous avoir montré, au pire commencé que nous ne pouvions toujours pas faire l'impasse de la cohérence entre l'escrime présentée et les personnages jouées. 

Si ces derniers sont bons, montrez le dans leurs escrimes. S'ils sont malins, idem. Parce que le combat est émotion, que ses techniques sont émotions et que si un public pourrait ne pas les comprendre, soyez sûr, qu'il les ressentira. 

Nous ne pouvons souhaiter autre chose.  

C'était le Baron de Sigognac pour vous desservir. Ne faites pas que parer lorsque vous reculer et je vous dis à la prochaine.