Blog anonyme sur l'escrime historique en général et sa version chorégraphiée en particulier. Il y aura des réflexions et des critiques en essayant d'être constructif.
Faites des stages ! Tout au long de l'année, des stages vous sont proposés par divers organismes, au sein de la FFE ou non. Il y en a de toutes sortes, avec des gens connus, d'autres moins, avec des thématiques très diverses, parfois sans (du moins pas annoncées). Certains ne durent qu'une demi-journée, la plupart sont sur un week-end quand certains s'étalent sur une semaine entière (comme les stages d'été de Michel Palvadeau).
Mais au fait, pourquoi fait-on des stages ? Pour s'améliorer, pour rencontrer d'autres escrimeurs et escrimeuses ? Et si on veut s'améliorer, de quelle façon ? Avec quels leviers ? Cet article est là pour faire le point sur ces questions, sur pourquoi on fait des stages, ce qu'ils peuvent apporter. Je vous propose de commencer par faire un point sur tous les types de stages que vous pouvez faire, avant de nous pencher sur ce qu'ils peuvent vous apporter. Je conclurai par quelques conseils.
Notons que dans le terme "stages" je vais ici inclure les stages proprement dits, mais aussi tous les rassemblements qui ne sont ni des galas ni des compétitions et où l'on travaille les armes à la main, guidés par des enseignants.
Oui, 80% des stages ont au moins une photo de ce genre. Ici à côté de Bruxelles, stage organisé par la Tour du Soleil sur les bottes secrètes le 9 mars 2025
Les types de stages
Nous allons essayer ici de dresser un inventaire, le plus exhaustif possible, de tous les types de stages que l'on peut rencontrer et pratiquer. Notons qu'ici je me limite volontairement aux stages à destination des pratiquants, les stages pour les enseignants sont une autre question.
Les stages "généralistes"
Par le nom de stages "généralistes", j'entends des stages dont la thématique n'est pas forcément annoncée à l'avance. C'est de plus en plus rare avec l'offre qui augmente (les gens doivent choisir et veulent donc savoir où ils mettent les pieds) mais cela existe encore. Beaucoup sont d'abord centrés autour d'un maître d'armes ou d'une troupe et c'est le nom qui fera venir les escrimeurs. On vient donc suivre le stage de maître untel ou de la troupe untelle en faisant confiance à leur compétence pour y apprendre des choses intéressantes. Dit comme ça cela semble un peu rude, mais bon rassurez-vous, ils ont normalement prévu un programme, c'est juste qu'il n'est pas annoncé à l'avance. Et apprendre auprès de maîtres d'armes qui ont formé des champions est en général intéressant et instructif.
Un autre type de stage du même genre est constitué des rassemblements régionaux. Il y a là aussi un programme établi par les différents enseignants de la région, même s'il n'est pas forcément annoncé. Mais l'objectif principal n'est pas là : il est, avant tout, de rassembler les escrimeurs artistiques d'une même région et de leur permettre de se rencontrer l'épée à la main. Si la région est active, il y en a au moins un par an, sur une ou deux journées (cela dépend aussi de la taille de la région, on se déplacera difficilement loin pour une seule journée de stage). On pourrait également ranger dans la même catégorie les rencontres inter-clubs.
Fabrice Linqué, champion du Monde catégorie solo en 2016, mais aussi entraîneur de la Garde des Lys qui a eu la médaille d'argent en bataille intemporelle lors des mêmes championnats ainsi que de nombreuses autres distinctions. Les champions ont forcément des choses à vous apprendre !
Les stages thématiques
Les stages thématiques ont un programme et un ou plusieurs thèmes clairement énoncés. On sait ce que l'on va travailler et l'on s'y inscrit souvent dans ce but. Les thématiques, en revanche, peuvent être diverses. La plus évidente est le maniement d'une arme ou d'une tradition martiale : découvrir le combat au coutelas, à l'épée longue de Joachim Meyer, à la cape, etc. On est là pour découvrir le maniement de nouvelles armes ou pour se perfectionner dans celles-ci. Ces armes seront donc approchées durant toute la durée du stage et normalement on en repartira avec quelques bonnes bases, ou de meilleures habilités.
Sur d'autres stages, plutôt que de découvrir une nouvelle arme on travaillera sur les techniques d'escrime scénique. On peut ainsi travailler spécifiquement la contre-attaque, les mises à mort, le combat de groupe, etc. L'objectif ici est donc de travailler certains points, certains aspects de notre pratique, le plus souvent avec une seule arme (en général la rapière) même si on pourrait tout à fait envisager une déclinaison à plusieurs armes.
Enfin, une autre thématique, souvent négligée, est de travailler le jeu de scène et l'approche scénique. Travailler sur ses personnages, sur l'entrée en scène, l'incarnation, mais aussi l'occupation de l'espace scénique, le scénario du combat, les spécificités d'un combat filmé (Michael Dassas et Alexandre Mir avaient proposé un tel stage deux années de suite), etc. Ces stages sont plus (trop ?) rares mais permettent d'améliorer tous les autres aspects du spectacle.
Stage thématique (cape et rapière) organisé par ACTES en 2023 à Meung-sur-Loire avec Michel Palvadeau et Manuel Diaz
Les stages en dehors de l'escrime artistique
En dehors des stages spécifiquement pensés pour des escrimeurs de scène, il est intéressant de suivre d'autres types de stages qui apporteront eux aussi leur lot d'améliorations. Notez toutefois qu'un escrimeur artistique ne sera pas en terrain connu et pourrait même se faire chambrer gentillement si l'ambiance est un peu taquine. Il faudra faire preuve de modestie et supporter la réputation de "danseurs" des escrimeurs artistiques auprès des autres disciplines martiales.
En premier lieu, citons les stages d'Arts Martiaux Historiques Européens (AMHE) et, dans le même esprit, tout comme ceux organisés par d'autres traditions martiales. Certains stages sont axés sur la compétition et seront donc de peu d'utilité (même si cela peut être intéressant pour comprendre comment réagit un combattant). Ce sont les autres qui nous intéressent, ceux basés sur la découverte ou le travail technique d'une arme ou d'une tradition martiale. Vous y découvrirez ainsi des techniques dans leur version martiale, présentées en général par quelqu'un qui étudie le sujet depuis une décennie au moins. Vous y glanerez en général des informations précieuses sur le contexte d'utilisation de l'arme, ses grands principes et vous expérimenterez. Notez que certains stages prennent la forme d'une succession d'ateliers de 1h30 à 2h avec souvent un choix possible.
Il faut également évoquer ici les stages de cascade organisés par des cascadeurs eux-mêmes. Évidemment tout n'est pas forcément intéressant pour notre pratique, ainsi vous aurez peu d'occasions de pratiquer les torches humaines ou les chutes de hauteur. En revanche, le combat à mains nues pour la scène, la base des chutes, roulades et autres acrobaties ainsi que des bases de franchissement et d'équilibre trouveront facilement à s'insérer dans vos scénarios de combat. Tout cela peut être appris auprès des cascadeurs, même s'ils partagent assez peu leurs stages. Notez qu'il arrive de temps en temps qu'un cascadeur soit invité par une structure d'escrime de spectacle pour y donner un stage.
Enfin, il ne faudrait pas oublier tous les stages ayant un rapport avec le théâtre et l'art de jouer la comédie. Je dois avouer que je n'en vois pratiquement jamais passer, mais je dois aussi avouer que je ne les ai pas spécialement cherchés. Dans tous les cas améliorer votre jeu de scène et votre compréhension du jeu et de la scène en général ne peut que faire progresser vos compétences d'escrimeur de spectacle.
Un exemple d'un atelier au sein du stage multi-armes du Cercles des Escrimeurs Libres Nantais en 2025
Les raisons de faire des stages
Il existe donc beaucoup de types de stages, pour tous les goûts ? Encore faudrait-il définir son "goût", c'est à dire pourquoi on fait des stages, qu'est-ce que ceux-ci peuvent apporter à un escrimeur de scène ? Tentons ici d'y répondre.
Rencontrer d'autres escrimeurs
Cela paraît un peu simpliste comme ça, mais l'une des premières raisons de faire des stages est tout simplement de rencontrer d'autres escrimeurs de spectacle. C'est toujours sympathique de rencontrer des personnes animées par la même passion que vous et de croiser le fer avec eux. Vous pouvez ainsi varier les partenaires, construire avec des gens qui bougent différemment de vos camarades de club, ont des niveaux différents et même une approche différente de l'escrime. Vous pourrez ainsi confronter vos approches, vos techniques, apprendre des choses de pair-à-pair en toute convivialité.
Et au-delà de la variation de partenaires, au-delà de la découverte d'autres façons d'escrimer, il y a la rencontre humaine (j'ai l'impression d'être dans de la comm' de RH de bas étage en écrivant cela). Il y a le fait de faire partie d'une communauté de passionnés. C'est là, par exemple, l'intérêt des rassemblements régionaux. On fait vivre l'escrime artistique par les gens, on sympathise, on suit ce que font les autres et c'est aussi là tout le plaisir de la pratique qui est, pour la majorité d'entre nous, une pratique d'amateurs.
