Blog anonyme sur l'escrime historique en général et sa version chorégraphiée en particulier. Il y aura des réflexions et des critiques en essayant d'être constructif.
Le Jeu de rôle (jdr) est issu du wargame et, à ce titre, les combats sont souvent une composante importante des parties de jdr. Les règles de combat des premiers jeux de rôle sont donc issues de wargames avec figurines et n'ont cessé d'évoluer et d'être "perfectionnées" au cours des presque 50 ans d'existence du jeu de rôle. Malheureusement ces règles ont été créées par des gens qui étaient souvent en école d'ingénieur et ne connaissaient rien au combat et encore moins à l'escrime médiévale. À leur corps défendant, sur ce dernier point il n'existait pas, dans les années 70, 80 ou même 90 toutes les transcriptions, études et traductions que le web a permis de mettre en commun et de rendre accessible.
Des sortes de traditions se sont ensuite installées malgré quelques tentatives et l'on se retrouve avec des systèmes de combat soit simple et peu crédibles, soit compliqués et basés sur des tactiques qui ont très peu à voir avec les réalités martiales (sans parler de la réalité de l'escrime historique). Du coup je me suis souvent demandé ce que cela faisait si on mettait ça en scène, si l'on montait un combat chorégraphié respectant parfaitement les règles d'un jeu de rôle. Certes des jeux vidéos comme Baldur's Gate et Neverwinter nights l'avaient un peu fait mais qu'est-ce que ça donnerait avec de vrais personnes ? C'est l'idée qui est à l'origine de mon dernier court-métrage, Guet-apens, une aventure de D&D. Mais on va examiner ici le sujet du combat plus avant.
On va ici se pencher sur le plus vieux des jdrs, l'un des plus joués aussi : Donjons et Dragons (D&D), et j'ai choisi d'utiliser la version 3.5, une version ancienne (2003) mais classique, probablement encore une des plus jouées, surtout si l'on compte le jeu Pathfinder qui utilise pratiquement les mêmes règles. Nous devons d'abord nous pencher sur les spécificités du combat dans D&D avant de voir ce qu'on peut faire pour en faire un combat scénique regardable.
Guet-apens, une aventure de D&D est le court-métrage issu de toutes ces réflexions et sur l'expérience duquel je base cet article.
Les caractéristiques du combat dans Donjons & Dragons
Les bases du combat dans le jeu
Le combat est, dans Donjons et Dragons, résolu par des jets de dés comme c'est le cas dans la majorité des jeux de rôle. Il est divisé en "round" , une unité de temps dont on nous dit qu'elle fait environ 6 secondes. C'est à peu près la même chose dans tous les jdr et pour le coup cette unité de temps nous semble assez raisonnable pour la durée de ce que nous appellerions une "phrase d'armes".
Il y a deux jets : un jet pour toucher et un jet de dégâts pour déterminer la gravité de la blessure infligée. Le jet pour toucher est d'abord déterminé par l'expérience du personnage dans sa "classe de personnage", ainsi un guerrier sera plus habile pour toucher un ennemi qu'un magicien. Des facteurs secondaires interviennent pour donner des bonus comme le fait que l'on manie une arme magique, que l'on ait reçu une bénédiction magique et, principalement, la force physique. Cela peut nous paraître un peu étrange parce que, bon, être costaud n'implique pas d'être plus adroit à l'épée, mais on va supposer ici qu'il s'agit surtout d'explosivité. Celle-ci est en effet un atout pour toucher, se projeter rapidement vers l'adversaire, de plus loin.
Le jet pour toucher se fait contre une valeur que l'on appelle la "classe d'armure" (CA), celle-ci est d'abord déterminée par l'armure que porte l'adversaire, plus son armure est lourde et complète, plus il est difficile de le toucher. On imagine donc qu'on touche au défaut de l'armure ou en tapant vraiment fort. La classe d'armure est modifiée par des objets magiques et également par la caractéristique "Dextérité" du sujet. Comme il faut qu'il soit conscient de l'attaque pour l'utiliser on suppose qu'il s'agit d'une forme d'esquive. Dans cette version le bonus d'esquive est le même en armure de plates qu'en gambison. C'est la seul chose d'ailleurs qui ressemble à une défense de la part de l'adversaire. Ainsi il sera aussi facile de toucher un vétéran qu'un novice portant la même armure.
Les armures telles que dessinées dans le livre du joueur de Donjons et Dragons 3.5
Une fois que l'attaque a réussi il faut ensuite déterminer les blessures. Les dégâts se font en fonction de l'arme augmentée d'un éventuel bonus (ou malus) de force de l'attaquant. Ce bonus est assez important allant de +1 à +4 pour un individu normal quand la plupart des armes font entre des dégâts allant du résultat d'un dé à quatre faces (d4) à celle d'un dé à douze faces (d12) ou deux dés à six faces (2d6). Notons que, c'est récurrent dans presque tous les jeux de rôles, la dague ne fait que 1d4 de dégâts et est souvent considérée comme une arme offensive alors qu'en réalité elle est tout aussi mortelle qu'une épée (c'est surtout le manque d'allonge qui handicapera le combattant).
Ces points de dégâts sont soustraits au points de vie (PV). À zéro points de vie le personnage tombe inconscient (et perd 1 PV par round tant qu'il n'est pas stabilisé), à -10 PV il est mort. Les points de vie dépendent le la classe de personnage et de sa "Constitution". Mais voilà, il y a, dans ce jeu, un système d'expérience par "niveaux", on devient plus adroit dans ses spécialités à chaque niveau et, surtout, on gagne des points de vie. Et on arrive très vite à des chiffres très élevés qui grimpent bien plus vite que les points de dégâts (qui normalement sont stables sauf techniques particulières). Ainsi, un guerrier niveau 1 avec 14 en Constitution aura 12 PV, un magicien du même niveau en aura 6 ; mais au niveau 6 par exemple, le guerrier aura en moyenne 49-50 et le magicien 28 ou 29. Une épée à une main maniée par un guerrier de force 14 inflige 1d8+2 de dgts. Au niveau 1 il faudra donc en moyenne, 2 coups réussis pour abattre le guerrier et un pour le magicien, mais au niveau 6 c'est 8 coups pour abattre le guerrier et 6 pour le magicien !
Même si il y a eu des tentatives pour définir les points de vie comme autre chose que de la résistance, dans la tête de la plupart des joueurs on a quand même une blessure. C'est implicitement admis dans la tête de beaucoup de joueurs qu'il faudra plusieurs blessures pour abattre un personnage et voir ses points de vie descendre peu à peu et espérer que ceux de l'adversaire descendent plus vite est une source d'adrénaline. Les blessures n'handicapent pas non plus le personnage qui agit toujours aussi facilement (après, ça se discute avec l'adrénaline qui fait qu'on ne sent pas la douleur). Il y a donc le syndrome du "m'en fout m'en reste un !", celui du personnage au bord de la mort mais qui continue à se battre avec l'énergie du désespoir.
Autre bizarrerie des règles de donjons et dragons, la notion d'initiative. Elle est issue du monde des wargames avec figurines et détermine l'ordre d'action des participants au combat. Ainsi, chacun attaque (ou lance un sort, ou fait autre chose) à son tour d'action, dans un ordre bien défini. L'initiative dépend de la caractéristique "Dextérité" et seuls des pouvoirs spécifiques peuvent agir dessus. C'est une notion qui pourrait encore avoir un sens dans un combat à distance (même si les facteurs sont bien plus complexes) mais qui n'a absolument aucun sens pour du combat de mêlée. L'initiative est une histoire détermination mais, surtout, de tactique. Relisez en ce sens l'article du Baron sur les quatre profils de base d'escrimeurs décrits dans l'Esprit de l'épée (ou revoyez notre vidéo). On peut très choisir d'attendre l'attaque adverse en la provoquant, soit comme un Blindeur en provoquant une ouverture pour inciter à l'attaque, soit comme un Presseur en avançant vers l'adversaire pour le mettre sous pression et le forcer à attaquer. L'initiative n'a martialement absolument aucun sens, mais elle est là et nous devons la prendre en compte si nous mettons en scène un combat.
