mercredi 30 octobre 2019

Le bâton, une arme pour quels personnages ?

J'ai déjà parlé, dans un article précédent de l'importance d'avoir un personnage dans un combat chorégraphié. J'ai également évoqué le bâton dans un autre article et j'en reparlerai peut-être encore. Mais je n'ai pas discuté des personnages qu'il était possible de jouer en se battant au bâton. Or, comme c'est une arme que l'on peut se procurer à peu de prix c'est aussi une option facile si on veut varier les armes. Le propos de cet article est donc de faire une sorte d'inventaire des types de personnages historiques susceptibles de manier un bâton dans, disons, la culture occidentale (je mets volontiers de côté l'Extrême-Orient et ses spécificités qui n'ont jamais été le propos de ce blog).

Par bâton j'entendrai une arme en bois trop longue pour être maniée normalement à une main, d'un diamètre à peu près constant (même si il y a souvent un plus gros bout dû à la pousse du bois) et que l'on peut facilement enserrer à la main (ce n'est pas un grand gourdin). D'après la typologie des bâtons établie par Betsy Wilson on se situerait plutôt dans les catégories des "great sticks" (1m20 à 1m80) et des "short staves" (1m80 à 2m75) en excluant les grands gourdins.

Deux pèlerins par Jacques Callot (1622-1623) dans les collections du Rijksmuseum d'Amsterdam

Des gens qui s'entraînent

Dans l'immense majorité de nos sources sur l'escrime au bâton celui-ci est un outil d'entraînement pour les armes d'hast, un "simulateur" dirions-nous actuellement. C'est le cas presqu'entièrement de toute la catégorie des techniques utilisant des "short staves" identifiée par Betsy Wilson. Certains auteurs comme Paulus Hector Mair qui est très complet pourraient décrire des techniques spécifiques au bâton (puisqu'il a des sections pour la hache de pas, la hallebarde et la longue pique) mais c'est plutôt l'exception, d'où le fait que la plupart de ces techniques privilégient les coups de bout (cad l'estoc) sur la plupart des autres. Ce n'est qu'au XIXe siècle que l'on commence à voir, dans les traités de self-défense, des techniques au bâton qui sont d'abord destinées à cette arme.

Illustration de techniques de bâton dans le Gründtliche Beschreibung der Kunst des Fechtens de Joachim Meyer (années 1570)
En conséquence les bâtons peuvent être utilisés dans tout scénarios impliquant l'entraînement de recrues militaires, de levées de paysans. C'est l'arme d'entraînement du soldat dans sa caserne ou même sur son navire (ainsi que l'évoque fort bien le lieutenant Pringle Green). Il y a donc toute légitimité à représenter sur scène des entraînements collectifs au bâton (cela peut faire un intermède intéressant dans une série de combats et cela se monte facilement).

On trouve aussi le bâton dans toutes les salles d'armes jusqu'au XVIIe siècle au moins. Il est donc logiquement utilisé lors des Fechtschülen, ces rencontres d'escrimes entre bourgeois du monde germanique aux mêmes époques, le plus souvent sur le principe du "roi de la montagne". Je continue à penser que représenter des combats proto-sportifs a un intérêt également en escrime de spectacle.

Une Fechtschüle avec, au centre, deux bourgeois s'affrontant au bâton.   

Un outil du monde rural

Mais évidemment, outre une arme d'entraînement le bâton est d'abord un outil utilisé dans le monde rural. Il sert dans les marches un peu longues pour les paysans et surtout les voyageurs, ils apprécient son aide sur les chemins de terre mal entretenus d'avant l'automobile. Ceux qui voyagent à pied sont souvent des pèlerins mais aussi des ménestrels et autres jongleurs, des soldats revenant au pays ou même des bandits. Mais cela peut être des paysans voyageant jusqu'au bourg voisin ou dans la montagne. Depuis l'Antiquité le berger est ainsi indissociable de son bâton, parfois terminé par une crosse (origine de la crosse des évêques) et qui lui sert à rassembler le troupeau, à arpenter les flancs des côteaux mais aussi à se défendre.

 Dans Les Dix Commandements (1958) de Cecil B. DeMille les bergers d’ Hollywood combattent au bâton

On trouve ça et là, dans le monde rural des traditions de combat au bâton. certaines comme le Jogo do Pau portugais ou le bâton sicilien ont survécu jusqu'à nos jours. Notons qu'elles font le plus souvent l'objet de rencontres "amicales" entre les différents villages où, lors de festivités, les meilleurs bâtonnistes s'affrontent. On est là également dans un contexte proto-sportif et l'absence de coups de bout ou de corps à corps sont probablement explicables par l'intérêt d'éviter les coups trop dangereux et de montrer une belle escrime. La méthode de Joinville au bâton français a été probablement en partie élaborée à partir d'anciennes traditions locales même si il s'agit d'abord d'une méthode d'entraînement des soldats, on peut probablement voir la même choses dans les techniques de quarterstaff britanniques du XIXe siècle comme celle présentée par R. G. Allanson-Winn et C. Phillipps-Wolley.

Le bâton était donc une arme plutôt bien connue dans le monde rural, un objet du quotidien à usages multiples. En revanche il semble peu pénétrer dans les villes où l'on n'en a pas l'usage et où, à la rigueur, on lui préférera une canne pour aider à la marche. Il vaut donc mieux l'oublier dans tout scénario urbain.

Démonstrations en costume de Jogo do Pau à la Feira Antiga Quinhentista de Manteigas 2014.

Les univers fantastiques

Dans la fantasy le bâton est très souvent associé au personnage du magicien qu'on rencontre rarement avec une épée, influence de Donjons & Dragons où la classe du "magicien" est très limitée dans ses armes... Depuis Gandalf jusqu'aux jeux vidéos on ne compte plus les images de magicien avec un long bâton magique lui servant à lancer des sorts mais aussi, parfois, à se battre.

Gandalf le gris, personnage de l'univers de J.R.R. Tolkien artwork par Nidoart
Le bâton est aussi très souvent associé aux guerrières, sans justificatif particulier, avec des techniques de combat faisant beaucoup appel à la souplesse et à la vivacité. Cela rappelle le personnage du Moine de D&D inspiré des moines Shaolins et devenu souvent une sorte de défenseur du peuple très bien entraîné. Ce type de combattant est donc un autre classique des univers fantastiques.

Enfin on pourra évidemment en donner aux bardes et ménestrels en tout genre mais nous avons déjà parlé de cela plus haut.

Gabrielle, la compagne de Xena la guerrière, se bat le plus souvent au bâton.


***

Voilà, cet article était un peu court mais j'espère que, comme les autres, il pourra vous être utile. Il est probable que j'en fasse des similaires à propos d'autres armes (si cela n'a pas déjà été dit dans d'autres articles).

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire