vendredi 24 janvier 2020

L'attaque à la tête, un coup de base ?

Bon quand on commence on apprend plein d'attaques dites "de base" (y compris parfois à viser les jambes). Mais peut-être que le plus important à l'attaque à la tête. Par celle-ci j'entends tous les coups de taille donnés de haut en bas et visant le crâne ou toute autre partie de la tête. C'est d'après le Lieutenant Pringle Green le seul coup qu'un homme non entraîné est capable de porter naturellement. Les traités allemands de la fin du Moyen-Âge et de la Renaissance appellent tous ces coups qui viennent du haut Oberhau. Et comme il s'agit également d'une attaque impressionnante je pense qu'on devrait la considérer comme le coup de base de l'escrime de spectacle, avant tous les autres coups.

Eugène Delacroix - Combat de chevaliers dans la campagne (1ère moitié du XIXe siècle)
© Paris 2015, Réunion des musées nationaux-Grand Palais, tous droits réservés

Un coup, de nombreuses possibilités

À toutes les armes, à toutes les époques

Tout d'abord nous remarquerons qu'il est possible de donner un coup de taille vertical à la tête avec pratiquement toutes les armes et à toutes les époques, à une ou deux mains. En dehors des dagues et des boucliers je ne vois pas trop d'armes avec lesquelles cette attaque ne serait pas possible. Elle est évidente pour les haches ou les gourdins, les épées médiévales et les sabres plus récents. Mais elle est également possible avec une lance (à la façon d'un bâton avec peut-être le fer qui tranchera un peu) ou même des armes insolites comme la faux ou la faucille. Même des armes avec des armes spécifiquement conçues pour l'estoc comme le glaive romain ou l'épée de cour elle aura une efficacité. À vrai dire c'est à peu près le seul coup de taille crédible avec une épée de cour, il ne tuera pas mais entamera sérieusement le cuir chevelu et sonnera un peu !

La tête est l'endroit le plus vulnérable d'un être humain et même un coup peu puissant peut étourdir légèrement un adversaire. Les blessures à la têtes saignent abondamment et si la calotte crânienne (l'os le plus résistant du corps humain cependant) est brisée il y a de forte chance pour que la victime ne soit plus en état de combattre et s'approche à grands pas des portes de la mort. Il n'y a d'ailleurs pas besoin de l'expliquer aux spectateurs qui tous ont instinctivement conscience du danger.

Le Maître d'armes Olivier Delannoy explique comment porter des coups d'estramaçon à l'épée de cour

Une attaque, plusieurs coups 

Il convient cependant d'ajouter une précision technique à ma description. Celle-ci recouvre donc ce que les escrimeurs allemands appelaient Oberhau, c'est à dire tous les coups qui viennent d'en haut. Il existe cependant plusieurs façons de donner ces coups.

La façon la plus classique est de donner un coup strictement vertical qui vise le crâne. Il y faut un minimum de puissance si l'on veut briser l'os du crâne ou au moins étourdir sérieusement l'adversaire. C'est un coup qu'un novice ou qu'un combattant énervé fera probablement en première intention. Mais un combattant plus expérimenté ne l'utilisera pas ainsi en premier coup mais plutôt en riposte, après avoir éloigné l'arme adversaire, sauf si il fait un Schietelhau... La tradition de Lichtenauer nomme en effet ce coup Shietelhau et Joachim Meyer nous indique qu'il sert à contrer la garde du fou (Alber). Mais je vous invite à lire cet article du Carrousel des AMHE qui en parle mieux que moi.

Une façon moins familière des escrimeurs de spectacle est l'attaque diagonale qui vise la jonction du cou ou le bas du visage. Elle est plus difficile à esquiver que l'attaque verticale, elle permet également de chasser d'autres attaques hautes. C'est le cas du classique coup furieux (Zornhau) qui est à la fois une attaque et une parade contre les attaques hautes dans la tradition germanique. Notons que cette attaque n'a pas toujours besoin d'être portée avec beaucoup de force si elle l'est avec une arme tranchante. Elle vise en effet une partie moins solide que le crâne et peut également se terminer en entaille pour trancher la carotide. C'est une attaque très naturelle qui est la base de beaucoup de techniques dans de nombreuses escrimes.

Enfin on citera ces même coups portés avec une brutalité extrême et des armes puissantes comme un gros gourdin à deux mains, une grande hache ou encore une épée tenue par la lame et qui frappe avec les quillons ou le pommeau et que les auteurs allemands nomme Mordhau ou Mordschlag. Il s'agit là de frapper le plus souvent quelqu'un de protégé par un casque et que l'on veut tout de même assommer. On abandonne toute subtilité pour une bonne dose de brutalité !

Le Mordschlag au grand gourdin de paysan selon Paulus Hector Mair (vers 1540)

Un coup qui assure le spectacle

Un coup naturellement spectaculaire

Comme dit plus haut l'un des avantages de ce coup est qu'il n'y a pas besoin d'expliquer au public pourquoi il est dangereux. Celui-ci peut toujours avoir des doutes sur d'autres coups, particulièrement si les combattants sont protégés mais il n'aura jamais de doutes sur celui-ci. Même avec un casque il n'est jamais agréable de le recevoir et sans casque ou sent la mort planer au dessus de la tête de la victime sous forme d'une lame d'épée ou d'un bâton bien épais...