Un combat de D&D 3.5 illustré dans le jeu vidéo Neverwinter Nights 2 (2006) édité par Atari
Des subtilités en plus
Vous trouvez ça technique et compliqué ? Ce n'est que la base. Il y manque encore les déplacements : chaque personnage peut aussi se déplacer en plus d'attaquer chaque round, de 9 mètres pour un humain sans armure et 6 mètres si il porte une armure lourde ou intermédiaire. Se relever enlève juste la moitié du déplacement et n'interdit pas de lancer une attaque, pour les auteurs de ces règles cela semble très facile à faire en combat. Néanmoins se relever provoque une attaque d'opportunité pour l'adversaire qui peut ainsi vous frapper. L'attaque d'opportunité est un peu comme une "zone de contrôle" de wargame qui permet de frapper tout ce qui passe à votre portée sans combattre. Cela sert notamment contre un magicien qui voudrait lancer un sort à portée de votre épée. En revanche l'action spécifique de "retraite" permet d'y échapper en sacrifiant son attaque.
Ajoutons à cela une particularité de D&D 3.5 : les pouvoirs spéciaux et les dons de combats. Il y en a énormément et je me limiterai ici à celles que nous avons utilisées pour le film Guet-apens, une aventure de D&D. La plus célèbre attaque spéciale est la fameuse "attaque sournoise" des personnages de la classe "roublard". Il s'agit d'une attaque d'assassin faite contre un personnage qui ne vous a pas repéré (dans le dos le plus souvent) ou lorsqu'un personnage est "pris en tenailles", c'est à dire qu'il combat déjà un adversaire et que vous arrivez dans son dos. Il y a aussi des dons permettant certaines attaques comme la "science du croc en jambe" qui permet d'essayer de faire chuter un adversaire sans subir une attaque d'opportunité que l'on subit normalement sans cette compétence, en ayant un bonus et en permettant une attaque avec son arme si cette manœuvre à réussi. Notons qu'un personnage à terre a -4 à la CA et qu'il va encore recevoir une attaque d'opportunité en se relevant. Le don "enchaînement" permet de porter immédiatement une attaque à un autre adversaire quand on vient d'en vaincre un.
Enfin ajoutons que les personnages des classes de combattants (guerriers, barbares, paladins, rôdeurs) ont une seconde attaque à partir du niveau 5.
Voilà, vous êtes prêts ? Personnellement je trouve ça très compliqué pour un résultat très éloigné de la simulation de la réalité. Mais bon, des tas de joueurs aiment ça. C'est un système de combat très technique, très tactique qui vous oblige à construire votre personnage et ses tactiques pour faire la différence. C'est probablement là qu'est le sel de ce système. Mais voyons maintenant ce qu'on peut en faire sur scène ou en vidéo.
La liste des dons dans le Manuel des joueurs de D&D 3.5
Mettre en scène un combat "orthodoxe"
Particularités et choix chorégraphiques
Que retenir pour l'escrimeur de spectacle qui veut monter un combat "orthodoxe" ? On le rappelle, l'exercice ici est de respecter à la lettre les règles de Donjons et Dragons 3.5.
Tout d'abord que l'on aura un ordre strict des attaques à respecter : chaque personnage attaque à son tour de jeu et les seules autres attaques possibles en dehors de ces temps sont les attaques d'opportunité. Il est donc nécessaire de diviser le combat en "rounds", de le rythmer en fonction de cela quand on le construit. On peut se poser la question de tenter d'expliquer pourquoi tel ou tel personnage agit avant en montrant sa vivacité.
Ensuite vient l'attaque en elle-même, comment la simuler, la montrer ? On peut d'abord penser à une phrase d'armes qui aboutit sur une touche de l'attaquant ou une non touche de celui-ci, cela supposerait donc que le défenseur pare et, éventuellement riposte et est contré. Dans ce cas il ferait la même chose un peu après à son tour. Cela nous semble ajouter de la confusion et gêner la lisibilité sur qui attaque. Donc il faut qu'un seule attaque, avec une seule attaque ou un enchaînement d'attaques logique : une première attaque met en difficulté et la suivante ou celle d'après touche. Et d'ailleurs, où toucher quand on a un combat d'abord fait pour le combat en armure ?
Le système de classe d'armure suppose implicitement de toucher au défaut de l'armure ou sur une armure pas assez protectrice. Comment visualiser un coup qui touche ? Sur une armure de plates complète il y a très peu de zones non protégées : les aisselles, le bas-ventre et l'arrière des cuisses. On pourrait ajouter le visage mais nous sommes en escrime de spectacle et ces coups sont trop dangereux, encore plus si ils devaient toucher ! Nous pouvons donc éventuellement supposer qu'un coup bien puissant sur le crâne, ou, éventuellement, sur l'armure peut occasionner lui aussi des dommages et donc simuler un coup qui touche.
Il faut aussi se préparer à ce qu'il y ait de nombreuses blessures, on va toucher et blesser très souvent car les personnages ont beaucoup de points de vie. C'est totalement contraire à notre culture d'escrime artistique où on gagne souvent le combat avec une blessure. Et même si toutes les blessures de nos scénario ne sont pas mortelles c'est à chaque fois un événement scénaristique. Ici les personnages se feront blesser à de nombreuses reprises et continueront de se battre. C'est un peu ce qu'on voit dans le jeu vidéo Soulcalibur ou encore, avec des armes à feu, dans de nombreux films du réalisateur John Woo (surtout sa période Hongkongaise) : le héros blessé à de multiples reprises qui continue le combat. Au final le public se fait à cette idée malgré tout la suspension consentie de l'incrédulité officie.
Cela nous pousse aussi vers un style de combat épique et héroïque où l'on ne doit pas hésiter à mettre en scène les spécificités et notamment l'emploi de dons ou de pouvoirs spéciaux. En vidéo le ralenti peut être approprié pour ces moments spéciaux.
Je parle de CE genre de films de John Woo (ici Syndicat du crime 2 de 1987) où tout le monde finit blessé de multiples balles, à deux doigts de la mort mais où on continue quand même le combat. Et il y a forcément des ralentis !
Mise en pratique : le combat de Guet-apens
Cela faisait des années que ce projet trottait dans ma tête sans avoir trouvé les gens motivés pour le réaliser. En effet, on l'a vu plus haut l'armure est essentielle dans le système de jeu et les escrimeurs artistiques possèdent rarement des armures. On en trouve beaucoup plus chez les GNistes (les personnes qui pratiquent le jeu de rôle grandeur nature) mais ceux-ci n'ont en général pas l'habitude de se battre avec des armes d'acier et ils ont même rarement une formation martiale correcte. Ajoutons que je savais qu'on n'aurait probablement pas des dizaines d'heures de répétition devant nous et qu'il fallait donc recruter des gens ayant une très bonne maîtrise des armes pour réussir à sortir quelquechose de présentable à la caméra avec une demie-journée de répétition.
J'ai finalement recruté deux amis faisant de la reconstitution historique où ils pratiquent le combat individuel et en groupe. Le niveau d'escrime des reconstituteurs est très variable et parfois très sommaire ou même dangereux mais ce n'est pas le cas de mes amis qui mettent en avant dans leur formation le contrôle de lame et la crédibilité des gestes. Ajoutons qu'ils pratiquent chacun depuis plus de quinze ans et j'avais les candidats idéaux.
Mais trois personnes ce n'était pas forcément assez, pour que cela ressemble à une partie de jeu de rôle il me fallait au moins deux héros (idéalement trois ou quatre mais bon...) et donc au moins autant de méchants d'où l'idée d'une magicienne qui éliminait un autre personnage et qui se faisait tuer juste après avec une attaque sournoise. Parce que après tout... "wizards first !" comme on dit. Cela laissait rapidement le combat aux trois personnes entraînées à manier les armes tout en permettant de mettre plus de gens au début et éviter de faire manier une épée à des personnes qui n'y sont pas entraînées. À la réflexion il aurait probablement été possible de faire survivre la magicienne et de lui faire lancer des sorts plus longtemps sans que cela soit dangereux. L'autre problème aurait été de créer les effets spéciaux, discipline pour laquelle je n'ai aucune compétence et pour laquelle j'ai dû bricoler.
