Cela faisait longtemps que je n'avais pas fait un article critique. Celui-ci part d'une certaine lassitude : celle de voir trop souvent les mêmes choses dans les différents combats d'escrime de spectacle auxquels je peux assister ou que je regarde en ligne voire au cinéma ou dans des séries. Si certaines de ces actions sont un peu ridicules ou irréalistes, d'autres sont d'excellentes actions, intéressantes et spectaculaires ; simplement on les voit beaucoup trop souvent dans les combats, voire systématiquement, et on s'en lasse.
Les enchaînements d'attaques
Faites un peu d'escrime d'opposition, à l'épée longue, à la rapière ou à l'épée d'escrime, vous comprendrez qu'enchaîner deux ou trois attaques successivement sans avoir de riposte à gérer est déjà bien compliqué. Alors que dire des enchaînements de quatre, cinq voire sept attaques ! Sans justification scénaristique (personnage qui refuse de se battre et ne fait que se défendre par exemple) ça n'est absolument pas crédible. Un enchaînement de deux ou trois attaques peut être justifié par une bonne préparation d'attaque (feinte, surprise, contre-attaque...) ou si le défenseur est en difficulté (en train de se relever, de reprendre son équilibre, a été déstabilisé...), mais au-delà il faut placer une riposte, même en reculant, même maladroite, pour être un tant soit peu crédible. Cela n'ôtera rien à la possibilité de montrer un côté très agressif à l'un des combattants ou à montrer l'autre en difficulté, mais ça sera plus crédible. Malheureusement on voit trop souvent ce genre de choses, surtout dans les compagnies médiévales ou les sons et lumières, où le "huit" (quatre attaques de taille de suite : ventre, flanc, jambe côté non armé, jambe côté armé) semble être encore considéré comme un enchaînement présentable devant un public...
Ce que je pense d'un combat quand je voit trop d'attaques enchaînées... ;-) |
Les voltes
La volte est un coup rare, dangereux, spectaculaire et qui peut surprendre en combat... mais difficile à placer. Parce que celui qui volte se met en danger et présente son dos, elle est rare en combat d'opposition. Notons d'ailleurs qu'on ne voit dans les traités que ce que nous appellerions des demi-voltes, la volte complète semble plus être un coup de canne de combat. Malheureusement la volte est apparemment un ingrédient indispensable de tout combat d'escrime artistique, du moins en France. On en use et en abuse et combien voit-on de dos vulnérables offerts à des adversaires qui restent gentiment en garde sans réagir ? On peut évidemment faire le choix d'une escrime plus spectaculaire et moins réaliste comme le font beaucoup de films d'arts martiaux chinois par exemple. mais dans ce cas le reste du combat devrait être en cohérence : bouger beaucoup, tournoyer dans une chorégraphie guerrière où les lames scintillent et les guerriers virevoltent. C'est, hélas, rarement le cas... En fait souvent on se demande ce que la volte vient faire là, pourquoi l'escrimeur en place-t-il une alors que cela n'a aucun intérêt martial et même peu d'intérêt visuel, le combat n'étant pas particulièrement tournoyant.....
Donc par pitié, cessez d'abuser des voltes !
Donc par pitié, cessez d'abuser des voltes !
Une volte (en fait une demi-volte pour nous) chez Pierre Jacques François Girard (1736) |
Les face à face
Plus spécifique au cinéma, leur abus est particulièrement lassant... Les deux adversaires se retrouvent fort contre fort, visage contre visage, la haine déformant leurs traits, ou la malice dans la bouche (pour les films plus anciens). Ensuite ils ne se séparent qu'en s'éjectant avec force, aucun ne pensant à tromper la force de l'autre pour rompre la pression sur le fer en cédant et en en profitant pour gagner un temps d'escrime !
En elles-mêmes ces scènes ont un potentiel visuel important et sont des confrontations assez fortes entre deux personnages. Mais on les voit trop souvent pour ne pas en être lassé et il serait peut-être temps de varier.
Même les vampires de Blade (Stephen Norrington - 1998) n'échappent pas à un face à face |
Les dos à dos
Les deux adversaires s'opposent et finissent par se retrouver le dos l'un contre l'autre, roulant presque l'un sur l'autre pour changer de côté. C'est une astuce un peu facile pour changer de côté justement et rapprocher et séparer les combattants. Cela arrive en fait plutôt rarement en opposition et ça se voit un peu, même en spectacle. On dirait que les adversaires collaborent presque au lieu de tout faire pour se tuer l'un l'autre... Il ne faudrait réserver cela qu'aux combats volontairement non réalistes dont je parlais plus haut pour les voltes et l'éviter pour tout le reste.
Les désarmements suivis de récupération d'arme
Les désarmements se retrouvent dans tous les traités d'escrime ou presque, que cela soit à l'épée longue, au dussack, à la rapière ou à l'épée de cour. Même si ils ne sont pas forcément faciles à placer en opposition leur fréquence et leur récurrence dans les traités attestent au moins d'un certain emploi. Mais une fois l'adversaire désarmé que faire ? Le combat devrait être terminé, le désarmé n'ayant aucune chance.
Pourtant il est rare que l'on voit un combat d'escrime artistique se terminer ainsi, le plus souvent après un désarmement on assiste presque invariablement à deux scénarios. Dans le premier celui qui a désarmé l'autre lui rend gentiment son arme (pourquoi le ferait-il ? Cela est-il justifié correctement dans le scénario du combat ?). Dans le second l'autre veut continuer à mains nues le plus souvent et finit en général par récupérer assez vite son arme ou parfois celle de l'autre. Ces scénarios en eux-même ne sont pas du tout mauvais, mais ils sont tellement vus et revus qu'on s'y attend et qu'ils ne surprennent plus personne...