Les participants des rencontres régionales d'Occitanie qui ont eu lieu les 31 mai et 1er juin 2025 à l'abbaye fortifiée de Loc-Dieu (12). Photo : Comité régional d'Escrime d'Occitanie
Améliorer sa pratique actuelle
Mais bon, si on fait parfois des centaines de kilomètres, que l'on paye un certain prix, parfois une chambre d'hôtel, ce n'est en général pas seulement pour rencontrer d'autres escrimeurs, mais aussi pour devenir meilleur. Il y a donc ici l'idée d'améliorer déjà les armes que l'on pratique déjà.
La première chose, quel que soit votre niveau, est que vous allez pratiquer intensément l'escrime de spectacle pendant toute la durée du stage. Comme me l'avait dit le Baron il y a plus d'une dizaine d'années "une journée de stage c'est déjà 6h d'escrime". En sachant que la majorité des escrimeurs et escrimeuses ont une, parfois deux séances par semaine d'1 à 2 heures, je vous laisse compter combien de séances vous gagnez en allant à un stage (bon l'apprentissage ne marche pas exactement comme ça, mais vous voyez l'idée). Et comme toute activité motrice, il faut apprendre au corps à bouger en fonction de celle-ci et c'est en grande partie avec le nombre d'heures de pratique que vous acquerrez de l'aisance et la fluidité dans vos gestes d'escrime.
Outre les heures d'entraînement, il y a la possibilité de travailler certains mouvements spécifiques, certaines approches. Vous apprendrez à faire des choses que vous ne saviez pas faire, ou pas bien faire, car vous les aviez à peine vues. Vous travaillerez de nouveaux automatismes ou vous aurez l'occasion de les perfectionner, au pire de les réviser, ce qui ne fait jamais de mal. Vous aurez aussi plus de temps pour travailler les points sur lesquels
vous avez des difficultés et vous en sortirez ainsi pas sur un échec
comme ça peut arriver dans un temps plus contraint. Les stages sont l'occasion d'apprendre à faire de nouvelles choses, car on a souvent plus de temps que dans un cours. On a aussi un autre enseignant qui insistera plus sur certaines points ou vous montrera de nouvelles techniques qui sont dans sa spécialité et sont peut-être moins celle du vôtre.Pour cela, les stages basés sur les techniques d'escrime scénique sont évidemment les plus intéressants.
Enfin, outre la technique pure les stages donnent parfois l'opportunité de aborder les autres aspects scéniques pour améliorer son jeu, sa présence sur scène, ses scénarios, ses personnages. En stage on peut tester, expérimenter grandeur nature avec des conseils. Ces stages sont malheureusement trop rares et sont difficiles à trouver quand ils existent. Certains maîtres d'armes et enseignants ont beaucoup travaillé l'aspect du personnage dans le combat (comme Florence Leguy) ou l'occupation de l'espace scénique (Magalie Ressiot a récemment proposé plusieurs courts stages sur ce thème), n'hésitez pas à les faire venir ! Vous pouvez néanmoins gagner à regarder du côté du théâtre pour acquérir des éléments à adapter à la spécificité de notre pratique.
Si vous êtes du côté de la Belgique et que vous lisez cet article au moment de sa publication, profitez-en ! La Tour du Soleil met en place un stage pour mettre en scène la violence bientôt.
Explorer d'autres horizons
Une autre façon de s'améliorer est de diversifier ses compétences : faire des choses que l'on ne faisait pas avant, avoir plus d'un type d'escrime, plus d'une arme, etc. C'est pour moi cela être un escrimeur complet, même si certains préfèrent se spécialiser et se concentrer sur un style, une arme, etc.
Apprendre à manier d'autres armes permet de varier les combats, soit au sein de scénario mêlant des armes différentes à la même période, soit en apprenant à manier des armes d'une époque différente de celle avec laquelle on a commencé. Si vous faites de la rapière, vous pourriez ainsi apprendre à manier d'autres épées en usage à la même époque ou des armes d'hast (voir mes articles ici et là), vous pouvez aussi vouloir faire des thématiques médiévales ou pirate pour ne citer que les plus courantes (et, par pitié, je ne veux PLUS voir des pirates armés de rapières ! Allez lire mon article sur leurs armes). Pour cela je vous conseille très vivement d'aller jeter un œil sur les stages d'AMHE et notamment les stages multi-armes avec des ateliers. Ceux-ci vous permettront de découvrir des armes ou traditions nouvelles, vous verrez ainsi si vous avez envie de poursuivre dans cette arme. Comme je l'ai dit plus haut, vous aurez normalement un ou une spécialiste de cette arme qui l'étudie depuis souvent très longtemps et est en relation avec celles et ceux qui l'étudient dans le monde. Même si ces stages ne sont pas directement axés sur une pratique d'escrime chorégraphiée, vous apprendrez le contexte, la dernière interprétation des techniques et de l'approche de l'arme.
En plus de diversifier les armes, vous pouvez diversifier vos compétences en acquérant quelques techniques de cascade. Avoir des bases de combat au corps à corps, notamment sur comment donner des coups de façon sécurisée est intéressant, de même que des bases en lutte debout pour pouvoir faire des projections. Et, comme il faudra également les subir, je vous invite fortement à apprendre à chuter de votre propre hauteur. Et si vous le sentez, pourquoi ne pas apprendre quelques acrobaties ou quelques bases de parkour ? Vous pourrez acquérir toutes ces compétences dans des stages de cascades. Ceux ouverts au public ne sont pas fréquents, mais il arrive tout aussi régulièrement que des clubs d'escrime ou des compagnies organisent un stage avec un cascadeur qui vous apprendra les bases de son métier.
Enfin, on a dit que vous pouviez diversifier les techniques, mais les stages sont aussi l'occasion de diversifier les approches de l'escrime de spectacle. Les maîtres d'armes et les enseignants et enseignantes n'ont pas toutes et tous la même approche de notre discipline. Si le Baron, par exemple, met d'avantage l'accent sur la martialité du geste, d'autres vont donner plus d'importance à la rythmique du combat (Julien Pennanech' par exemple), à son côté chorégraphique ou à tout autre chose. Même si vous avez déjà une idée de ce que vous aimez, vous vous enrichirez toujours à découvrir de nouvelles approches. En ce cas, vous chercherez des stages d'enseignants dont l'approche est très différente, ou simplement d'enseignants que vous ne connaissez pas. D'une manière générale, je vous invite à fréquenter, expérimenter le plus d'approches possible pour mieux trouver la vôtre.
Les Guespinades orléanaises sont un stage multi-armes, avec de nombreux ateliers qui se déroule chaque année à la fin du mois d'octobre à Saint-Jean-de-la-Ruelle près d'Orléans.
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Les types de stage et les raisons d'y aller sont donc très divers, mais alors, comment s'y retrouver dans tout ça ? Que prioriser ? Tout le monde ne sait pas forcément facilement déterminer ce qui le ferait progresser. Voici donc quelques conseils.
Tout d'abord, si votre emploi du temps et vos finances le permettent, allez systématiquement aux stages organisés à côté de chez vous. D'abord parce que c'est moins cher (moins de temps de route, en général pas d'hébergement à payer), mais aussi parce que c'est l'occasion de rencontrer vos voisins et de sympathiser avec eux, voire de monter ensemble un gala régional. Que vous soyez débutant ou très expérimenté, cela sera toujours sympathique, et toujours de la pratique en plus.
Le reste dépendra beaucoup de votre niveau. Au début, vous pourriez privilégier les stages permettant de travailler certains aspects précis de la pratique, aussi bien sur la technique d'escrime que sur le jeu de scène. Par la suite, je vous invite à vous diversifier en regardant vers d'autres armes, d'autres disciplines, et enfin, d'autres approches de l'escrime. C'est peut-être finalement le dernier stade qui fait que, lorsque vous avez déjà vu une infinité de techniques, que vous maîtriser bien vos gestes, vous allez encore en stage voir comment font les autres... et passer un bon moment avec eux !
Notez que ces conseils ne sont pas absolus, les stages sont aussi une affaire d'opportunités : est-ce loin ou pas ? suis-je disponible ? ai-je les finances nécessaires ? Ne vous bloquez donc pas si un stage vous fait envie. Si vous voulez découvrir l'épée longue et que vous n'avez même pas un an de rapière, allez-y quand même ! Vous ne perdrez normalement pas votre temps. Bref : faites des stages !
Normalement, dans un combat d'escrime de spectacle, il y a toujours un scénario, des personnages, une raison de se battre, même minimale. En gros on doit avoir une idée de qui sont les personnages (cela passe aussi bien par le costume, les attitudes, que le dialogue) et de pourquoi ils se battent avec des armes. Une des bases scénaristiques les plus classiques pour impliquer émotionnellement le public est d'avoir un "méchant", que le public détestera, et un "gentil" dont on essayera d'obtenir la faveur du public qui voudra le voir gagner. C'est simple et efficace mais en fait il y a pas mal de variations sur cette thématique mais, surtout, des manières de mieux faire ça en le réfléchissant.