Tous ces plans ont donc conditionner les personnages et même leurs niveaux : un roublard avec suffisamment de niveaux d'attaque sournoise pour éliminer une magicienne en une fois et deux profils de combattants pour donner corps au combat. La présence du roublard permettait aussi de matérialiser la prise en tenaille. Faire du héros un paladin collait bien avec son harnois poli miroir et laissait quelques possibilités scénaristiques qui ont été exploitées dans le film. Je voulais aussi que le paladin ait deux attaques ce qui supposait qu'il soit au moins du niveau 5. On se retrouvait donc avec une magicienne (Perwinelle l'étincelle) et une barde (Iulia langue-de-miel) toutes les deux très vite hors de combat et donc, rapidement, un paladin (Justin le juste) opposé à un guerrier nain (Mac le fracasseur) et à un roublard (Geralt le fourbe), de niveaux légèrement inférieurs pour lui permettre de gagner. Les deux héros devaient avoir le même niveau, ici le niveau 6. Le roublard devait être de niveau 5 pour avoir au moins +3d6 en attaque sournoise et ses deux acolytes pouvaient donc être de niveau 4.
Justin le juste, paladin d'Heuroneus, le vrai héros de ce combat.
Pour avoir à peu près les bons niveaux de points de vie les personnages ne sont pas forcément optimisés, de même pour les caractéristiques qui devaient être crédibles aussi avec nos physiques. Le choix des armes et des armures s'est fait sur plusieurs critères : ce que nous possédions, ce qui était pertinent, ce qui laissait plus de possibilités de maniement et ce qui était visuels. D'où le choix d'une épée longue, une "épée bâtarde" tenue à deux mains pour le jeu alors que les paladins vont souvent avoir un bouclier pour avoir une classe d'armure encore plus élevée. Même si le combattant sait manier le bouclier il reste plus à l'aise à l'épée longue. De plus cette arme offre plus de possibilités martiales et reste plus visuelle. Pour le roublard l'épée courte obéit aux mêmes règles : plus d'habitudes, plus de possibilités martiales et visuelles, d'autant que le corps à corps, normalement intrinsèquement lié à la dague, n'est pas trop pris en compte par le système de jeu. Pour le guerrier nain il fallait un marteau ou une hache. On oubliera rapidement les marteaux, compliqués pour de l'escrime chorégraphies, surtout où on doit beaucoup toucher (avec un marteau c'est l'arme que l'on a en main, pas un simulateur ou une arme neutralisée). Mes amis possédaient une petite hache à deux mains facile à manier malgré son manche un peu court et qui a parfaitement fait l'affaire.
Geralt le fourbe, le vrai méchant de l'histoire
Nous avons essayé d'éviter au maximum le côté statique et d'avoir des mouvements crédibles pour rendre tout cela dynamique. Ainsi, si les actions se font bien dans l'ordre d'initiative elles sont parfois commencées avant comme lorsque Geralt le fourbe avance sur Perwinelle qui a juste le temps de lancer un sort avant de subir une attaque sournoise. De même Geralt, en opportuniste, rentre et ressort du combat juste le temps de donner un coup vicieux par derrière. Parfois les personnages s'avancent comme prêts à frapper alors que ce n'est pas leur tour mais c'est un peu la seule condition pour rendre le tout dynamique et, malgré tout, l'ordre du tour est respecté. Ainsi lorsque Mac le fracasseur effectue son croc-en-jambe, comme il a science du croc-en-jambe il ne subit pas d'attaque d'opportunité (comme c'est annoncé par le Maître de Jeu), nous l'avons traduit par le fait qu'il neutralise l'attaque de Justin le Juste en brisant la distance, c'est d'ailleurs presque la seule parade de tout le combat !
Mac le fracasseur, le guerrier nain coriace.
Pour la construction en elle-même elle s'articule en plusieurs temps forts : d'abord l'élimination de deux personnages puis une certaine domination de Justin le Juste le paladin avant qu'une manœuvre réussie de Mac le Fracasseur, une croc-en-jambe ne le mette en difficulté, au sol, les défenses réduites et finalement à deux doigts de la mort après s'être relevé. Il parvient cependant, in extremis, à vaincre en un round ses deux adversaires grâce au don enchaînement.
Au final ce combat parvient à illustrer un échantillon assez vaste des possibilités du jeu tout en restant gérable à monter puisque les combats de groupe sont toujours beaucoup plus compliqués à chorégraphier. Nous aurions aimé avoir plus de temps pour parfaire nos placements, améliorer certains coups mais nous avons aussi dû faire avec les contraintes matérielles dont nous disposions. Nous espérons néanmoins que le résultat reste intéressant, tant pour le pratiquant de jeu de rôles que pour le public. Vous pourrez d'ailleurs visualiser ci-après une version du combat où les actions sont décrites minutieusement round par round, action après action.
Le combat de Guet-apens séquencé pour mieux voir les mécanismes de jeu
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Au final je dois dire que je suis assez étonné du résultat consistant à monter un combat respectant les règles d'un jeu de rôle aussi éloigné d'un combat crédible. Je m'attendais à un résultat assez ridicule et bizarre et finalement ce n'est pas le cas. Certes, c'est probablement étrange pour quelqu'un qui a des notions de combat ou qui est attaché à la crédibilité d'une blessure. Mais il faut croire que certains films ou jeux vidéos nous ont habitué à voir des héros blessés continuer à se battre. Et l'on voit aussi ici une certaine résistance, l'idée que l'énergie vitale décroît et que tous les combattants risquent de tomber à tout moment jusqu'à être sauvé par un jet de dé miraculeux. Étrangement cela fonctionne même en vidéo.
Je crois que je l'ai entendu depuis ma première année d'escrime de spectacle : "il faut que le public comprenne ce que tu fais." Et cela a servi à justifier plein de choses, parfois aberrantes, comme de faire des grands gestes exagérés pour que le public "voit bien" voire de ne pas aller trop vite sinon "le public ne comprend rien". Récemment le Baron a abordé le sujet du public dans notre série sur les Excuses. je voudrais ici aborde le même sujet sous un autre angle, sur ce qu'il est pertinent ou non de faire pour que le public ne soit pas perdu dans notre numéro.
Avant tout reposons quelques bases : notre discipline consiste à simuler un combat armé entre deux personnages ou plus (même le solo entre dans cette définition, sauf qu'un seul des personnages est visible sur scène). On a donc un récit de combat, en principe on a une idée de pourquoi les personnages s'affrontent, chacun a son caractère, son style de combat, même de façon minimaliste, même évoqué. Le public voit donc un affrontement qui se termine par un dénouement : la mort de l'un de deux protagonistes, voire des deux, une reddition, une fuite, un abandon mutuel ou toute autre fin que l'on pourra imaginer. Il y a un début, un milieu, une fin, des rebondissements ou non, des espoirs, des interactions entre les deux personnages etc. Je sais que ça a l'air évident mais il faut bien garder ça en tête pour la suite.
J'affirme donc ici que le public n'a pas besoin de comprendre toute l'escrime qui est montrée, en revanche il doit comprendre les personnages et les étapes du combat. Voyons pourquoi.
