lundi 22 mars 2021

Le pillard, un type de personnage original (et pourtant si commun)

Dans la typologie de personnages que j'avais proposée il semble qu'il y en a (au moins) un qui ne rentre pas bien dans les cases. Je rappelle au passage que ce n'est pas forcément étonnant puisque toute tentative de classification vise à simplifier la réalité pour mieux la comprendre. Mais celle-ci ne se laisse pas forcément faire et il peut y avoir des typologies, des classifications ou des modélisations meilleures que d'autres mais aucune ne peut être absolue. Ainsi le pillard ne rentre pas bien dans les cases que j'avais prévues. Les type dont il seraient le plus proche sont "le peureux" et "le maladroit", mais il en est trop différent pour bien s'intégrer à ces modèles. A vrai dire, si l'on voulait conserver cette typologie on pourrait même regrouper "le peureux" et "le maladroit" et ajouter "le pillard". Je propose donc d'étudier ce nouveau type de personnage plus en détails puis de voir ce qu'on peut en faire dans le cadre d'un spectacle d'escrime scénique.

N.B. : Je nomme ce type "pillard" et, dans l'article, j'évoque les exemples historiques de pillards. Il s'agit d'abord de donner un nom à une catégorie de personnages qui ne recouvre évidemment pas la situation de toutes les personnes qui ont peu être historiquement des pillards.

Sophie est kidnappée, Daniel Nikolaus Chodowiecki, 1777
Dans les collections du Rijksmuseum d'Amsterdam

Le pillard : un opportuniste armé et prudent

Historiquement les pillards ont été nombreux à toutes les époques et les lieux suffisamment troublés pour qu'ils puissent y prospérer. Le pillard peut être un paysan ou un ouvrier poussé par la faim et la misère à dévaliser son prochain ou simplement des étrangers comme les membres de la "Croisade des pauvres gens" en 1099. Il peut être un bandit opportuniste, un corsaire ou un pirate ou même un Cosaque qui accompagne les armées russes dans l'espoir de faire du butin. Ces exemples ne sont pas exhaustifs et je parie que vous saurez en trouver à de nombreuses époques. Tous ces hommes (et parfois ces femmes) ont en commun l'objectif de faire du butin en employant la violence, avec un minimum de risques. Le pillard s'attaque ainsi à des proies qui semblent faciles et espère bien que la menace armée lui suffira pour parvenir à ses fins. Il s'assure ainsi d'être mieux armé que ses victimes et/ou en supériorité numérique afin qu'elles n'aient pas envie de résister ou qu'elles soient facilement vaincues si elles se défendent.

Car le pillard, si il est armé, n'a en fait pas vraiment de compétences de combat. Il n'est ni entraîné au combat ni n'a de véritable expérience de celui-ci à part, éventuellement, des affrontements avec un fort avantage. C'est à la base un paysan, un pêcheur, un éleveur ou ouvrier qui n'a pas appris à se battre avec une arme durant sa formation et n'est pas non plus passé par l'armée. Les troupes de pillards étaient réputées pour s'enfuir devant n'importe quelle troupe régulière avec un minimum d'entraînement. Ainsi les Cosaques russes n'ont jamais servi à rien durant les batailles mais ont été très utiles pour perturber le ravitaillement ennemi, attaquer ses convois ou piller ses terres. 
 
Notons que, parmi ces pillards on trouvera des individus ou des groupes mieux entraînés. Certains bandits sont des déserteurs de l'armée, un certain nombre de Corsaires ou de pirates ont reçu une formation aux armes (lors de leurs classes en France par exemple). Les peuples ou classes sociales de bandits semi-professionnels comme le Haïdouks des Balkans peuvent ainsi avoir des groupes mieux structurés et entraînés. Ainsi chez les Cosaques quelques troupes mieux structurées ont peu être engagées comme mercenaires pour convoyer des prisonniers, des vivres ou effectuer des missions d'éclaireurs mais la majorité suivait juste les armées dans l'espoir de faire du butin et étaient juste des éleveurs opportunistes sans compétence militaire. Mais, dans le cadre d'une typologie des personnages ils sortent de la case "pillard" que nous décrivons ici et seraient plutôt des "autodidactes".
 
 
La chasse par Honoré Daumier, 1843 - Cette gravure illustre le pillage poussé par la nécessité.
Collections du Rijksmuseum d'Amsterdam
 
Le pillard ne sait donc pas vraiment combattre même si il porte des armes. Ainsi, si il doit se battre il ne le fera qu'en supériorité numérique évidente ou face à un adversaire non armé. Il n'hésitera pas à attaquer dans le dos ou à employer toutes sortes de techniques que l'on pourrait juger déloyales. Si il perd il voudra fuir plutôt que de mourir en brave. Notons qu'il ne s'agit pas forcément de couardise, cela peut être le cas mais pas forcément, car dans ces pillages la notion d'honneur était différente pour ces gens d'autres circonstances. Ainsi un pillard dont l'honneur serait mis en cause par un membre de son peuple/clan/village pourrait tout à fait faire preuve d'un très grand courage pour laver cette tâche, même en sachant que cela lui coûtera la vie ; la même personne n'hésitera pas à attaquer dans le dos à trois contre un dans le cadre d'un pillage et à tourner les talons dés que cela devient trop dangereux. L'honneur a toujours été une valeur à géométrie variable, en fonction des personnes pouvant le remettre en cause et des circonstances.
 