La façon de donner ces coups participe également du spectacle. Tout d'abord, comme on lève l'arme, celle-ci sera bien visible du public qui ne risque pas de rater l'attaque. Même le plus inattentif et le moins au fait des subtilités de l'escrime parmi les spectateurs verra le coup. De plus, à moins de partir d'une garde haute (qu'on abandonne à partir du milieu du XVIe siècle pour une arme plus en arrière) le coup fera décrire à la lame (ou au manche de l'arme) un grand cercle très esthétique. Bref, on a là un coup très visuel et qui plus est, on l'a dit, très facile à donner même pour les escrimeurs novices.

Les lames hautes qui virevoltent vers la tête font toujours leur effet
Image issue du traité de Theodor Verolinus (1679)

Une multitude de façons de s'en défendre

Un autre avantage de ce coup est que, comme il s'agit d'un coup très classique donné par de nombreuses adversaires avinés ou peu expérimentés se querellant avec des escrimeurs bien formés, il se retrouve pratiquement dans tous les traités et l'on peut compter de très nombreuses façons de s'en défendre. 

Il y a évidemment les parades d'opposition, quinte et quinte inversée. En soi la quinte est assez moche et plus logiquement on évitera d'avoir la lame complètement horizontale. On peut faire pencher la pointe vers le bas, comme dans la garde de Saint-George des Britanniques, cela permet de faire glisser la lame adverse vers le sol et d'enchaîner ensuite avec une attaque à la tête ou au côté. À l'inverse on peut la faire pencher vers la garde pour recueillir l'arme adverse sur son fort et enchaîner sur du travail au fer. On peut également mettre une seconde main sur la lame pour mieux repousser ou rentre dans la distance et enchaîner en lutte. Ces parades sont mieux accompagnée d'un mouvement de sortie de ligne, de rassemblement (dans le cas de la garde de Saint-George) de recul ou au contraire de projection vers l'adversaire (surtout en cas d'utilisation d'une seconde main sur la lame).

Face à des armes puissantes ou fera plutôt des parades du tac en frappant l'arme adverse pour détourner sa trajectoire. Là encore on peut ensuite enchaîner avec de nombreux coups. Enfin on peut tout à fait esquiver sur le côté dans un esprit "artistique". Si on veut plus de réalisme il est mieux de mélanger esquive et parade, c'est à dire d'esquiver en se couvrant quand même avec l'arme.

Il y a encore probablement d'autres façons de réagir à ce type d'attaque, ou de faire des combinaisons ou des enchaînements. On retiendra que c'est un coup qui ouvre de très nombreuses possibilités.

Rentrer dans la distance en tenant son arme à deux mains est une technique présentée par Andre Paurenfeindt dans son traité de 1516
(Ici une gravure de la réédition du traité par l'imprimeur C. Egelnoff en 1531)

***

On peut ainsi conclure que ce coup mérite bien une place de choix dans notre répertoire de techniques de part toutes ses qualités esthétiques, émotionnelles et techniques. Il est intéressant autant pour le débutant que pour le confirmé, permet de rester dans la simplicité ou d'aller vers de la complexité. Seul peut-être l'estoc possède autant de possibilités et de variétés mais il reste un peu moins facile à bien placer et maîtriser. Pour toutes ces raisons l'attaque à la tête devrait vraiment être considérée comme le coup de base de l'escrime artistique !

2 commentaires:

  1. "À vrai dire c'est à peu près le seul coup de taille crédible avec une épée de cour, il ne tuera pas mais entamera sérieusement le cuir chevelu et sonnera un peu !"
    Comme déjà dit ailleurs, le coup de taille à la tête avec une épée de cour est absolument pas crédible et fortement déconseillé. L'épée de cour est une arme qui est utilisée exclusivement avec la pointe, et ça depuis son invention au début du 17ème siècle. Face à l'épée de cour, le coup à la tête est fortement déconseillé, parce qu'il découvre pratiquement toutes les lignes d'attaques pour un coup d'estoc. A ce sujet je vous conseille de lire le chapitre du pointeur contre l'espadonneur dans le "Traité des Armes", Girard, 1740.
    On a dans l'escrime artistique en France un faible pour les coups de taille en prétendant qu'ils sont plus visible et plus sure que les coups d'estoc. Or c'est absolument faut. Le coup de taille est le coup le plus difficile à exécuter et demande une grande maitrise pour pour être sure et bien visible. Beaucoup de chorégraphies pêchent par utilisation excessive des coups de taille.
    Pour revenir à l'épée de cour, son utilisation pour des coups de taille est un retour vers l'escrime italienne à la rapière et un abandon de l'escrime française. ;-)

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    1. Sur les grands principes je suis d'accord : l'épée de cour est par essence une arme de pointe.
      Cependant, pour le détail, on a au moins le traité de La Touche (1670) qui parle de coup de taille : "& quoiqu'on ne l'enseigne plus dans les salles on peut tirer de si grands avantages, ou en le mêlant à l'estocade, ou pour le combat à cheval, que je crois qu'il est absolument nécessaire à ceux qui veulent acquérir une entière adresse dans l'exercice de l'épée de s'en instruire pour s'en servir à l'occasion [...]".
      Par ailleurs Olivier Delannoy étudie l'épée de cour depuis très longtemps et place quelques coups d'estramaçon dans ses techniques. J'imagine qu'il a de très bonne raisons.
      Mais on est d'accord, pour l'épée de cour c'est loin d'être un coup de base, c'est plutôt un coup spécial.

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