Enchaînements au Messer dans le traité d'Albrecht Dürer Οπλοδιδασκαλια sive Armorvm Tractandorvm Meditatio Alberti Dvreri (1512)
Le public n'a pas besoin de comprendre toute l'escrime
Revenons-en à nos gestes amples voire ralentis "pour que le public voit bien". L'idée c'est d'exagérer parfois des gestes comme, par exemple, des coupés ou des dégagements pour que le public comprenne bien ce que font les lames car à une vitesse réaliste il est vrai qu'il faut être bien aguerri à l'escrime (entraînez vous à arbitrer du fleuret par exemple) pour voir ce qui se passe. Cela amène aussi à exagérer les armés, pistonner avant d'estoquer et autres techniques qui ralentissent le combat. En allant moins vite, c'est à dire en amplifiant les gestes, le public a plus de temps pour comprendre où vont les lames, c'est du moins l'argument qui nous est servi. Il en va de même de toute une philosophie disant de ne pas aller trop vite, ce que l'on a tendance à vouloir faire avec des lames très légères comme les lames triangulaires. Notons au passage qu'avec des lames plus lourdes le problème se pose moins, encore que certains gestes techniques soient difficile à comprendre pour un public non initié. C'est d'ailleurs le cas des coupés ou des dégagés pour un public qui ne connait pas, à moins de les faire vraiment au ralenti (c'était assez à la mode il y a 5-10 ans) je ne suis pas certain que le public perçoive vraiment ce qui se passe.
Mais en a-t-il vraiment besoin ? Durant les Jeux Olympiques les épreuves d'escrime sont toujours très regardées, croyez-vous que le public comprenne quelquechose à ce que font des escrimeurs du plus haut niveau mondial qui vont à toute vitesse ? Moi-même j'ai parfois du mal à suivre et j'ai besoin du ralenti, et donc, même avec celui-ci, je ne pense pas que tous les spectateurs comprennent. Cependant ce n'est visiblement pas bien grave puisqu'ils continuent à regarder, ils trouvent ça beau et "stylé" (comme disent les jeunes), ils voient que les escrimeurs sont doués et qu'ils vont vite, qu'il y a de l'action, de l'engagement etc. Ils apprécient même si ils ne comprennent pas tout.
Alors pourquoi en serait-il autrement en escrime de spectacle ? Ce qu'ils savent apprécier en escrime sportive ils peuvent tout aussi bien l'apprécier avec des costumes plus chatoyants et un jeu d'acteur non ? Il n'y a aucune raison tant que ça impressionne et donc, à ce propos, je recommanderai plutôt d'aller vite dans l'exécution pour montrer la virtuosité d'un escrimeur plutôt que d'espérer que le public comprenne qu'on a fait un coupé en ralentissant.
Ne me dites pas que le public comprend tout. Mais il aime bien regarder.
Le public doit comprendre le récit du combat et les personnages
Mais alors peut-on dire qu'on s'en moque, que le public n'a rien à comprendre et qu'il se débrouillera bien comme ça ? Eh bien non plus, mais l'enjeu est ailleurs. Ce que le public doit comprendre c'est le récit du combat, idéalement les gestes doivent lui faire deviner ce qui se passe dans la tête des escrimeurs. Je vais pour cela prendre quelques exemples parlants :
- Imaginons par exemple une série de coupés et de dégagés effectués par un escrimeur (A) tandis que son adversaire (B) montre une escrime plus simple, plus directe. Le public verra la virtuosité du premier et comprendra que son adversaire est soit moins bon, soit partisan d'une approche plus directe. On lui a donc fait comprendre quelquechose sans qu'il ait besoin de comprendre les détails. Imaginons ensuite que A, malgré sa virtuosité n'arrive finalement à rien, il s'énerve et passe à une approche lui aussi plus directe du combat, avec de forts battements, abandonnant sa vituosité pour devenir plus violent. Là aussi le public s'en apercevra, et on aura encore raconté quelquechose.
- Imaginons, dans un autre exemple, qu'au début du combat les deux adversaires se jaugent, cherchent à provoquer, à battre l'arme de l'autre, tentent une attaque timide, retraitent... pour arriver à une fin de combat plus engagée avec des phrases d'armes plus longues, plus directes, plus rapides. Ici encore on a un récit, on a fait comprendre quelquechose au public.
Ici est-ce que le public comprend tous les détails ? Non. Est-ce qu'il perçoit les intentions et les tactiques ? Oui.
Et c'est cela qui est, à mon sens, le plus important dans la compréhension d'un combat d'escrime par le public : que celui-ci comprenne bien le récit qu'on lui présente. Pas forcément tous les détails, mais les grandes étapes, la philosophie de celui-ci. Le public ne percevra pas forcément bien des dégagements et contre dégagements mais il comprendra qu'on pratique une escrime virtuose, il saura faire la différence avec une escrime plus directe, ou une escrime basé sur le mouvement et l'énergie, une escrime défensive ou encore une escrime toute en puissance.
Le public doit aussi bien comprendre les personnages, qui ils sont, comment ils pensent et, donc, comment ils escriment. Ce n'est pas pour rien que nous rabâchons sans cesse nos articles sur les types de personnages et les profils d'escrimeurs, c'est parce qu'ils servent de base à ce que doit être le récit de votre combat, celui que vous ferez à vos spectateurs, à votre public.
Ah oui, un dernier détail : les costumes. Cela a l'air un peu bête mais veillez à bien différencier vos combattants, surtout si ils ne sont pas physiquement différents (même genre, même gabarit sans différence flagrante de coiffure ou de couleur de peau ou de cheveux). Ça a l'air bête mais un gars d'1m80, 75kg, blanc aux cheveux brun ne sera pas facile à différencier d'un gars d'1m85, 80 kg blanc aux cheveux châtains. Pas pour un public qui ne les connait pas. Pensez donc à ce que leurs costumes les différencient clairement (couleurs, coupes, arrangements de vêtements différents).
Allez, je repartage cette vidéo d'Adorea où l'escrime évolue et se brutalise au cours du duel.
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On en vient donc à la conclusion de cet article où l'on voit qu'il ne faut pas faire fausse route dans ce que l'on veut faire comprendre au public. Celui-ci n'a pas besoin de comprendre toutes les passes d'armes, mais il doit comprendre quelle approche (ou absence d'approche) ont les différents personnages qui s'affrontent dans un combat d'escrime de spectacle. Ils doit comprendre leur caractère et, idéalement, avoir l'impression qu'il peut entrer dans leur tête. Pour cela, au lieu d'exagérer vos techniques, réfléchissez plutôt à la cohérence de vos personnages et à la cohérence du récit de votre combat.
Nous allons parler ici de la prise "marteau" en escrime artistique. Il s'agit d'une façon de prendre les armes à une main (voire à deux mains) en les serrant comme on tiendrait un marteau avec lequel on veut frapper très fort. Cette prise est naturelle, dans le sens où c'est en général la façon qu'on les non escrimeurs de tenir une épée (ou toute autre arme) quand on la leur met dans la main. Quand il s'agit de rapière ou d'épée de cour en général on leur explique juste après comment tenir correctement ces armes mais l'idée de tenir ainsi toutes les épées médiévales ou les sabres ne semble pas déranger les gens, même des maîtres d'armes reconnus qui posent pour des photos (gageons que ce n'était que pour faire un effet sur la photo).
Or c'est probablement une mauvaise idée en escrime artistique et cet article est là pour vous expliquer pourquoi et ce bien que cette prise soit historiquement sourcée. On va donc voir, dans un premier temps, les différentes façons de tenir une épée et leur intérêt martial avant de voir les soucis que ça pose en escrime de spectacle.
Vous avez même droit à une vidéo d'illustration !
La prise marteau : intérêt martial et artistique
La prise marteau ne s'appelle pas ainsi pour rien. Comme je l'ai dit plus haut, c'est celle qu'on prend avec un marteau quand on veut taper très fort et pas forcément en précision. C'est donc la même chose avec une arme : l'idée est de porter un coup de taille très puissant. Même avec une arme tranchante on coupera moins les tissus et les chairs qu'on ne choquera le corps. Imaginez un gros hachoir, vous allez peut-être trancher un peu mais vous avez surtout plus de chances de briser un os, de fendre une boîte crânienne, ou, à tout le moins de provoquer une commotion cérébrale. C'est un coup intéressant à porter face à quelqu'un qui porte une armure, surtout une armure de mailles où, à défaut de pénétrer les chairs vous avez vos chances de briser un os. Notons que ça reste moins grave pour le porteur de l'armure car on sait réduire des fractures depuis le Paléolithique alors qu'en cas de coupure le risque d'infection est important.
