jeudi 27 septembre 2018

Des playmobils en escrime de spectacle ?

"C'est pas histo !" est peut-être le mot le plus prononcé en fête médiévale (ou autre époque, le militaria XXème semble être bien pire !). Sa conséquence est la figure du playmobil : cette personne qui change juste un ou deux éléments de costume et revendique le fait de porter un costume de telle ou telle époque... Comme un playmobil quoi !
Vous trouverez une définition sur cette page qui vous donnera d'ailleurs de précieux conseils pour vos costumes ou vos campements (consultez aussi celle-ci avec "les aventures de Plémo").
Je me suis donc demandé si cette notion avait un sens en escrime de spectacle, d'où cet article. Un playmobil en escrime de spectacle (à connotation historique) serait celui ou celle qui utiliserait toujours les mêmes techniques, quelles que soient les armes utilisées ou l'époque à laquelle est censée se passer le combat. Mais comment éviter ça ?


Ne pas être un playmobil : proposer une escrime historique

Évidemment, personne ne veut être un playmobil, et force est de constater que nombre de compagnies historiques au niveau de reconstitution parfois très poussé s'effondrent totalement lorsqu'il s'agit de prendre des épées. Non seulement leurs combats sont souvent très moches mais surtout absolument pas historiques ! On se dira quand même qu'il est dommage d'avoir passé tant de temps à coudre son costume, à chercher les épées fidèles, les bonnes armures, le bons patrons de vêtement, les tissu histo-compatibles, les bons modèles de tentes, les bons accessoires, jusqu'à la nourriture et d'avoir aussi peu d'historicité en matière de combat...
Le fait est qu'il est rare qu'une compagnie arrive à concilier correctement les deux aspects.
D'une troupe ou d'un groupe de combat prétendant présenter des combats historiques on attendra donc avant tout une certaine historicité de l'escrime présentée.
Celle-ci consiste d'abord à respecter la logique des armes employées dans un premier temps, et dans un second de présenter des techniques de maniement de cette arme en rapport avec l'époque.
Ainsi, même si il est illusoire d'atteindre la perfection en reconstitution, surtout pour les temps anciens, on pourrait néanmoins présenter des combats témoignant au public de l'état de l'escrime à une époque donnée.

Tecnhiques de combat à l'épée en armure selon Hans Talhoffer - 1448

De l'impossibilité de ne pas être un playmobil : le manque de sources

Mais voilà, outre que la perfection n'est en effet pas atteignable, elle ne semble même pas en vue pour certaines époques. Nous n'avons aucun traité d'escrime avant le I:33 qui ne parle que d'épée-bocle et si, à partir de la fin du XIVème siècle nous sommes relativement bien renseignés sur les pays germaniques et l'Italie avec de nombreux traités d'escrime, ce n'est pas le cas pour d'autres pays à commencer par les deux protagonistes de la Guerre de Cent Ans : les royaumes de France et d'Angleterre.
Pour la France nous n'avons qu'un seul traité Le jeu de la hache rédigé au tournant du XVème siècle et qui ne traite que de la hache de pas (arme maniée presque exclusivement en armure). Le traité suivant écrit en français, La noble science des joueurs despee a été imprimé en 1538 et est une traduction du manuel d'Andre Paurñfeyndt. Pour l'Angleterre nous avons deux manuscrits le Harleian Manuscript du XIVème siècle et le Cottonian MS Titus A. XXV daté du milieu du XVème siècle. Ils sont tous deux loin d'avoir la richesse des manuscrits allemands ou italiens, sont assez succints, sans aucune illustration et ne traitent que d'épée longue.
De même nous ne pouvons que faire des suppositions sur la façon dont se battaient les pirates de l'âge d'or de la piraterie, ou comment on maniait une baïonnette au XVIIIème siècle (puisque les manuels les plus anciens datent tous du XIXème siècle).
Alors certes des études sérieuses peuvent exister avec des sources secondaires comme des dessins et des récits mais on restera dans une certaine incertitude.
Ainsi on sera toujours un peu un playmobil car l'on fera peut-être combattre des Français selon des techniques allemandes sans savoir si celles-ci étaient également enseignées par les maîtres d'armes français (dont l'existence est par ailleurs attestée au Moyen-âge). On montera des combats de pirates selon des techniques militaires en vigueur un siècle après.
Et quand il s'agit d'opposer des armes différentes entre elles, nous manquons cruellement de source, très peu d'auteurs évoquant cela, ou alors de façon très succincte. Paulus Hector Mair est encore une de nos meilleures sources sur ce point mais il ne couvre pas tout, loin de là.