Or, si il y a bien une discipline qui use et abuse de cette opposition, l'exploite jusqu'à plus soif, mais l'a aussi beaucoup explorée et codifié c'est le catch. Pour rappel, le catch met en scène un combat fictif dans un ring avec un corpus de règles et d'interdits comme dans un sport de combat réel, entre deux ou plusieurs athlètes. L'affrontement se termine (le plus souvent)quand l'un des catcheurs effectue un "tombé", c'est à dire qu'il parvient à river les épaules au sol pendant que l'arbitre compte 3 secondes, ou une soumission, dans ce cas un catcheur se soumet à une clef et tape pour arrêter la douleur. Le match est scénarisé (normalement le vainqueur est décidé à l'avance) et les coups ne sont pas aussi violents qu'ils le seraient dans un vrai combat grâce aux mêmes techniques qu'utilisent les cascadeurs. Néanmoins précisons que cela demande un grande technicité et que nombre d'actions de catch restent très douloureuses, bien plus que ce que nous accepterions dans notre discipline (oui tomber après un saut de la 3ème corde ça fait mal, même si on sait comment tomber sans se faire une fracture). Comme le Baron et moi-même sommes des amateurs de catch j'ai eu envie de partir de cette discipline et de voir ce que l'on pouvait transposer dans la notre : l'escrime de spectacle. Nous allons donc d'abord étudier les archétypes classiques du catch, puis nous verrons comment ils ont évolué, se sont raffinés avant de se poser la question de la transposition dans nos propres spectacles.
John Cena (à gauche) l'un des babyface les plus célèbres de l'histoire du catch face au Miz (à droite), un catcheur qui a presque toujours été heel, accompagné de son épouse Maryse.
Nota Bene : Je vais surtout cité ici la WWE, la plus puissante compagnie de catch au monde avec quelques autres références, tout simplement parce que c'est ce que je connais. Je suis un amateur de catch mais pas un fan hardcore et je n'ai pas le temps de tout suivre, d'autant que c'est parfois compliqué (si vous savez comment suivre Stardom avec des commentaires ou résumés en anglais vous m'intéressez). Je m'excuse donc auprès des fans de l'AEW, de la TNA, de la NJPW, de la AAA, de Stardom et des autres compagnies de ne pas citer celles-ci alors qu'il s'y passe probablement des choses très intéressantes.
Heel et babyface dans le catch
Dans le catch le "méchant" est appelé le Heel et le gentil le "face" ou "babyface". Nous utiliserons donc de préférence ces termes quand il s'agira de parler spécifiquement du catch. Notons que ce sont des archétypes très anciens, qui datent probablement des débuts du catch chez les lutteurs de foire du XIXe siècle. Nous allons surtout nous pencher ici sur les archétypes classiques en commençant par le heel et en abordant ensuite le babyface.
Le Heel, le méchant de l'histoire
Le heel est donc le méchant dans le scénario. Cela peut être uniquement dans le scénario d'un combat mais, en général, c'est tout un personnage qui est développé avec son costume, ses types d'interaction avec le public et son style de combat. La principale caractéristique du heel est qu'il doit normalement se débrouiller pour se faire huer par le public. On peut adorer détester un personnage (pensez à tous ces méchants de films qui vous ont fascinés) mais, pour que le combat se passe bien, il faut qu'il soit hué et que le public souhaite sa défaite. Le heel a donc toujours un ou plusieurs défauts qui vont permettre qu'on ne l'aime pas, ce que l'on appelle "recevoir de la heat" (de la "haine" du public)
Apparence : Dans le catch classique le heel est souvent laid, ou du moins avec un physique hors du commun qui n'est pas dans les normes. Il lui arrive aussi très souvent d'être masqué, c'était surtout le cas dans le catch français d'après-guerre. Le heel adopte souvent l'apparence d'un archétype terrifiant : bourreau, démon avec des couleurs effrayantes : noir, rouge etc. Dans les années 1970-80 les heels revêtaient en général les costumes des ennemis des États-Unis comme l'Iron Sheick, un véritable iranien, toujours heel.
On notera toutefois qu'il s'agit surtout là du catch "classique" et que c'est de moins en moins vrai de nos jours. On a même eu des archétypes de heels très beaux mais irritants comme les catcheurs Austin Theory (présenté comme le jeunot beau gosse, parfait et tout et favori du parton) ou Tiffany Stratton (une sorte de poupée barbie arrogante parlant avec une voix aiguë insupportable).
Jacques Ducrez dit, "le bourreau de Béthune", célèbre catcheur français des années 1950-60
L'arrogance : Les heels sont souvent arrogants, ils aiment se présenter comme supérieurs et, surtout, dénigrer leurs adversaires. Il leur arrive aussi très fréquemment d'insulter ou de provoquer le public pour obtenir de la hit "facile". Venez par exemple à Marseille avec un maillot du PSG et vous êtes assurés d'être hué par le public, rajoutez quelques commentaires négatif sur l'équipe de football et là, c'est sûr, ils soutiendront votre adversaire quel qu'il soit ! Il y a beaucoup de façons d'être arrogant mais il faut reconnaitre que c'est presque un point commun à tous les heels.
La tricherie : Dans le catch le heel est aussi très souvent celui qui triche. Il porte un coup illégal, cache un objet, se fait aider par quelqu'un qui frappe son adversaire quand l'arbitre ne le voit pas etc. Le heel classique triche toujours et l'arbitre ne le voit jamais, faisant monter la colère dans le public qui s'insurge contre cette injustice flagrante et la nullité de l'arbitre. Ainsi, même quand il gagne, le heel ne mérite jamais vraiment sa victoire, accentuant la frustration du public. Et si le gentil gagne, celui-ci aura d'autant plus de mérite qu'il l'aura fait dans un contexte déséquilibré par la triche de son adversaire.
L'une des meilleures triches d'Eddie Guerrero en 2005 qui fait accuser son adversaire de l'avoir frappé avec une chaise et provoque sa disqualification.
La lâcheté : La lâcheté est aussi une caractéristique d'un certain nombre de heels décrit comme "faibles". Ils savent qu'ils sont moins forts que leur adversaire mais ils auront recours à une triche intense pour essayer de faire le poids face à leur adversaire. Ils se cachent, fuient, esquivent le combat ce qui provoque la frustration du public... et donc son exultation quand, enfin, ils se font attraper. Ils essaient de tromper leur adversaire pour se retrouver en position favorable.
En général ces heels ont avec un autre catcheur voire tout un clan qui
les aide à gagner. À la WWE, cela a été récemment le cas de la catcheuse
Liv Morgan, qui avait "volé" son amoureux à Rhea Ripley, qu'elle a
également fait exclure de son clan le Judgement Day. Si Rhea était
présentée comme bien plus forte et puissante elle n'a jamais vraiment
réussi à gagner à cause des intervention de son ex amoureux et de son
ancien clan.
À Summerslam 2024 Rhea Ripley a enfin réussi à attraper Liv Morgan et lui passe une correction (oui ici c'est la jolie blonde qui est une heel très lâche quand la grande brune musclée est l'héroïne des fans)
La cruauté : La cruauté est un autre trait courant chez les heels. Rares sont les heels qui n'aiment pas faire souffrir leurs adversaires que ce soit durant le match mais aussi en dehors du match. Durant le match ils aiment insister sur une faiblesse de leur opposant, dénuder un coin de ring pour qu'il ou elle se fasse plus mal ou encore ne pas effectuer le tombé pour pouvoir continuer à faire mal. Il arrive aussi fréquemment qu'un heel n'accepte pas sa défaite et passe à tabac son vainqueur après un match, le plus souvent avec l'aide de son clan.
Ce sont là les défauts majeurs des heels et tous les heels ont au moins l'un d'entre eux. On trouve évidemment en eux également une bonne partie des autres défauts humains puisque le heel est fait pour ça. Notons que si on trouve au moins l'un d'eux il est de plus en plus rare de tous les trouver car on invente ainsi de nombreuses manières d'être heel.
Le style de catch : classiquement le heel ne fait pas de mouvement "flashy" qui plaisent au public. Il a souvent un catch brutal et assez lent. Le heel archétypal tente des prises de soumission, utilise des projections brutales (comme des powerbombs) ou assène de violents coups. Il ralentit le match pour frustrer le public, casse le rythme et sortant volontairement du ring etc.
La prise de l'ours, un mouvement typique de heel (ici portée par le Big Show sur Daniel Bryan en 2015)
Le babyface, le gentil, favori du public
À l'inverse le babyface est celui qui doit avoir les faveurs du public. C'est avec lui que le public doit souffrir, exulter, c'est lui qu'il doit encourager et c'est lui qu'il doit vouloir voir gagner. Le babyface est le gentil de l'histoire et doit être aimé. Il est donc parfait ou, si il a des défauts, ceux-ci doivent pouvoir être facilement pardonnables.