Ajoutons qu'en revanche, pour porter un coup d'estoc, la prise marteau est très gênante. D'une manière générale cette façon de tenir l'arme vous offre peu de précision dans vos coups. Vous utilisez beaucoup moins bien votre poignet, pas du tout votre main ou vos doigts et, d'une manière générale, vous maîtrisez beaucoup moins votre arme.
Or, cette moindre maîtrise de l'arme n'est pas une bonne idée en escrime de spectacle où l'on est face à un ou une partenaire et non un ou une adversaire. La maîtrise de son arme fait une bonne part, sinon la majeure partie de la sécurité en escrime de spectacle et choisir une prise de son arme qui offre une sécurité moindre ne semble pas une bonne idée. On doit pouvoir être précis, on doit pouvoir arrêter son coup. Bien sûr ça reste possible avec une prise marteau mais c'est moins facile et on augmente donc la difficulté et on diminue la sécurité. Outre la sécurité, la fluidité des mouvements et donc leur vitesse d'enchaînement fait une bonne part du spectacle, alors pourquoi utiliser une garde qui ne vous avantage pas sur ces points ?
De plus, si il y a un intérêt martial à utiliser une prise marteau il n'y a aucun intérêt à frapper fort en escrime de spectacle. On simulera une forte frappe mais on ne la portera jamais à pleine puissance, au pire on s'assurera que cela face bien un gros "bing" si on frappe une armure ou un bouclier mais pour ça pas besoin de frapper de toutes ses forces. Donc le seul intérêt qui restait à cette prise n'existe pas en escrime de spectacle.
Demeure encore une idée : incarner un personnage novice comme le bandit ou le suicidaire voire l'autodidacte ou la brute, des personnages à qui on n'a jamais appris comment tenir correctement une épée. Cela peut être intéressant si vous êtes filmé de près mais autrement les chances que le spectateur voit en détail votre prise sont très faibles. Au besoin vous pouvez la prendre au début, "pour la pause", pour un éventuel plan assez serré au début, puis ensuite reprendre l'arme en main avec une prise vous donnant une meilleure maîtrise de votre arme. N'oubliez pas que si, avec certains personnages (brute et suicidaire) vous porterez en effet de grands coups vous devez néanmoins rester en sécurité et être capable de les arrêter pour préserver un partenaire qui aurait oublié de parer.
La prise marteau est illustrée ici dans l'édition d'Egenolff (vers 1530) du traité d'Andre Paurenfeindt
Les prises alternatives
D'autres façons de tenir une arme existent, plus ou moins faciles en
fonction de la forme de la fusée. Avec un sabre vous pouvez en effet
poser le pouce sur le côté opposé au tranchant, c'est d'ailleurs encore
comme cela que l'on tient les sabres d'escrime sportive. Cette prise est
bonne pour à peu près toutes les actions : coups de taille, coups
d'estoc, parades, prise de fer... sauf les moulinets où il faudra
temporairement mettre le pouce sur le côté et adopter une prise moins
ferme. Le poignet bouge mieux, on peut même faire certains mouvements uniquement avec les doigts. On a ici plus de précision qu'avec la prise marteau, l'arme est
mieux maîtrisée, on peut, comme avec une épée de cour, jouer entre les
prises plus relâchées (pour les mouvements de lame) et les prises plus
fermes (pour les parades ou les coups). Notons que cette garde n'est pas possible avec toutes les fusées : il faut celle-ci soit "arrondie" ou "carrée", en général les fusées "aplaties" des épées médiévales ne permettent pas de tenir l'arme de cette manière.
Avec les épées médiévales vous pouvez utiliser une prise pas si éloignée de celle que l'on utilise au actuellement encore en escrime. Bien sûr votre pouce et votre index ne seront pas opposés mais relâchez la main, allongez un peu les doigts et le pouce sur la poignée pour avoir une prise souple. Vous pouvez d'ailleurs varier cette position selon ce que vous voulez faire. Ainsi pour les moulinets vous pouvez laisser aller votre arme et votre main plus près du pommeau tandis que pour les parades voire les prises de fer vous pouvez opposer le pouce sur la lame. Pour les prises de fer vous pouvez également crocheter la garde avec votre index. Cette dernière manœuvre n'est pas recommandée si vous n'avez pas une très bonne maîtrise ou si vous n'êtes pas à l'aise. En effet, il faut savoir très vite revenir à une position plus sécurisée dans les situations où, du fait de l'un ou l'autre des escrimeurs, la lame de votre partenaire se retrouve à glisser vers la vôtre en direction de votre garde. Personnellement je n'aime pas crocheter mais le Baron, lui, maîtrise ça.
Toutes ces positions libèrent votre poignet et vous permettent même de jouer avec vos doigts. Vous maîtrisez donc mieux votre arme, vous êtes plus rapides, plus précis, moins grossiers. Vous pouvez également facilement faire des coups d'estoc et de taille et mieux doser votre puissance.
O notera cependant que, martialement, les coups de tailles portés avec toutes les prises que j'ai citées seront plus "glissants", permettant à une plus grande proportion de la lame de toucher la cible et, donc, de trancher. C'est le même principe que quand vous voulez couper quelque chose avec un couteau : vous faites glisser la lame pour mieux trancher. L'effet est encore accentué si vous avez une lame courbe. En contrepartie l'effet de choc est moins puissant, vous avez moins de chances de briser un membre et c'est donc un meilleur coup à employer contre un adversaire qui ne porte pas d'armure. Ça c'est évidemment pour la martialité parce qu'en escrime de spectacle on verra rarement la différence, sauf si vous faites bien glisser votre arme pour la mise à mort. Mais en fait, pour des raisons de sécurité, il y a peu de chances que vous fassiez une mise à mort avec un coup brutal, on peut donc s'accorder sur le fait que cette subtilité martiale ne s'applique pas pour notre discipline.
On voit bien que Paulus Kal n'utilise déjà pas de prise "marteau" dans son traité (vers 1470)
***
Ainsi nous pouvons conclure que si, martialement, la prise "marteau" a une certaine utilité elle n'en a pratiquement aucune scéniquement. Il existe de bien meilleures prises qui vous procurent une plus grande maîtrise de votre arme et, sauf de près, le public ne verra pas la différence. Néanmoins vous pouvez toujours la prendre de temps, en temps, pour jouer certains personnages, mais uniquement "pour la pause", je vous conseille fortement de revenir à une meilleure prise quand vous passerez à l'escrime, même avec des personnages patauds et mal formés (oui c'est aussi l'effet que ça fait quand vous escrimez avec une prise marteau, mais vous pouvez tout aussi bien le simuler et rester en sécurité).
Il y a maintenant quelques années j'avais consacré un article à la milice des nobles : l'arrière-ban. Aujourd'hui je vous propose d'explorer encore le domaine des personnages susceptibles de porter des armes dans l'Histoire avec des milices bien plus anciennes : les milices urbaines.
On désigne par ce mot les corps de combattants issus du monde des villes (et de leurs faubourgs) en charge de la défense de celles-ci (du moins en premier lieu). Nous verrons que c'est en fait l'essentiel des habitants masculins (et même certaines femmes) qui était appelé à y participer, à monter la garde pour défendre sa ville. C'est un phénomène qui débute au milieu du Moyen-âge et ne s'éteint vraiment que lors de la Révolution française. Il touche l'essentiel de l'Europe occidentale même si, ici, nous allons surtout parler de la France et des anciens Pays-Bas (Nord-Pas-de-Calais, Belgique et Pays-Bas actuels).
Cet article est synthèse de nombreux articles de recherche mais je ne saurai tendre à l'exhaustivité car le sujet est vaste et il n'existe pas, à ma connaissance, de monographies générales sur le sujet, même sur une époque spécifique. J'ai donc fait avec la documentation disponible essentiellement en ligne, et avec celle que j'ai pu trouver (voir bibliographie). C'est un travail qui se veut sérieux mais a ses limites.