Enfin il faut dire un mot de l'armement du pillard qui est forcément indigent. En effet celui-ci n'est pas un guerrier professionnel et l'activité de pillage est soit saisonnière, soit liée à des circonstances exceptionnelles. Ainsi il n'est probablement pas armé d'armes coûteuses et de bonne qualité mais plutôt de matériel acheté à vil prix ou qui est le fruit de pillages (et n'a pas été revendu). De même il est très improbable qu'il porte la moindre armure si l'on est à une époque où celles-ci existent. Les sources mentionnent beaucoup de brigands armés de bâtons (sans préciser la taille), pour les corsaires et pirates cela peut être des outils de bord ou de simple sabres et l'on mentionne des sabres rouillés et des lances bricolées pour les Cosaques.
 
Cosaques au siège de Deventer en 1813 - Abraham Vinkeles, after Jan Willem Pieneman, 1814 - 1816
Collections du Rijksmuseum d'Amsterdam
 

Le pillard : comment l'intégrer dans un combat scénique ?

Le pillard se caractérise donc par des compétences de combat quasiment absentes, une certaine agressivité, de la fourberie et une certaine lâcheté, du moins dans les circonstances de pillage. Il faut donc voir comment on le mettra en scène concrètement, puisqu'ici notre objectif est tout de même de présenter un combat scénique !

En duel les options sont assez limitées. Seul, un pillard ne s'attaquera qu'à une cible qu'il jugera forcément plus faible que lui : un homme s'attaquant à une femme seule (ou accompagnée de sa suivante) à un jeune garçon ou à un autre homme non armés. Jamais un bandit isolé n'irait en revanche s'attaquer à un noble portant l'épée au côté, il faut que la différence de force soit flagrante pour le public... en apparence du moins. Il reste ensuite deux options : la victime n'était pas ce que l'on pensait qu'elle était ou alors elle est vraiment faible mais, dotée d'un courage hors norme ou poussée par l'énergie du désespoir elle se battra quand même ! Dans la première hypothèse le combat sera court et le pillard sera vaincu et surpris de découvrir que sa victime n'était pas une proie si facile. Dans la seconde le combat pourra être plus long et acharné, rageux entre une victime qui ne veut pas se laisser faire et un agresseur qui reste sûr de sa supériorité. Le combat durera d'ailleurs tant que cette supériorité restera acquise dans l'esprit du pillard, autrement son réflexe sera de sauver sa vie et de s'enfuir ! Il faudra donc monter un combat où les deux adversaires sont maladroits mais avides de sang ou du moins d'assoir une supériorité ce qui ne sera pas si facile et demandera des escrimeurs qui, eux, devront être très compétents.
 
Le Cosaque galant - Philibert-Louis Debucourt, 1814 : ici la différence de force semble évidente, du moins à première vue, et elle parlera au public instantanément
Collections du Rijksmuseum d'Amsterdam

Mais là où le pillard prend plus de sens c'est dans le cadre d'un combat de groupe. On l'a dit, il est logique qu'ils attaquent en supériorité numérique des cibles qui leur semblent faciles. À deux ou trois contre un ils peuvent donc facilement attaquer même des hommes armés dont ils espèrent qu'ils se rendront sans combattre ou pourront facilement être abattus dans le dos. Là encore le rapport de force doit paraître évident au public même si il ne le sera finalement pas. Le combat sera probablement assez long puisqu'il faudra éliminer plusieurs pillards. Notons qu'en principe les derniers survivants devraient s'enfuir ou se rendre plutôt que de combattre jusqu'à la mort, à moins d'être coincés. On devrait donc oublier le duel prestigieux final après avoir éliminé les pillards car il n'y a pas de raison que l'un d'entre eux se révèle soudain bon escrimeur ! Si l'on veut un duel final prestigieux il faudra le justifier avec un chef des pillards un peu différent, dont on sent qu'il ou elle est meilleure que ses sbires et a appris à se battre d'une manière ou d'une autre.

Concernant les techniques utilisées pour incarner un pillard il faudra oublier à peu près tout ce que vous avez appris à faire ! L'attaque verticale de haut en bas et qui vise le plus souvent la tête étant la plus naturelle c'est celle qu'il vous faudra privilégier sur toutes les autres. Celles-ci devraient être des attaques plus ou moins opportunistes, trop amples (pour une fois vous pouvez faire comme dans la majorité des chorégraphies médiévales qu'on peut voir en vidéo ou au cinéma) avec un sens de la distance très aléatoire. Vous pouvez tout à fait faire des estocs trop courts en étant obligés de rétracter le bras pour les porter. L'impression générale devrait être brouillonne mais aussi opportuniste et vicieuse. N'hésitez donc pas avec les coups dans le dos, le corps à corps, les coups vicieux ou les adversaires que l'on tabasse ou égorge au sol ou quand ils sont (ou semblent être) maîtrisés par ses camarades.
 
Numa sauve Anna et son père des bandits (d'après les Fastes d'Ovide) - Henri-Joseph Godin 1790
Collections du Rijksmuseum d'Amsterdam

 
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Voilà, j'espère que ce type de personnage vous intéressera et que vous aurez envie de l'intégrer dans vos scénarios de combat scénique. Il trouve tout son intérêt dans le combat en groupe et je pense qu'il peut être très amusant techniquement de faire exprès de mal combattre pour un escrimeur ou une escrimeuse ayant une certaine expérience. Maintenant vous savez ce qu'il vous reste à faire !

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