Apparence : Le babyface classique est beau, d'où son nom. C'est un catcheur ou une catcheuse au physique agréable et au visage lumineux. Classiquement il porte des tenues de couleurs claires et/ou chatoyantes voire le blanc, associé dans nos cultures occidentales à la pureté. À la WWE il y a généralement un catcheur qui est le "visage de la compagnie" et c'est le plus souvent un babyface. Actuellement il s'agit de Cody Rhodes qui incarne très bien cet aspect.
Notons toutefois que, comme pour les heels, ces affirmations sont beaucoup moins vraies de nos jours. On a facilement des babyfaces avec des physiques plus communs, auxquels les spectateurs peuvent facilement s'identifier. C'est ainsi le cas du catcheur Sami Zayne, mais encore plus d'Otis, un catcheur au surpoids évident et avec une bonne tête d'américain moyen.
Cody Rhodes, le babyface archétypal du moment
Le courage : Si il y a bien une caractéristique que tous les babyfaces ont en commun c'est le courage. Un babyface n'abandonne jamais ou presque, il se relève toujours après les coups, il ne fuit jamais même si il fait face à de nombreux adversaires.
La gentillesse : Les babyfaces sont toujours gentils avec le public, et notamment avec les enfants. Ils tapent dans les mains lors de leur entrée, vont parler au public, le saluer, souvent ils le font chanter, lui demande son soutien etc. Lors d'un match où les tables sont autorisées c'est souvent un babyface qui va sortir une table quand le public le réclame (le public aime voir des tables et les réclame à grand cris de "we want table"). Ils se prêtent aussi à des séances de dédicaces ou encore donnent des objets au public.
La politesse et le respect de l'adversaire : Quand un babyface est vaincu par un adversaire qui a été loyal, ou est venu à bout d'un adversaire coriace, il lui montre toujours du respect. Cela arrive en général quand deux babyface s'affrontent (ce qui est rare car, dans ce cas, le public ne sait pas forcément qui soutenir) ou quand un heel n'a pas (trop) triché.
La solidarité : Si les babyfaces font plus rarement partie d'un clan que les heels il leur arrive quand même souvent de s'entraider pour contrer les ruses des heels ou les interventions de ceux-ci. Ils arrivent ainsi pour "sauver" un autre babyface en difficulté (qui se fait lyncher en fin de match par exemple) ou pour empêcher un heel en bord de ring de tricher.
Style de catch : Le babyface est celui qui aura le plus tendance à faire des acrobaties qui plairont au public. Il sautera de la 3ème corde, fera des esquives, des roues, des sauts périlleux etc. Le babyface classique est agréable à regarder et l'on applaudit ses prouesses dans le ring.
Leg drop depuis la 3ème corde de Lyria Valkyria sur Dakota Kai en janvier 2025
Enfin on notera qu'on a ainsi deux archétypes "classiques" de babyface : le chevalier blanc et l'underdog. Notons qu'il est en fait beaucoup plus difficile d'être un bon babyface qu'on bon heel. Il est facile de se faire détester, il n'est pas si facile de se faire aimer. Beaucoup de babyfaces sont jugés trop lisses et ennuyeux par le public alors que les heels sont forcément pleins d'aspérités. Être un babyface aimé est donc beaucoup moins facile qu'on l'imagine. Il faut avoir un sens de la communion avec le public bien plus élevé que pour un heel.
Le chevalier blanc : L'archétype le plus courant et le plus ancien du babyface est le combattant courageux, doué en tout et aimé des foules. Bref, le gendre (ou la belle-fille) idéal, beau, doué, gentil et courageux.
L'underdog est le challenger, celui que l'on n'attendait pas à ce niveau. Il a souvent un physique relativement ordinaire, souvent moins costaud que la moyenne (des catcheurs, pas de la population). C'est celui qui vous ressemble, que personne ne voyait gagner mais qui, à force de courage et de soutien de la foule, réussi à se hisser à des sommets que personne ne le voyait atteindre. Le plus célèbre d'entre est Daniel Bryan avec le yes movement en 2013-2014 (je vous laisse une vidéo qui raconte cette épopée juste en dessous).
Des archétypes revisités et réactualisés
Ainsi, heel et babyface sont à l'origine des archétypes très codifiés. Mais, au fil du temps, de nombreux
catcheurs ont joué avec ces codes pour inventer de nouvelles manières
d'être "face" ou "heel". C'est probablement dû aussi au fait d'avoir des
shows télévisés hebdomadaires et non des combats isolés qu'on allait voir
lorsqu'un cirque passait ou lors d'un gala unique.
Turn et ambiances "sauvages"
Jusqu'aux années 1980 un catcheur pouvait faire toute sa carrière en tant que face ou heel dans un seul personnage. Cela devenait plus compliqué dés lors qu'on voyait ce personnage toutes les semaines à la télévision. Les catcheurs ont donc commencé à changer de personnage, mais aussi à passer parfois de babyface à heel ou l'inverse, testant d'autres possibilités.
Ce changement d'orientation avec le public s'appelle un "turn", on parle ainsi de "face turn" (un heel qui devient babyface) ou de "heel turn" (un babyface qui devient heel). C'est d'ailleurs ce dernier qui est souvent le plus marquant et est mis en scène pour surprendre le public et le choquer. Un bon heel turn est justifié par ce qui a été construit auparavant mais doit tout de même surprendre le public. Il mène généralement à des affrontement du nouveau heel avec les anciens amis qu'il a trahis. Le plus célèbre heel turn de l'histoire est celui d'Hulk Hogan, catcheur star de la WWE (WWF à l'époque), idole des enfants, visage de la compagnie, qui a fondé un puissant clan heel deux ans après avoir rejoint sa nouvelle compagnie (la WCW) : le New World Order. Hulk Hogan, connu pour ses tenues colorées jaunes et rouges les abandonnait pour des vêtements noirs, marquant son turn.
Kevin Nash, Hulk Hogan et Scott Hall, les membres originels du NWO en 1996
Un turn peut sauver une carrière ou redonner un nouvel élan à un catcheur en perte de vitesse. Mais le nouveau catcheur n'est pas toujours à l'aise dans son nouveau rôle, surtout si il n'avait jamais été heel ou babyface auparavant. Ainsi, John Cena, qui avait été babyface toute sa carrière, a tenté, le 1er mars dernier, pour sa dernière année de carrière, un heel turn surprise qui a choqué tous les fans. Si la surprise a été efficace il s'est avéré très décevant en tant que heel et a finalement fait un face turn en août. Ainsi, malgré tout, certains catcheurs sont meilleurs en heel, d'autres en babyface et certains sont très bons dans les deux exercices.
Par ailleurs un turn n'est pas forcément toujours scénarisé bien en avance. En effet, si les scénaristes décident d'événements, de personnages et notamment de qui sera heel et de qui sera babyface c'est malgré tout le public qui a le dernier mot. Aux scénaristes de trouver des histoires et des personnages intéressants, aux catcheurs de les incarner et de les faire haïr ou aimer ! Et parfois cela ne se passe pas comme prévu : le public hue le babyface et acclame le heel. C'est ce que l'on appelle une "ambiance sauvage". Le public peut détester un babyface qu'il trouve inintéressant, ou trop poussé en avant par la compagnie alors qu'il ne le mériterait pas ou que cela a été fait au détriment d'autres catcheurs très populaire. Alors il conspuera le babyface, surprenant tout le monde et les officiels en premier. Dans l'autre sens, il arrive qu'un personnage heel soit tellement bon, tellement intéressant et stylé que le public ne puisse s'empêcher de l'applaudir et de l'encourager.
Les catcheurs, les scénaristes, les officiels n'ont alors pas d'autre choix que de composer avec la situation. Dans le second cas cela ne vient souvent pas d'un coup et l'on a souvent le temps de s'adapter, dans l'autre cela peut être une surprise, souvent lors du retour d'un catcheur ou d'une catcheuse qui s'était éloigné des rings ou de la compagnie pendant quelque temps et que l'on espérait voir acclamer. Lorsque cela arrive sur un match isolé qui n'a pas d'importance pour l'histoire globale de la compagnie il peut même arriver que l'on décide de changer l'issue du match en cours de celui-ci pour faire gagner le favori du public.
En 2023 à Paris, lors d'un show non télévisé de la WWE, le public a fait changé le résultat du match en faveur de Baron Corbin contre Rick Boogs.
De nouvelles manières d'être heel ou face
Tous ces turns ont également affecté les archétypes, à l'origine très codifiés, du heel et du babyface. D'abord parce qu'un catcheur peut difficilement changer radicalement sa façon de catcher mais aussi parce que le public ne peut pas totalement oublié ce qu'il a fait dans le passé. Les archétypes se sont parfois mêlés de gris, sont moins pur mais des catcheurs et des catcheuses ont également inventé de nouvelles façons d'être heel ou babyface.
Notons d'abord l'existence de catcheurs considérés comme "twinners", c'est à dire ni vraiment babyfaces, ni vraiment heels. En gros le twinner joue le rôle du babyface face à un heel et du heel face à un babyface. Ils sont plutôt rares, ne restent pas toujours dans ce rôle mais ils existent.