Je vous propose donc de plonger dans le monde des villes du Moyen-Âge et de l'époque moderne en commençant par une rapide histoire des milices urbaines avant de se pencher sur les miliciens eux-mêmes pour finir sur l'utilisation de ces milices. Évidemment je poserai, dans une partie finale, quelques réflexions, quelques pistes pour exploiter tous ces renseignements en escrime de spectacle.
Bon ce n'est pas très original mais je pouvais difficilement ne pas mettre La ronde de nuit de Rembrandt (1642) en ouverture. Il s'agit en fait d'une représentation de la compagnie de milice du 2e district d'Amsterdam commandée par le capitaine Frans Banninck Cocq. (exposée au Rijksmuseum d'Amsterdam)
Une rapide histoire des milices urbaines
Les milices urbaines apparaissent pour la plupart entre les XIIe et XIIIe siècles, avec le développement des villes. Dés le XIIe siècle le nord de l'Europe et notamment les terres des comtes de Flandres ainsi que l'Italie du Nord et le sud de la France connaissent un essor urbain. Ce phénomène se poursuit et se répand ensuite au reste de la France au XIIIe siècle. Ceci est valable pour la France, chaque espace de l'occident médiéval a sa propre logique, ainsi l'Est du Saint-Empire s'urbanise peu à peu à partir de fondation princières puis de colonies militaires tandis que les vieilles villes du Sud d'origine romaine se développent, sans parler de l'influence de la ligue hanséatique pour les villes de la Baltique.
Ainsi les villes grossissent, essentiellement grâce au commerce et à l'industrie : c'est là que l'on fabrique et que l'on échange des biens manufacturés ou d'importation. C'est parfois aussi le lieu de pouvoir d'un prince puissant qui y réside de façon plus ou moins permanente : roi de France, duc de Normandie, Comte de Flandres, princes allemands etc.
Mais elles s'autonomisent également avec la création d'institutions municipales aux noms très divers (même si les mots d'"échevins" ou de "capitouls" reviennent souvent). Certaines obtiennent des chartes de liberté de la part des seigneurs, leur donnant une certaine certaine autonomie sur la levée de certains impôts, le contrôle des poids et mesures mais aussi, ce qui nous intéresse ici, sur la police interne et son auto-défense. Notons que même les villes qui n'obtiennent pas de charte de liberté jouissent quand même d'une certaine auto-organisation avec des magistrats internes et des devoirs de police et de défense (c'est par exemple le cas de Chinon ou de Pau).
Pour se protéger les villes se dotent de murailles qui sont elles aussi, avec la cloche municipale, un symbole de leur liberté. Pour garnir ses murailles certaines font appel à des compagnies de combattants professionnels qu'on nomme en général "archers" (même au XVIIIe siècle alors qu'ils ont troqué depuis bien longtemps l'arc pour l'arquebuse, le mousquet puis le fusil), les archers du Guet, commandés en général par un chevalier du Guet. À partir du XVIIe siècle on trouve aussi, sur des villes frontières, des garnisons de soldats professionnels chargés spécifiquement de la défense. Néanmoins ces troupes sont rarement suffisantes et c'est également un coût financier très important pour une ville. Aussi presque toutes font appel, à la place ou en complément des archers du guet, à une milice constituée de ses habitants en charge de garder les portes et les murailles et même de patrouiller dans la ville.
Les milices urbaines ont été d'une importance diverses et plutôt décroissante. Ainsi les milices des villes de Flandres des XIIIe et XIVe siècle ont-elles constitué de véritables armées pesant dans la politique régionale et remportant des batailles contre de puissants princes dont le roi de France lui-même. On a coutume de dire qu'elles sont en déclin à partir du XVIIe siècle mais les milices perdurent néanmoins jusqu'à la Révolution française. Si leur rôle militaire décroit avec, notamment, l'augmentation de la technicité de la guerre, leur rôle de police et leur rôle de sociabilité urbaine demeurent.
Mais voyons donc d'abord qui sont ces miliciens.
Les miliciens
Organisation et composition des milices urbaines
En théorie tous les habitants mâles et adultes de la ville sont redevables du service du guet. Les villes revendiquent en général des effectifs extrêmement important de miliciens allant souvent jusqu'à 20% voire 25% de la population totale ! Étant donné qu'une bonne partie de cette population est constituée d'enfants et de femmes on comprend l'ampleur du phénomène, mais aussi qu'il ait souvent été difficile de recruter. Les miliciens doivent la garde aux portes et aux murailles de la ville par rotation et ils sont, évidemment, mobilisés en cas de siège de la ville voire, plus rarement, pour des campagnes militaires.
Les milices sont presque toutes organisées sous la forme de compagnies souvent d'une centaine d'hommes dirigées par des capitaines avec des officiers subalternes (lieutenants, enseignes...) et des sous-officiers (dénommés dizeniers et, à l'époque moderne, "sergents"), comme n'importe quelle organisation militaire en fait. Selon les villes l'organisation peut se faire par métier ou par quartier. L'organisation par corporations de métiers (nous appelons plus souvent cela "guildes" dans la pop culture mais le terme n'était pas le plus employé) est notamment le cas des villes des Flandres où les différentes corporations étaient chargées de fournir un certain nombre de compagnies. La plupart des autres milices étaient organisées par quartier, chaque capitaine ayant en charge un quartier.
Dans cette organisation chaque "feu" ou chaque maison (selon les lieux et les époques) devait fournir au moins un milicien et notamment répondre à l'appel pour la garde des portes et des murailles, service le plus fréquent et le plus lourd pour les miliciens. Dans certains lieux et à certaines époques il était possible de se faire remplacer, en payant en général un habitant plus pauvre pour effectuer ce service à votre place. On reporte tout au long de l'existence des milices d'innombrables cas de miliciens désertant leur service, se plaignant de la lourdeur de celui-ci ou tâchant de se faire exempter pour des raisons d'âge ou d'infirmité physique notamment.
Mais au vu des immenses besoins les capitaines essayaient de recruter le plus largement possible et il n'était pas exceptionnel de voir des miliciens de 70 ans garder une muraille. C'est ainsi que l'on a également pu retrouver des femmes dans la milice, on en a au moins l'attestation dans la milice de Nantes au XVIe siècle (sur une soixantaine de noms de miliciens, huit sont des femmes soit environs 13%) et a priori dans la milice parisienne. C'est le principe de substitution que décrit Nicole Dufournaud : dans un foyer, lorsqu'il n'y a pas d'homme adulte pour répondre à une obligation il est admis qu'une femme prenne cette place. Ainsi il faut imaginer ces femmes miliciennes comme étant essentiellement des veuves ou des héritières pas encore mariées. Évidemment la situation a probablement varié en fonction des époques et des lieux mais au vu de la pression qui pesait sur les capitaines du guet on peut facilement penser que les femmes miliciennes étaient bien plus nombreuses que ce que l'on imagine au premier abord.
Officiers et miliciens du Ve district d'Amsterdam sous le commandement du capitaine Cornelis de Graeff et du Lieutenant Hendrick Lauwrensz par Jacob Adriaensz Backer (1642) collections du Rijksmuseum d'Amsterdam
Armement, entraînement et compagnies spéciales
Si toutes les compagnies disposaient a priori de leur étendard il semble aussi que la plupart d'entre elles aient possédé un uniforme spécifique. C'est, là encore, à modérer en fonction des époques et des lieux. En revanche l'armement a souvent été assez disparate car à la charge des miliciens eux-mêmes. Il a, évidemment, varié en fonction de l'époque allant jusqu'à s'uniformiser vers le tout fusil au XVIIIe siècle comme pour les troupes d'infanterie.
Les miliciens sont principalement des fantassins. On a pu voir des cavaliers dans la milice mais ceux-ci étaient rares et il semblent disparaître dés le début du XVIe siècle. Les villes possédant des canons on avait également des artilleurs, mais l'armement principal des miliciens était d'abord celui de fantassins.