Dussack contre hallebarde selon Paulus Hector Mair - vers 1550

Les combats playmobils crédibles

Pour caricaturer il faudrait donc apprendre à chaque fois en auteur de la période en rapport exact avec notre combat. Même si c'est toujours jouissif d'apprendre le maniement d'une nouvelle arme et d'un nouvel auteur c'est assez gourmand en temps. Or même les professionnels n'ont pas tant de temps que ça et ne parlons pas de l'amateur qui pratique l'escrime de spectacle en général une ou deux fois par semaine. C'est proprement impossible ! Il existe néanmoins des solutions.
Tout d'abord il faut savoir que beaucoup de techniques se perpétuent avec seulement des modifications mineures souvent durant quelques siècles ou au moins décennies. Les armes évoluent un peu, des techniques arrivent, des postures corporelles changent mais au final les grands traits restent longtemps et l'épée longue de Hans Talhoffer (milieu XVème) n'est pas si fondamentalement différente de celle de Theodor Verolinus (2nde partie deu XVIIème). Parmi ces techniques certaines sont particulièrement intéressantes pour leur façon de traverser les époques :

_ Le messer/dussack : le messer/dussack est une arme à la courte lame à un seul tranchant dont les gardes et les lames évoluent des fauchons du XIIIème siècle aux sabres de bord de la compagnie des Indes néerlandaises au XVIIème siècle. Les techniques du monde germanique gardent une base commune de Paulus Kal à Verolinus et on peut donc facilement les utiliser pour toutes ces époques avec les armes adéquates. Des auteurs comme Andre Paurñfeyndt et Joachim Meyer indiquent même qu'elles servent à manier toutes les armes à une main, elles ne sont donc pas exclusives d'un type d'arme très spécifique.
La même technique à 200 ans d'écart
 _ La broadsword et le sabre : La broadsword écossaise est la base de toutes les techniques de sabre anglaises même si celles-ci se sont mêlées au XIXème siècle avec des techniques hongroises. Les mêmes gardes se retrouvent du XVIIIème (et probablement XVIIème) siècle au XIXème siècle. On pourra donc les utiliser pour jouer des Écossais mais également des pirates britanniques ou des militaires anglais des XVIIIème et XIXème siècle maniant des sabres.
_ Le bâton et les armes d'hast : Comme j'en ai parlé dans un autre article, les techniques de bâton d'avant le XIXème siècle sont d'abord un entraînement à l'arme d'hast. La lance est l'une des plus anciennes armes de l'humanité et des armes d'hast diverses ont existé du XIIIème au XVIIIème siècle, très peu ont fait l'objet de techniques spécifique, les techniques de bâton devant leur servir de base. Ainsi, apprendre quelques bonnes techniques de bâton vous rendra capable de manier de façon convaincante des armes d'hast de toutes époques en spectacle. Cela fait du bâton une arme presque universelle !
 
3 gardes de sabre chez Henry Angelo qu'on retrouve déjà en broadsword - 1799

On voit donc que la notion de playmobil si, elle est applicable dans ses grandes lignes à l'escrime de scène (ne pas faire de broadsword avec des techniques de rapière par exemple), n'est pas non plus complètement pertinente sur le sujet en raison d'une certaine continuité de techniques. On a également vu que la faiblesse des sources pour certaines époques est un gros problème, de même que le manque de temps pour tout apprendre.
Je ne peux donc que conseiller à celui ou celle qui veut varier de les époques de s'attacher à apprendre les techniques traversant les époques que j'ai évoquées plus haut... ou à se résoudre à se concentrer sur une seule époque et maîtriser son escrime à la perfection ou presque !

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