Si j'ai énuméré des caractéristiques typiques des heels j'ai aussi précisé qu'ils cochent rarement toutes ces cases. Ainsi, Gunther, un autre catcheur de la
WWE, est-il un heel dominant, implacable, cruel mais qui ne triche
jamais, une machine à tuer qui n'a pas besoin d'aide pour gagner et à
qui c'est plus l'orgueil que le respect des règles qui interdit de
tricher.
Certains heels sont même
très aimés du public qui chante leur thème d'entrée, communie avec eux au
début pour ensuite mieux les huer dés qu'ils tricheront ou se
comporteront mal. Cela a été le cas de Roman Reigns, le "chef tribal" et
son clan, la Bloodline, un clan de catcheurs issus d'une dynastie des
îles Samoa et qui demandait à chaque public de le reconnaître comme la
tête de la table (Head of the table) en levant le doigt en signe
d'allégeance (et le public levait le doigt).
Notons aussi que l'on voit maintenant des heels ne pas se priver de faire des mouvements spectaculaires et aériens. La première raison est que la catch est devenu plus rapide, plus en mouvement qu'avant et que c'est toujours plus agréable pour le spectateur de voir des esquives, des acrobaties et des sauts de la 3ème corde. L'autre raison est qu'il s'agit parfois du style du catcheur. Ainsi une catcheuse comme Iyo Sky, peut-être la meilleure technicienne actuelle, hommes et femmes confondus, n'a pas abandonné sin style de catch acrobatique, rapide et aérien durant toute la longue période où elle a été une championne heel aidée de son clan. Cela ne pose pas forcément de problème : le public actuel peut très bien applaudir un mouvement spectaculaire aux cris de "this is awesome" et la huer par la suite dés qu'elle trichera.
Moonsault de Iyo Sky sur Candice Leray
De même, si il y a encore quelques babyfaces archétypaux d'autres catcheurs sont plus "en relief", notamment lorsqu'ils sont babyfaces après de longues années passées en tant que heel. Ainsi ils peuvent s'autoriser à tricher si les autres le font ou à être brutaux et cruels si ils sont provoqués. Notons que ces comportements de heel sont toujours en réaction et jamais en première intention. Ils n'hésiterons pas à être cassants lors de confrontations au micro et à garder toujours une aura de danger.
C'est actuellement le cas de plusieurs catcheurs à la WWE comme Randy Orton, mais aussi Rhea Ripley et Damian Priest qui ont gardé le look sombre gothic-metal de leur période heel.
Nous avons ainsi une nouvelle génération de babyfaces "durs à cuire", "à qui on ne la fait pas" et qui peuvent répondre aux heels avec leurs armes, ou du moins jouer sur l'intimidation et la peur, ce qui marche particulièrement face à des heels lâches.
Les archétypes sont désormais moins purs, permettant plus de nuance, plus de variété dans le catch.
Roman Reigns en 2023 dans sa période Chef tribal où la foule lève le doigt en signe d'allégeance
Méchant et gentil en escrime de spectacle
Mais après avoir vu tout ça, que pouvons-nous en tirer pour notre propre pratique ? Nous faisons nous aussi du combat scénarisé, chorégraphié même (le catch ne l'est que partiellement) et nous avons aussi un public même si celui-ci est rarement impliqué dans le show alors que l'implication du public est dans l'ADN du catch. Enfin, sauf exception, nous avons plutôt des spectacles uniques et courts plutôt que des show hebdomadaires. Voyons néanmoins ce que nous pouvons en tirer et, là encore j'utiliserai mes archétypes de combattants (l'article est ici) et ainsi que l'approche de style d'escrime de l'Esprit de l'épée (article ici).
Le méchant, style et type d'escrime
Si il y a un méchant il faut que le public l'identifie d'emblée, nous avons peu de temps rappelons nous, il faut rapidement poser le personnage. Utilisons donc les défauts des heels et, le premier d'entre eux : l'arrogance. C'est facile mais très efficace pour se faire détester du public. Le méchant qui méprise son futur adversaire, le dénigre, joue les personnages hautains ça se pose rapidement et ça crée de la détestation. Au choix le méchant peut tout aussi bien être risible (vêtements grandiloquents, phrasé ridicule) qu'avoir une certaine classe qui fera qu'on l'aimera bien mais qu'on l'identifiera quand même comme le méchant.
Une autre possibilité c'est la tricherie et la lâcheté : attaquer dans le dos, par surprise, à plusieurs, ça pose un personnage également. On peut le combiner avec l'arrogance ou non. Ainsi des bandits qui tentent de rançonner à plusieurs un ennemi n'ont pas forcément besoin d'être arrogants mais ils seront des méchants quand même. Enfin, si on a une scène d'introduction on peut aussi présenter un méchant cruel qui fait du mal à des gens sans défenses, idéalement des enfants (là c'est sûr, le public vous détestera). Le gentil qui viendra réparer cette injustice sera forcément identifié.
Nosferatu, un méchant icônique et effrayant dans Nosferatu le vampire de Murnau - 1922
Au cours du combat le méchant peut tricher, soit en utilisant des ruses (comme celles de cet article), soit en combattant en nombre supérieur, soit simplement en n'ayant pas des armes équitables : par exemple il sort une dague en plus de sa rapière alors que son adversaire n'en a pas. De même un méchant vicieux et dominateur pourra être cruel, faire durer la souffrance avec un adversaire blessé ou simplement d'un niveau d'escrime inférieur et qu'il prendra plaisir à humilier. Laissez parler votre imagination !
Pour ce qui est du style d'escrime le méchant aura tendance à privilégier des styles moins élégants, moins basés sur la technique. Si il ne sait pas vraiment se battre ça sera plutôt un bandit. Pour les niveaux intermédiaires la brute est idéale (l'autodidacte possible comme une sorte de bandit évolué) et pour le combattant d'élite, le vieux briscard est le mieux adapté... encore qu'un méchant très arrogant peut aussi être un artiste qui se vante de la supériorité de son escrime et de sa technique. L'athlète, qui bouge beaucoup et dans tous les sens semble moins adapté (mais toujours possible). Pour des sbires ou des sous-fifres on peut avoir des bons élèves (par exemple des soldats britanniques dans un contexte de piraterie) voire des suicidaires (si le méchant est une sorte de gourou de secte ou de magicien surpuissant). Au niveau de l'approche du combat le méchant aura facilement un profil qui cherche à piéger son adversaire comme le presseur ou le contreur. Le presseur est probablement le profil le plus archétypal : un escrimeur qui avance vers son adversaire, le met sous pression, le forçant à commettre une erreur, de quoi avoir beaucoup d'empathie pour le gentil et mettre en avant aussi bien la cruauté que la ruse.
Les Gardes du Cardinal sont un peu l'archétype des méchants nombreux d'un niveau moyen à l'escrime (ici dans Les Trois Mousquetaires de George Sydney - 1948)
Le gentil, comment l'animer
Le gentil va être plus difficile à identifier rapidement. Il peut l'être par un costume explicite (avec du blanc notamment) mais il le sera principalement par opposition aux actes du méchant. Il en sera soit la victime, soit celui qui s'y oppose vaillamment.
Comme le babyface, le gentil de l'escrime ne fait pas de coup de traître, n'emploie pas de ruse et se bat à la loyale. De façon caricaturale il peut même attendre que son adversaire se relève voir lui rendre son épée si il l'a désarmé (vous savez que je déteste cet artifice, mais si quelqu'un le fait c'est plutôt le gentil). C'est d'ailleurs cette loyauté qui peut le perdre. Notons qu'on peut imaginer un gentil employer des ruses mais uniquement si il est faible : un enfant mal armé luttant contre une homme fait et vigoureux, bien armé et entraîné, ou alors seulement après que le méchant ait commencé à se battre de façon déloyale.
Au niveau de on type de personnage le gentil sera plutôt un novice si il ne sait pas se battre, un bon élève si il a appris à le faire et, pour les excellents escrimeurs, l'artiste et l'athlète sont les rôles qui lui conviennent le mieux. Un gentil vieux briscard est toujours possible mais ça sera alors l'équivalent du heel "dur à cuire", le vétéran qui vient sauver un innocent ou vient à la rescousse de son élève. De même, un gentil suicidaire serait un parent qui défend son enfant ou quelqu'un qui décide de se sacrifier pour ses compagnons.
Du point de vue profil d'escrimeur le gentil aura de préférence un profil assez direct : conquérant ou défenseur plutôt que presseur ou contreur.
Je vous laisse lire cette citation de Georges Dubois avant de continuer :
"Il est évident qu'un grand premier rôle ne devra pas, des la mise en garde, ressembler au cauteleux et antipathique traitre c1assique. Autant celui-ci devra écraser sa garde, multiplier les feintes et tourner sournoisement autour de son adversaire, autant le premier sera hautain, méprisant. Ses parades seront sèches, autoritaires, ses ripostes nettes et, s'il doit vaincre, il devra choisir entre une foudroyante riposte de pied ferme ou un arrêt insolent, par une passe élégante. S'il doit être vaincu, il devra donner 1'impression, dés le début, de la puissance et de la loyauté de son jeu, le traitre ne le tuera que par un coup d'aspect déloyal, venant d'en bas, le frappant au ventre."