Aux XIVe et XVe siècle l'armement est fonction de la richesse. Les miliciens les plus pauvres n'ont qu'une lance et pas d'armure de tête ou de corps. Néanmoins les casques et les armures de corps sont plutôt répandues : cottes d'acier puis brigandines ou, à Montbéliard, une armure métallique nommée "gravise" ou "écrevisse" que je n'ai pas bien pu identifier. À Montbéliard au XVe siècle, entre 70 et 80% des miliciens recensés possèdent une armure métallique. Les armes d'hast sont très répandues avec une épée en seconde arme. Notons, au XIVe siècle, pour les milices flamandes la présence du fameux Goedendag, un grand gourdin pourvu d'un fer et d'une pointe dont j'avais déjà parlé ici. En revanche les armes à distance (arbalètes puis haquebuses) sont assez rares (environ 10%).
Fresque d'une chapelle de Bruges représentant la milice des bouchers (début XVe siècle), ils portent des bascinets et des cottes de mailles, on voit au premier plan des goedendags
À partir du XVIe siècle les armes d'hast et les lances laissent la place aux longues piques à l'imitation de l'infanterie avec, évidemment, le développement des armes à feu (arquebuses et mousquets). Ainsi l'équipement s'adapte peu à peu à l'époque avec la mutation vers le fusil à baïonnette au XVIIIe siècle (mais la hallebarde encore pour les sous-officiers). Notons qu'au XVIIe siècle on trouve beaucoup de buffletins sur les illustrations, chez les officiers mais parfois pas seulement, et ces derniers portent encore souvent des cuirasses d'acier par-dessus.
De l'entraînement des miliciens on ne sait pas grand-chose, je n'ai pas lu de sources parlant de leur formation, néanmoins c'est un aspect qui ne semble pas avoir beaucoup intéresser les auteurs que j'ai lu.
On en sait néanmoins plus pour certaines villes possédant des "compagnies de serment", des compagnies spéciales d'arbalétriers, d'arquebusiers ou, ce qui nous intéresse au plus haut point ici, de joueurs d'épées (armés d'épées longues). Il s'agit de compagnies d'élites où les membres se retrouvent très régulièrement le dimanche pour s'entraîner, mais aussi organiser des concours suivis de banquets. Notons que si, aux XIVe, XVe, voire XVIe siècle s'entraîner à ces armes a un sens et devait en faire des compagnies d'élites, celui-ci est à relativiser à partir du moment où l'on utilise principalement des mousquets et d'autres armes à feu. Ainsi on demande que les joueurs d'épées de villes de Flandres soient pourvus de bonnes armes à feu alors qu'ils s'entraînent principalement à l'escrime, la même réflexion se fait pour les arbalétriers, arme qui disparaît dés le XVIe siècle. Notons qu'en Belgique certaines confréries d'arbalétriers ont survécu jusqu'à nos jours et se réunissent toujours pour tirer à l'arbalète.
Défilé de la compagnie de serment des Joueurs d'épée de Lille en 1720 par François-Casimir Pourchez (BM de Lille)
L'utilité des milices
Défense des murailles, campagnes militaires et police des rues
La première fonction des miliciens est la garde des murailles et des portes de la ville. Comptez environ 10 à 15 gardes pour une porte, jour et nuit. Chaque compagnie se voyait confier un secteur en particulier à surveiller. Évidemment, en cas de siège, tout le monde était mobilisé. C'est une fonction qui est restée longtemps mais dont l'importance a diminué avec le temps et l'évolution des techniques.
Les milices ont pu également mener des campagnes militaires en dehors du territoire de la ville. C'est surtout le cas aux XIIIe, XIVe et XVe siècle pour les milices des immenses villes flamandes que l'on trouve dans quelques batailles célèbres comme celle de Bouvines (1214) ou de Courtrai (1304). Plus tard les milices sortent beaucoup plus rarement de la ville mais le roi ou le prince leur demande parfois de fournir un contingent restreint pour une guerre et notamment de l'artillerie.
Les miliciens ont aussi eu une grande importance dans toutes les révoltes et guerres civiles, permettant de prendre le contrôle d'une ville ou d'empêcher un adversaire politique de le faire. On retiendra le rôle de la milice parisienne, toute acquise aux Guise et à la Ligue catholique, dans le tristement célèbre massacre de la Saint-Barthélémy à Paris (24 août 1572). Les villes ont été aussi très utilisées dans les luttes entre le roi de France et les ducs de Bourgogne ainsi que dans les révoltes des Pays-Bas ou la Guerre de trente ans.
Enfin les miliciens pouvaient aussi patrouiller dans les rues des ville et effectuer des tâches de police. On pense évidemment à la lutte contre la criminalité dans des villes aux rues souvent étroites et mal éclairées. Mais il ne faut pas négliger la lutte contre les incendies et tout ce qui relèverait de nos jours de la "sécurité civile". De même, lorsqu'un trouble survient dans un quartier on va rapidement chercher des miliciens, ainsi Guy Saupin nous cite un incident survenu à Nantes en 1712 où l'on tire du lit les sergents du quartier qui viennent en chemise de nuit mais avec leurs hallebardes (symboles d'autorité) ! C'est d'ailleurs le rôle qui est de plus en plus dévolu aux milices urbaines au XVIIIe siècle.
Une porte de Hambourg (?) vue de l'extérieur. Dessin de Anthonie Waterloo (1609-1690) dans les collections du Rijksmuseum d'Amsterdam
L'efficacité militaire des milices dans le temps
Il convient maintenant de se pencher sur l'efficacité militaire de ces milices et la principale idée à retenir c'est qu'elle ne cesse de diminuer avec le temps tout en gardant une certaine utilité.
Tout au long du Moyen-âge et de l'époque Moderne les villes sont d'abord défendues par les milices, parfois aidées de troupes plus professionnelles mais il faut garder à l'esprit que c'était les miliciens qui garnissaient la plupart des murailles et ont donc pu parfois se montrer héroïques. Néanmoins leur efficacité diminue avec le temps comme on l'a dit et à partir de la fin du XVIIe siècle les villes bien défendues possèdent une citadelle à laquelle est
associée une garnison qui est la principale défense de la ville, la
milice n'intervient alors que comme appoint. Néanmoins dans les villes qui n'avaient pas de garnison la présence d'une milice fournissait une défense minimale à celle-ci, évitant ainsi au roi ou au prince de payer des soldats forcément coûteux.
L'efficacité des milices en rase campagne est plus discutable. Les milices des Flandres ont obtenus quelques succès notables comme en 1302 à Courtrai contre les chevaliers du roi de France (la fameuse bataille "des éperons d'or" où les goedendags ont étrillés la noblesse française). Mais elles ont été aussi très souvent battues comme déjà à Bouvines en 1214 où elles constituent toute une aile de l'armée coalisée. Avec l'arrivée des régiments professionnels et notamment des compagnies de piquiers demandant une bonne capacité de manœuvre et de coordination entre piquiers et arquebusiers et/ou mousquetaires elles ont vite été dépassées dés la fin du XVe siècle. Par la suite leur contribution aux batailles rangées ou aux guerres lointaines est négligeable. On l'a dit, comme en fait les autres milices (nous avions déjà étudié l'arrière-ban) leur principale intérêt stratégique reste de décharger les troupes régulières d'une bonne partie de la défense contre les raids et les pillages.
Soldats flamands contre chevaliers français à la bataille de Courtrai sur le coffre d'Oxford
Un rôle social et politique non négligeable
Enfin, il faut citer une autre fonction importante des milices urbaines : souder la population. Si elles était éprouvante, la participation à la milice permettait également de renforcer le sentiment d'appartenance à une ville, à un quartier ou une confrérie de métier. Les gens d'une même compagnie se côtoyaient ainsi régulièrement, gardant les murailles pendant de longues heures parfois de nuit et dans le froid. Lors des cérémonies publiques, ou, dans les Pays-Bas bourguignons puis espagnols, lors des Joyeuses entrées des Princes, les compagnies défilaient les unes après les autres sous leurs étendards respectifs.