De plus, se battre à mains nues face à un adversaire armé (souvent même de deux épées) est tout de même extrêmement périlleux. L'autre a plus d'allonge et a une arme plus mortelle. Certes des techniques existent et sont efficaces... à condition d'avoir un niveau bien supérieur à son adversaire. Or si l'on s'est fait désarmer c'est qu'on est moins bon non ? On voit là tout le paradoxe de cette action et j'attends impatiemment de voir un combat où celui qui se fait désarmer veut continuer et se fait tuer pour cette action stupide !
De plus, se battre à mains nues face à un adversaire armé (souvent même de deux épées) est tout de même extrêmement périlleux. L'autre a plus d'allonge et a une arme plus mortelle. Certes des techniques existent et sont efficaces... à condition d'avoir un niveau bien supérieur à son adversaire. Or si l'on s'est fait désarmer c'est qu'on est moins bon non ? On voit là tout le paradoxe de cette action et j'attends impatiemment de voir un combat où celui qui se fait désarmer veut continuer et se fait tuer pour cette action stupide !
Même si il y aurait à redire sur la chorégraphie (mais ils avaient probablement très peu de temps pour la créer et la répéter) ici le fait de réarmer l'adversaire est justifié par le scénario et les personnages (Thierry, noble chevalier - Florent, ignoble imposteur)
Les retournements de situation continuels
En général dans un combat l'un des deux est meilleur. Quand il est meilleur ça se voit dés le début et il prend l'ascendant. Si les deux sont d'égale force on aura peut-être des moments de domination de l'un ou l'autre mais ça restera souvent équilibré. Je vois trop souvent des personnages déjà vaincus, au sol, désarmés, déséquilibrés ou autre, revenir et inverser la tendance pour mettre l'adversaire à son tour dans la même situation, qui va peut-être encore s'inverser...
En soi là encore c'est un ressort dramatique fort, mais là encore on en abuse vraiment, on ne fait pas assez de combats où l'un domine, prend un avantage, l'exploite et gagne ! C'est pourtant ainsi que la plupart des affrontements se déroulent et cela n'en fait pas un combat inintéressant (parce que même en étant dominé on peut être dangereux et faire un peu peur à l'autre qui réussira une brillante parade ou esquive, parce qu'il est bon). J'aimerais que le retournement du situation ne soit plus un élément indispensable du scénario d'un combat mais plutôt une surprise à faire au spectateur. Et pour que ça soit une surprise il faut que ça reste rare.
En soi là encore c'est un ressort dramatique fort, mais là encore on en abuse vraiment, on ne fait pas assez de combats où l'un domine, prend un avantage, l'exploite et gagne ! C'est pourtant ainsi que la plupart des affrontements se déroulent et cela n'en fait pas un combat inintéressant (parce que même en étant dominé on peut être dangereux et faire un peu peur à l'autre qui réussira une brillante parade ou esquive, parce qu'il est bon). J'aimerais que le retournement du situation ne soit plus un élément indispensable du scénario d'un combat mais plutôt une surprise à faire au spectateur. Et pour que ça soit une surprise il faut que ça reste rare.
Pour finir...
L'idée de cet article n'est pas de stigmatiser la plupart des actions que j'ai décrites (sauf peut-être l'enchaînement d'attaques) mais d'abord de sensibiliser au fait qu'à les voir trop souvent elles perdent de leur efficacité dramatique voire de leur crédibilité. Cet article est un appel à parfois une simplicité scénaristique salutaire, crédible et qui finira par surprendre le spectateur blasé des rebondissements et autres... Surtout cessons de les voir comme des éléments presque obligatoires, cherchons d'autres actions, d'autres ressorts dramatiques. Cherchons d'autres coups dans les traités, ou innovons scénaristiquement, dramatiquement. Ne nous contentons pas de copier ce qui se fait depuis cinquante ans !
C'est un très bon article, qui met le doigt sur un point essentiel des chorégraphies de combats, la répétition des actions. L'histoire est simple, et pour cité mon vieux maitre Bob, il n'y a pas 36 000 façons de frapper quelqu'un sur la tête. Du coup, tout s'est déjà vu, tout s'est déjà fait.
RépondreSupprimerFinalement le problème est ailleurs. De mon point de vue le problème est que, dans un spectacle d'escrime, tous le monde semble croire que faire de l'escrime est le plus important. Et parce qu'il y a de l'escrime, il y a de l'action. Et c'est auto-suffisant pour intéresser les spectateurs. Or c'est faut, et les comédiens qui font de l'escrime dans leurs pièces de Shakespeare ou d'autres auteurs vont le confirmer, l'escrime reste après tout qu'un accessoire comme l'acrobatie ou la danse. C'est là où, d'après moi, la plupart des troupes d'escrime artistique pêchent. Dans un spectacle d'escrime le plus important, c'est le spectacle, c'est-à-dire, le scénario, le texte et surtout, les personnages des acteurs. Se concentrer uniquement sur l'esrime, c'est créer une coquille vide. Du coup, le spectateur, qui n'a rien d'autre à se mettre sous la dent, remarquera les coups répétés et les actions mille fois vues.
Un remède à ce, de mon humble point de vue international, problème surtout français, est de soigner plus le côté spectacle (à pas confondre avec spectaculaire). À un scénario original, j'ai vu quelques uns au spectacle de KOREO, et des personnages d'acteurs soignés, 5 coups d'épée peuvent suffire pour faire un bon spectacle d'escrime.