Georges Dubois, Escrime au théâtre - 1910
Thomas Marshal, le templier héros du film Ironclad, le sang des Templiers par Jonathan English - 2011, un archétype du héros chevaleresque et courageux
Jouer avec ces archétypes
Nous devons également parler des oppositions entre méchant(s) et gentil(s) et notamment du niveau des combattants. En catch, selon ce que l'on appelle le "momentum", les catcheurs ont un niveau supposé qui dépend beaucoup de si ils sont "pushés" par les organisateurs, de leur réputation et aussi de leur popularité. On sait ainsi souvent que tel catcheur est perçu comme plus fort, moins fort ou de niveau équivalent. En escrime artistique on a presque toujours des personnages différents, sans passé avec le public et l'on doit donc décider pour chaque scénario du niveau de combattant de chacun. Comme je l'avais expliqué à l'époque dans l'article, cela se choisit aussi en fonction des qualités de l'escrimeur de spectacle : de son niveau dans l'art mais aussi de ses affinités et qualités physiques.
Le combat le plus classique oppose deux adversaires de niveau équivalent même si il est intéressant qu'ils aient quand même des types différents ou, au moins, des profils différents. Mais si un combattant doit être plus faible que l'autre dans un duel, alors c'est forcément le gentil. Il va alors lutter courageusement contre un adversaire plus fort que lui qui le fera souffrir, l'humiliera et sa victoire sera alors plus forte, ou sa défaite plus tragique malgré tout son courage. En dehors d'un scénario plus complexe, plus long (un combat qui s'inscrirait dans une pièce de théâtre, un court ou long métrage, une série et donc ne serait pas le dernier du spectacle), il y a peu de scénarios où l’inverse est vraiment intéressant (même si le Baron me suggère l'idée d'un méchant qui essaierait en, vain toutes les fourberies sans jamais réussir).
En revanche, quand on a des combats à un contre plusieurs là on peut aussi bien avoir des méchants ou des gentils plus faibles que celui qui est seul. Les méchants s'allieront lâchement contre un héros courageux tandis que les gentils affronteront courageusement ensemble un méchant surpuissant et invincible (oui c'est le même scénario mais les méchants sont méchants). Avec des groupes plus nombreux on peut évidemment mélanger les niveaux et créer des moments où on retrouvera ces oppositions.
Évidemment, même si j'ai décrit les styles de combat archétypaux on peut toujours jouer avec et faire le contraire. L'un des exemple les plus célèbres est le duel de fin de Rob Roy : Rob Roy Mac Gregor, le courageux chef de famille, chef de clan écossais, grand, puissant mais à l'escrime peu subtile affronte la fine lame anglaise Archibald Cunningham, d'un niveau bien supérieur et développant une escrime bien plus élaborée. Ici c'est bien le gentil qui a un niveau inférieur au méchant mais il a plutôt un profil de brute quand l'autre est un artiste de l'épée. Néanmoins son style brutal fait écho à son statut d'homme simple des Highlands, loin des raffinements sophistiqués de Londres. Avec un bon scénario on peut tout faire, mais il faut que ça garde du sens !
Le duel final de Rob Roy, réalisé par Michael Caton-Jones en 1995
Nous n'avons pas évoqué les turns, a priori la plupart de nos scénarios sont trop court pour pouvoir développer un turn. En dehors des pièces de théâtre, des spectacles longs ou des courts ou longs métrages les personnages ne restent pas assez longtemps incarnés pour qu'un changement de camp soit pertinent. C'est en effet difficile mais pas forcément impossible ni inintéressant, dans les deux sens. Ainsi, dans un combat à plusieurs on peut imaginer un face turn, d'un sbire ou d'un suivant qui se retournerait contre son chef méchant qui l'aurait trop humilié tout au long du scénario. À l'inverse un ami du gentil pourrait le trahir à la fin. Mais en revanche il ne faut pas que cela paraisse artificiel, il faut que le public comprenne les raisons de cette trahison qui doit être bien mise en scène. Les raisons doivent être évidentes pour les spectateurs ou, si c'est moins le cas, elles doivent être explicitées clairement par celui qui change de camp. Ce n'est pas forcément facile à mettre en scène mais c'est un rebondissement fort qu'il ne faut pas écarter d'emblée.
Je n'ai volontairement pas parlé de qui doit gagner. Tout dépend si vous voulez une fin morale ou non. Dans un spectacle de Noël ou devant un public d'enfants cela semble préférable que le gentil gagne, mais pour le reste amusez -vous, et n'hésitez pas à traumatiser votre public, en fait il adore ça !
La fin du Retour du Jedide Georges Lucas - 1983, peut-être le face turn le plus iconique du cinéma
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Voici donc ce que je pouvais vous dire sur cette opposition heel/babyface qui est fondamentale dans le catch et qui fait écho à notre discipline. On n'est pas obligé de la mettre en scène mais il faut reconnaitre qu'elle a l'avantage de bien plus impliquer le public émotionnellement et de lui faire vivre quelquechose de plus qu'une démonstration d'escrime. Le catch ayant beaucoup creusé ces archétypes je trouvais intéressant d'en parler ici pour vous donner des idées. N'oubliez pas que le plus important est la cohérence de votre personnage : celui-ci doit garder la même attitude, le même style d'escrime tout au long de votre combat... sauf si le scénario le justifie. Construisez des personnages, leur caractère, leur costume, leur escrime et soyez cohérents avec.
Le Jeu de rôle (jdr) est issu du wargame et, à ce titre, les combats sont souvent une composante importante des parties de jdr. Les règles de combat des premiers jeux de rôle sont donc issues de wargames avec figurines et n'ont cessé d'évoluer et d'être "perfectionnées" au cours des presque 50 ans d'existence du jeu de rôle. Malheureusement ces règles ont été créées par des gens qui étaient souvent en école d'ingénieur et ne connaissaient rien au combat et encore moins à l'escrime médiévale. À leur corps défendant, sur ce dernier point il n'existait pas, dans les années 70, 80 ou même 90 toutes les transcriptions, études et traductions que le web a permis de mettre en commun et de rendre accessible.
Des sortes de traditions se sont ensuite installées malgré quelques tentatives et l'on se retrouve avec des systèmes de combat soit simple et peu crédibles, soit compliqués et basés sur des tactiques qui ont très peu à voir avec les réalités martiales (sans parler de la réalité de l'escrime historique). Du coup je me suis souvent demandé ce que cela faisait si on mettait ça en scène, si l'on montait un combat chorégraphié respectant parfaitement les règles d'un jeu de rôle. Certes des jeux vidéos comme Baldur's Gate et Neverwinter nights l'avaient un peu fait mais qu'est-ce que ça donnerait avec de vrais personnes ? C'est l'idée qui est à l'origine de mon dernier court-métrage, Guet-apens, une aventure de D&D. Mais on va examiner ici le sujet du combat plus avant.
On va ici se pencher sur le plus vieux des jdrs, l'un des plus joués aussi : Donjons et Dragons (D&D), et j'ai choisi d'utiliser la version 3.5, une version ancienne (2003) mais classique, probablement encore une des plus jouées, surtout si l'on compte le jeu Pathfinder qui utilise pratiquement les mêmes règles. Nous devons d'abord nous pencher sur les spécificités du combat dans D&D avant de voir ce qu'on peut faire pour en faire un combat scénique regardable.
Guet-apens, une aventure de D&D est le court-métrage issu de toutes ces réflexions et sur l'expérience duquel je base cet article.
Les caractéristiques du combat dans Donjons & Dragons
Les bases du combat dans le jeu
Le combat est, dans Donjons et Dragons, résolu par des jets de dés comme c'est le cas dans la majorité des jeux de rôle. Il est divisé en "round" , une unité de temps dont on nous dit qu'elle fait environ 6 secondes. C'est à peu près la même chose dans tous les jdr et pour le coup cette unité de temps nous semble assez raisonnable pour la durée de ce que nous appellerions une "phrase d'armes".
Il y a deux jets : un jet pour toucher et un jet de dégâts pour déterminer la gravité de la blessure infligée. Le jet pour toucher est d'abord déterminé par l'expérience du personnage dans sa "classe de personnage", ainsi un guerrier sera plus habile pour toucher un ennemi qu'un magicien. Des facteurs secondaires interviennent pour donner des bonus comme le fait que l'on manie une arme magique, que l'on ait reçu une bénédiction magique et, principalement, la force physique. Cela peut nous paraître un peu étrange parce que, bon, être costaud n'implique pas d'être plus adroit à l'épée, mais on va supposer ici qu'il s'agit surtout d'explosivité. Celle-ci est en effet un atout pour toucher, se projeter rapidement vers l'adversaire, de plus loin.