Dans le même ordre d'idée un certain prestige était lié aux grades dans la milice, les capitaines des compagnies de la milices avaient une importance dans la politique locale, même en temps de paix. C'était un gage de notabilité que d'être officier dans la milice, ou même sous-officier. Ainsi la milice a joué elle aussi cette fonction. Au point qu'au fur et à mesure elle a été de plus en plus été employée comme relais du pouvoir local. Ainsi à Toulouse au XVIIIe siècle c'était les dizeniers qui étaient en charge de relayer les décisions de la municipalité qui les leur envoyait sous formes d'instructions écrites. C'était finalement là encore le meilleur moyen de réellement toucher la population.
Petit reportage sur les arbalétriers de Visé qui existent encore de nos jours.
Mettre en scène des miliciens pour l'escrime de spectacle
Alors voilà mais maintenant que faire tous ces renseignements pour construire nos spectacles d'escrime ?
Tout d'abord il faut retenir que tout le monde ou presque faisait partie de la milice et possédait donc des armes à la maison : piques, hallebardes, épées de fantassin, sabres courts, arquebuses et même casques et armures de corps selon les époques. Les urbains sont armés et vous justifiez ainsi facilement les armes dans le cadre d'un scénario de vengeance personnelle par exemple. De même voir arriver un sergent en chemise de nuit, hallebarde à la main pendant qu'une querelle a lieu peut être amusant à mettre en scène.
Mais évidemment l'utilisation la plus évidente reste encore de mettre les miliciens dans leurs tenues de service. Cela peut éventuellement se faire dans une guerre au Moyen-Âge, de façon plus logique dans un siège mais surtout dans des scénarios urbains. La milice ne se contente pas en effet de garder les portes mais elle patrouille aussi dans les rues. Elle prévient les rixes, court après les voleurs, régule les problèmes sur les marchés etc. Contrairement aux gardes les miliciens sont aussi des travailleurs : ils sont artisans, ouvriers, commis voire maraîchers pour les habitants des faubourgs. Leurs officiers sont des maîtres de métiers, des marchands, des notaires etc. Cela peut donner lieu à des dialogues différents de ce à quoi on est habitué pour des gardes et permettre facilement des retournements de situations.
Enfin de façon plus pragmatiques les miliciens ont en général un armement disparate, ce qui est souvent le cas chez les escrimeurs de spectacle qui n'ont en général pas le même équipement que leurs camarades (en général on n'aime pas trop). En plus on peut tout à fait trouver un milicien en demi-harnois côtoyant un autre à peine protégé, ce n'est pas un problème ! De plus, on l'a dit, il est fort probable que des femmes en aient fait partie au vu des pénuries et du principe de substitution (il a court au moins jusqu'à la moitié du XVIIe siècle), cela facilite les choses si vous voulez rester dans une certaine crédibilité historique.
Ainsi la milice a un certain intérêt en spectacle, elle permet en outre de proposer des armes différentes de la rapière, notamment les armes d'hast qui sont des armes spectaculaires et assez riches en termes d'escrime.
Un clerc dépouillé par un voleur, gravure de Jacob Folkema (1702-1767)
Pour conclure...
J'espère ainsi avoir réussi à vous immerger un peu dans ce monde des villes du Moyen-Âge et de l'époque Moderne et des sociabilités combattantes qui y avaient court. J'aurai aimé pouvoir vous en dire plus sur l'armement et, surtout, sur l'entraînement de ces milices mais, hélas, je suis contraint par les études que j'ai pu trouver sur le sujet. J'ai néanmoins l'espoir que cela va vous inspirer pour de futurs scénarios pour changer des Mousquetaires contre les Gardes du Cardinal par exemple. À vous maintenant d'exploiter cet article !
Bibliographie
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Nous en avons fini avec la série d'article sur les excuses qu'on nous invoque régulièrement pour refuser de faire une escrime plus historique et plus martiale. Et puisqu'il s'agit d'une longue série d'article nous pensons qu'un article récapitulatif peut vous être utile, pour pouvoir plus facilement retrouver vos liens par exemple. Voici donc les différentes excuses que nous avons traitées dans l'ordre chronologique. Si jamais nous écrivons, par la suite, d'autres articles, ceux-ci seront ajoutés à cette liste.
L'excuse, carte du jeu de tarot
Les mauvaises excuses
Parce que nous sommes d'infâmes connards des gens qui aiment provoquer un peu, bousculer les certitudes, nous avons commencé par toutes les mauvais excuses que nous avons entendues au cours de nos "carrières" d'escrimeurs de spectacle.
Ici nous expliquons l'intérêt de l'escrime historique et le respect que nous estimons devoir à nos spectateurs et à d'éventuels commanditaires, mais aussi l'intérêt pratique de respecter la logique de l'arme qu'on utilise.
L'excuse pour faire n'importe quoi c'est que nos sources ne seraient pas parfaites et qu'on pourrait donc tout inventer. On va voir qu'on dispose tout de même de bon nombre d'informations facilement accessibles pour avoir une bonne idée de l'escrime du passé.
Un grand classique ici, qu'on nous invoque très souvent pour délégitimer les techniques historiques et martiales. Il est à relativiser et il faut bien se rendre compte que ces techniques n'empêchent pas de "faire durer" un combat.
Oui notre activité consiste à faire du spectacle, et donc à mettre en scène, à jouer et à choisir nos techniques en fonction de l'effet qu'elles font et du scénario du combat. Proposer une escrime de spectacle d'inspiration historique ce n'est pas faire le gala des Arts Martiaux, c'est faire du spectacle avec des techniques historiques et martiales.
On examine ici les attentes hypothétiques d'un public imaginé. Mais aussi l'idée qu'un artiste fait une proposition à un public, ce n'est pas un directeur marketing qui doit répondre aux attentes d'une cible.
Dans cette excuse il est souvent supposé que l'Art et l'historicité seraient incompatibles. Cette excuse nous semble vraiment étrange, d'autant qu'il faut se demander à quel point l'escrime de la majorité des pratiquants est réfléchie en termes de proposition artistique.
Ahhh.. les arguments d'autorité. Donc même si on vous a appris de telle ou telle façon il y a un moment où vous pouvez aussi, de vous-même, vous interroger sur votre pratique. C'est ce que nous vous encourageons à faire avec de blog d'ailleurs.
"Le fol" ou "Le mat", ancêtre de l'excuse au tarot. Ici celui du tarot dit de Charles VI (XVe S.)
Les bonnes excuses
Mais comme nous sommes quand même sympathiques nous avons gardé quelques bonnes excuses pour la fin, des raisons que nous estimons légitimes de ne pas nous montrer une escrime plus historique et/ou martiale.
Lorsqu'on a même pas 20h pour apprendre une chorégraphie à des comédiens, des acteurs ou d'autres personnes il faut ruser et l'historicité n'est généralement pas le premier souci.
C'est essentiellement vrai pour la rapière et l'épée de côté. Il y a beaucoup d'autres armes sympathiques et abordable mais il faut reconnaître qu'on peut avoir vraiment envie de manier des rapières.
Parfois il y a des projets artistiques qui demandent d'autres armes. Excuse acceptée !
Le Mat, tarot de Tarot Rider-Waite
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Voilà donc pour cette série. Nous espérons vous avoir convaincu mais, surtout, nous espérons avoir donné des arguments à toutes celles et ceux qui se voient opposer ces excuses. J'ai moi-même cru à certains d'entre elles avant de me pencher sur la question plus en détail. Nous ne voyons absolument rien d'incompatible entre le fait de faire de l'escrime de spectacle et le fait de le faire avec des armes et des techniques historiques et martiales.
Personnellement j'ai toujours eu envie de manier des épées, et de les manier de la même façon qu'on pouvait le faire à l'époque. Il m'a fallu plusieurs années pour le faire accepter et me rendre compte que rien ne s'y opposait en escrime artistique. Ne vous laissez pas brider par ces excuses, vous verrez c'est beau, spectaculaire, poignant et diversifié !