Le jet pour toucher se fait contre une valeur que l'on appelle la "classe d'armure" (CA), celle-ci est d'abord déterminée par l'armure que porte l'adversaire, plus son armure est lourde et complète, plus il est difficile de le toucher. On imagine donc qu'on touche au défaut de l'armure ou en tapant vraiment fort. La classe d'armure est modifiée par des objets magiques et également par la caractéristique "Dextérité" du sujet. Comme il faut qu'il soit conscient de l'attaque pour l'utiliser on suppose qu'il s'agit d'une forme d'esquive. Dans cette version le bonus d'esquive est le même en armure de plates qu'en gambison. C'est la seul chose d'ailleurs qui ressemble à une défense de la part de l'adversaire. Ainsi il sera aussi facile de toucher un vétéran qu'un novice portant la même armure.
Les armures telles que dessinées dans le livre du joueur de Donjons et Dragons 3.5
Une fois que l'attaque a réussi il faut ensuite déterminer les blessures. Les dégâts se font en fonction de l'arme augmentée d'un éventuel bonus (ou malus) de force de l'attaquant. Ce bonus est assez important allant de +1 à +4 pour un individu normal quand la plupart des armes font entre des dégâts allant du résultat d'un dé à quatre faces (d4) à celle d'un dé à douze faces (d12) ou deux dés à six faces (2d6). Notons que, c'est récurrent dans presque tous les jeux de rôles, la dague ne fait que 1d4 de dégâts et est souvent considérée comme une arme offensive alors qu'en réalité elle est tout aussi mortelle qu'une épée (c'est surtout le manque d'allonge qui handicapera le combattant).
Ces points de dégâts sont soustraits au points de vie (PV). À zéro points de vie le personnage tombe inconscient (et perd 1 PV par round tant qu'il n'est pas stabilisé), à -10 PV il est mort. Les points de vie dépendent le la classe de personnage et de sa "Constitution". Mais voilà, il y a, dans ce jeu, un système d'expérience par "niveaux", on devient plus adroit dans ses spécialités à chaque niveau et, surtout, on gagne des points de vie. Et on arrive très vite à des chiffres très élevés qui grimpent bien plus vite que les points de dégâts (qui normalement sont stables sauf techniques particulières). Ainsi, un guerrier niveau 1 avec 14 en Constitution aura 12 PV, un magicien du même niveau en aura 6 ; mais au niveau 6 par exemple, le guerrier aura en moyenne 49-50 et le magicien 28 ou 29. Une épée à une main maniée par un guerrier de force 14 inflige 1d8+2 de dgts. Au niveau 1 il faudra donc en moyenne, 2 coups réussis pour abattre le guerrier et un pour le magicien, mais au niveau 6 c'est 8 coups pour abattre le guerrier et 6 pour le magicien !
Même si il y a eu des tentatives pour définir les points de vie comme autre chose que de la résistance, dans la tête de la plupart des joueurs on a quand même une blessure. C'est implicitement admis dans la tête de beaucoup de joueurs qu'il faudra plusieurs blessures pour abattre un personnage et voir ses points de vie descendre peu à peu et espérer que ceux de l'adversaire descendent plus vite est une source d'adrénaline. Les blessures n'handicapent pas non plus le personnage qui agit toujours aussi facilement (après, ça se discute avec l'adrénaline qui fait qu'on ne sent pas la douleur). Il y a donc le syndrome du "m'en fout m'en reste un !", celui du personnage au bord de la mort mais qui continue à se battre avec l'énergie du désespoir.
Autre bizarrerie des règles de donjons et dragons, la notion d'initiative. Elle est issue du monde des wargames avec figurines et détermine l'ordre d'action des participants au combat. Ainsi, chacun attaque (ou lance un sort, ou fait autre chose) à son tour d'action, dans un ordre bien défini. L'initiative dépend de la caractéristique "Dextérité" et seuls des pouvoirs spécifiques peuvent agir dessus. C'est une notion qui pourrait encore avoir un sens dans un combat à distance (même si les facteurs sont bien plus complexes) mais qui n'a absolument aucun sens pour du combat de mêlée. L'initiative est une histoire détermination mais, surtout, de tactique. Relisez en ce sens l'article du Baron sur les quatre profils de base d'escrimeurs décrits dans l'Esprit de l'épée (ou revoyez notre vidéo). On peut très choisir d'attendre l'attaque adverse en la provoquant, soit comme un Blindeur en provoquant une ouverture pour inciter à l'attaque, soit comme un Presseur en avançant vers l'adversaire pour le mettre sous pression et le forcer à attaquer. L'initiative n'a martialement absolument aucun sens, mais elle est là et nous devons la prendre en compte si nous mettons en scène un combat.
Un combat de D&D 3.5 illustré dans le jeu vidéo Neverwinter Nights 2 (2006) édité par Atari
Des subtilités en plus
Vous trouvez ça technique et compliqué ? Ce n'est que la base. Il y manque encore les déplacements : chaque personnage peut aussi se déplacer en plus d'attaquer chaque round, de 9 mètres pour un humain sans armure et 6 mètres si il porte une armure lourde ou intermédiaire. Se relever enlève juste la moitié du déplacement et n'interdit pas de lancer une attaque, pour les auteurs de ces règles cela semble très facile à faire en combat. Néanmoins se relever provoque une attaque d'opportunité pour l'adversaire qui peut ainsi vous frapper. L'attaque d'opportunité est un peu comme une "zone de contrôle" de wargame qui permet de frapper tout ce qui passe à votre portée sans combattre. Cela sert notamment contre un magicien qui voudrait lancer un sort à portée de votre épée. En revanche l'action spécifique de "retraite" permet d'y échapper en sacrifiant son attaque.
Ajoutons à cela une particularité de D&D 3.5 : les pouvoirs spéciaux et les dons de combats. Il y en a énormément et je me limiterai ici à celles que nous avons utilisées pour le film Guet-apens, une aventure de D&D. La plus célèbre attaque spéciale est la fameuse "attaque sournoise" des personnages de la classe "roublard". Il s'agit d'une attaque d'assassin faite contre un personnage qui ne vous a pas repéré (dans le dos le plus souvent) ou lorsqu'un personnage est "pris en tenailles", c'est à dire qu'il combat déjà un adversaire et que vous arrivez dans son dos. Il y a aussi des dons permettant certaines attaques comme la "science du croc en jambe" qui permet d'essayer de faire chuter un adversaire sans subir une attaque d'opportunité que l'on subit normalement sans cette compétence, en ayant un bonus et en permettant une attaque avec son arme si cette manœuvre à réussi. Notons qu'un personnage à terre a -4 à la CA et qu'il va encore recevoir une attaque d'opportunité en se relevant. Le don "enchaînement" permet de porter immédiatement une attaque à un autre adversaire quand on vient d'en vaincre un.
Enfin ajoutons que les personnages des classes de combattants (guerriers, barbares, paladins, rôdeurs) ont une seconde attaque à partir du niveau 5.
Voilà, vous êtes prêts ? Personnellement je trouve ça très compliqué pour un résultat très éloigné de la simulation de la réalité. Mais bon, des tas de joueurs aiment ça. C'est un système de combat très technique, très tactique qui vous oblige à construire votre personnage et ses tactiques pour faire la différence. C'est probablement là qu'est le sel de ce système. Mais voyons maintenant ce qu'on peut en faire sur scène ou en vidéo.
La liste des dons dans le Manuel des joueurs de D&D 3.5
Mettre en scène un combat "orthodoxe"
Particularités et choix chorégraphiques
Que retenir pour l'escrimeur de spectacle qui veut monter un combat "orthodoxe" ? On le rappelle, l'exercice ici est de respecter à la lettre les règles de Donjons et Dragons 3.5.
Tout d'abord que l'on aura un ordre strict des attaques à respecter : chaque personnage attaque à son tour de jeu et les seules autres attaques possibles en dehors de ces temps sont les attaques d'opportunité. Il est donc nécessaire de diviser le combat en "rounds", de le rythmer en fonction de cela quand on le construit. On peut se poser la question de tenter d'expliquer pourquoi tel ou tel personnage agit avant en montrant sa vivacité.
Ensuite vient l'attaque en elle-même, comment la simuler, la montrer ? On peut d'abord penser à une phrase d'armes qui aboutit sur une touche de l'attaquant ou une non touche de celui-ci, cela supposerait donc que le défenseur pare et, éventuellement riposte et est contré. Dans ce cas il ferait la même chose un peu après à son tour. Cela nous semble ajouter de la confusion et gêner la lisibilité sur qui attaque. Donc il faut qu'un seule attaque, avec une seule attaque ou un enchaînement d'attaques logique : une première attaque met en difficulté et la suivante ou celle d'après touche. Et d'ailleurs, où toucher quand on a un combat d'abord fait pour le combat en armure ?
Le système de classe d'armure suppose implicitement de toucher au défaut de l'armure ou sur une armure pas assez protectrice. Comment visualiser un coup qui touche ? Sur une armure de plates complète il y a très peu de zones non protégées : les aisselles, le bas-ventre et l'arrière des cuisses. On pourrait ajouter le visage mais nous sommes en escrime de spectacle et ces coups sont trop dangereux, encore plus si ils devaient toucher ! Nous pouvons donc éventuellement supposer qu'un coup bien puissant sur le crâne, ou, éventuellement, sur l'armure peut occasionner lui aussi des dommages et donc simuler un coup qui touche.
Il faut aussi se préparer à ce qu'il y ait de nombreuses blessures, on va toucher et blesser très souvent car les personnages ont beaucoup de points de vie. C'est totalement contraire à notre culture d'escrime artistique où on gagne souvent le combat avec une blessure. Et même si toutes les blessures de nos scénario ne sont pas mortelles c'est à chaque fois un événement scénaristique. Ici les personnages se feront blesser à de nombreuses reprises et continueront de se battre. C'est un peu ce qu'on voit dans le jeu vidéo Soulcalibur ou encore, avec des armes à feu, dans de nombreux films du réalisateur John Woo (surtout sa période Hongkongaise) : le héros blessé à de multiples reprises qui continue le combat. Au final le public se fait à cette idée malgré tout la suspension consentie de l'incrédulité officie.
Cela nous pousse aussi vers un style de combat épique et héroïque où l'on ne doit pas hésiter à mettre en scène les spécificités et notamment l'emploi de dons ou de pouvoirs spéciaux. En vidéo le ralenti peut être approprié pour ces moments spéciaux.
Je parle de CE genre de films de John Woo (ici Syndicat du crime 2 de 1987) où tout le monde finit blessé de multiples balles, à deux doigts de la mort mais où on continue quand même le combat. Et il y a forcément des ralentis !
Mise en pratique : le combat de Guet-apens
Cela faisait des années que ce projet trottait dans ma tête sans avoir trouvé les gens motivés pour le réaliser. En effet, on l'a vu plus haut l'armure est essentielle dans le système de jeu et les escrimeurs artistiques possèdent rarement des armures. On en trouve beaucoup plus chez les GNistes (les personnes qui pratiquent le jeu de rôle grandeur nature) mais ceux-ci n'ont en général pas l'habitude de se battre avec des armes d'acier et ils ont même rarement une formation martiale correcte. Ajoutons que je savais qu'on n'aurait probablement pas des dizaines d'heures de répétition devant nous et qu'il fallait donc recruter des gens ayant une très bonne maîtrise des armes pour réussir à sortir quelquechose de présentable à la caméra avec une demie-journée de répétition.
J'ai finalement recruté deux amis faisant de la reconstitution historique où ils pratiquent le combat individuel et en groupe. Le niveau d'escrime des reconstituteurs est très variable et parfois très sommaire ou même dangereux mais ce n'est pas le cas de mes amis qui mettent en avant dans leur formation le contrôle de lame et la crédibilité des gestes. Ajoutons qu'ils pratiquent chacun depuis plus de quinze ans et j'avais les candidats idéaux.
Mais trois personnes ce n'était pas forcément assez, pour que cela ressemble à une partie de jeu de rôle il me fallait au moins deux héros (idéalement trois ou quatre mais bon...) et donc au moins autant de méchants d'où l'idée d'une magicienne qui éliminait un autre personnage et qui se faisait tuer juste après avec une attaque sournoise. Parce que après tout... "wizards first !" comme on dit. Cela laissait rapidement le combat aux trois personnes entraînées à manier les armes tout en permettant de mettre plus de gens au début et éviter de faire manier une épée à des personnes qui n'y sont pas entraînées. À la réflexion il aurait probablement été possible de faire survivre la magicienne et de lui faire lancer des sorts plus longtemps sans que cela soit dangereux. L'autre problème aurait été de créer les effets spéciaux, discipline pour laquelle je n'ai aucune compétence et pour laquelle j'ai dû bricoler.
Tous ces plans ont donc conditionner les personnages et même leurs niveaux : un roublard avec suffisamment de niveaux d'attaque sournoise pour éliminer une magicienne en une fois et deux profils de combattants pour donner corps au combat. La présence du roublard permettait aussi de matérialiser la prise en tenaille. Faire du héros un paladin collait bien avec son harnois poli miroir et laissait quelques possibilités scénaristiques qui ont été exploitées dans le film. Je voulais aussi que le paladin ait deux attaques ce qui supposait qu'il soit au moins du niveau 5. On se retrouvait donc avec une magicienne (Perwinelle l'étincelle) et une barde (Iulia langue-de-miel) toutes les deux très vite hors de combat et donc, rapidement, un paladin (Justin le juste) opposé à un guerrier nain (Mac le fracasseur) et à un roublard (Geralt le fourbe), de niveaux légèrement inférieurs pour lui permettre de gagner. Les deux héros devaient avoir le même niveau, ici le niveau 6. Le roublard devait être de niveau 5 pour avoir au moins +3d6 en attaque sournoise et ses deux acolytes pouvaient donc être de niveau 4.
Justin le juste, paladin d'Heuroneus, le vrai héros de ce combat.
Pour avoir à peu près les bons niveaux de points de vie les personnages ne sont pas forcément optimisés, de même pour les caractéristiques qui devaient être crédibles aussi avec nos physiques. Le choix des armes et des armures s'est fait sur plusieurs critères : ce que nous possédions, ce qui était pertinent, ce qui laissait plus de possibilités de maniement et ce qui était visuels. D'où le choix d'une épée longue, une "épée bâtarde" tenue à deux mains pour le jeu alors que les paladins vont souvent avoir un bouclier pour avoir une classe d'armure encore plus élevée. Même si le combattant sait manier le bouclier il reste plus à l'aise à l'épée longue. De plus cette arme offre plus de possibilités martiales et reste plus visuelle. Pour le roublard l'épée courte obéit aux mêmes règles : plus d'habitudes, plus de possibilités martiales et visuelles, d'autant que le corps à corps, normalement intrinsèquement lié à la dague, n'est pas trop pris en compte par le système de jeu. Pour le guerrier nain il fallait un marteau ou une hache. On oubliera rapidement les marteaux, compliqués pour de l'escrime chorégraphies, surtout où on doit beaucoup toucher (avec un marteau c'est l'arme que l'on a en main, pas un simulateur ou une arme neutralisée). Mes amis possédaient une petite hache à deux mains facile à manier malgré son manche un peu court et qui a parfaitement fait l'affaire.
Geralt le fourbe, le vrai méchant de l'histoire
Nous avons essayé d'éviter au maximum le côté statique et d'avoir des mouvements crédibles pour rendre tout cela dynamique. Ainsi, si les actions se font bien dans l'ordre d'initiative elles sont parfois commencées avant comme lorsque Geralt le fourbe avance sur Perwinelle qui a juste le temps de lancer un sort avant de subir une attaque sournoise. De même Geralt, en opportuniste, rentre et ressort du combat juste le temps de donner un coup vicieux par derrière. Parfois les personnages s'avancent comme prêts à frapper alors que ce n'est pas leur tour mais c'est un peu la seule condition pour rendre le tout dynamique et, malgré tout, l'ordre du tour est respecté. Ainsi lorsque Mac le fracasseur effectue son croc-en-jambe, comme il a science du croc-en-jambe il ne subit pas d'attaque d'opportunité (comme c'est annoncé par le Maître de Jeu), nous l'avons traduit par le fait qu'il neutralise l'attaque de Justin le Juste en brisant la distance, c'est d'ailleurs presque la seule parade de tout le combat !
Mac le fracasseur, le guerrier nain coriace.
Pour la construction en elle-même elle s'articule en plusieurs temps forts : d'abord l'élimination de deux personnages puis une certaine domination de Justin le Juste le paladin avant qu'une manœuvre réussie de Mac le Fracasseur, une croc-en-jambe ne le mette en difficulté, au sol, les défenses réduites et finalement à deux doigts de la mort après s'être relevé. Il parvient cependant, in extremis, à vaincre en un round ses deux adversaires grâce au don enchaînement.
Au final ce combat parvient à illustrer un échantillon assez vaste des possibilités du jeu tout en restant gérable à monter puisque les combats de groupe sont toujours beaucoup plus compliqués à chorégraphier. Nous aurions aimé avoir plus de temps pour parfaire nos placements, améliorer certains coups mais nous avons aussi dû faire avec les contraintes matérielles dont nous disposions. Nous espérons néanmoins que le résultat reste intéressant, tant pour le pratiquant de jeu de rôles que pour le public. Vous pourrez d'ailleurs visualiser ci-après une version du combat où les actions sont décrites minutieusement round par round, action après action.
Le combat de Guet-apens séquencé pour mieux voir les mécanismes de jeu
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Au final je dois dire que je suis assez étonné du résultat consistant à monter un combat respectant les règles d'un jeu de rôle aussi éloigné d'un combat crédible. Je m'attendais à un résultat assez ridicule et bizarre et finalement ce n'est pas le cas. Certes, c'est probablement étrange pour quelqu'un qui a des notions de combat ou qui est attaché à la crédibilité d'une blessure. Mais il faut croire que certains films ou jeux vidéos nous ont habitué à voir des héros blessés continuer à se battre. Et l'on voit aussi ici une certaine résistance, l'idée que l'énergie vitale décroît et que tous les combattants risquent de tomber à tout moment jusqu'à être sauvé par un jet de dé miraculeux. Étrangement cela fonctionne même en vidéo.