Si vous me connaissez un peu vous savez peut-être que je ne suis pas vraiment un grand fan des esquives et des voltes. Si je les ai apprises comme tout le monde (c'est d'ailleurs peut-être un souci qu'on apprenne ça systématiquement mais j'y reviendrai), je ne les utilise jamais dans mes chorégraphies. Néanmoins, après avoir beaucoup craché dessus j'y ai aussi pas mal réfléchi et ma pensée sur ce point a légèrement évolué. J'ai bien dit évolué, je n'ai pas dit que c'était bien, mais bon, disons que ça peut avoir un sens si on fait ça de manière cohérente.
Donc voilà, les voltes, les esquives, ça raconte quelquechose, et on en a rarement conscience, et quand on en met dans son combat sans y réfléchir... et bien c'est pas terrible en fait. Penchons-nous donc sur la question, d'abord en évacuant l'aspect du réalisme et de l'historicité puis en voyant quel type de personnage cela raconte.
Esquive dans le jeu vidéo The Witcher 3 - Wild Hunt - CD Red Project 2015 |
Voltes et esquives : des mouvements irréalistes et non-historiques
Des esquives très audacieuses
Tout d'abord précisons bien de quoi on parle : pour ce qui est des esquives je ne parle pas d'esquiver la lame adverse en reculant, en effaçant son corps au dernier moment sur un estoc ou en retirant un bras ou une jambe qui risquerait de se prendre un coup de taille. Ces esquives là sont martiales, réalistes et historiques. Je parle des autres : celles où on s'abaisse pour éviter une lame, où on saute, et, peut-être les pires : celles où l'on se jette vers un côté, vers l'adversaire pour éviter un coup diagonal.
J'en ai déjà traité dans un ancien article donc je vais me contenter de résumer ici : ça n'est ni historique ni martial ni même crédible. Un simple déviation de trajectoire, souvent facile à faire, et vous vous prenez le coup. Bref seul un fou tenterait de se défendre de cette manière !
Ce mème résume assez bien mon idée |
Des voltes suicidaires
Pour ce qui est des voltes, je parle de la volte d'escrime artistique qui consiste à faire un tour à 360°, en avançant ou en reculant et qui se termine en principe par une attaque. Elle peut partir d'une parade ou non. On peut la faire dans les deux sens et parfois on parle de volte et de contre-volte selon le sens. Ne me demandez pas lequel ; cela a, paraît-il, suscité un très long débat de maître d'armes il y a quelques années ! C'est un coup que l'on retrouve en canne de combat fédérale (de la Fédération Française de Savate, Boxe Française) voire en boxe française associée à un coup de pied retourné.
Voilà, on parle de ce mouvement (vidéo des Lames sur Seine)
Or ce coup n'a aucun fondement historique, que ça soit en canne ou en épée. En épée de cour on trouve bien des mouvements appelés "voltes", ils sont basés sur des mouvements de pieds similaires mais cela s'assimile en fait à ce que nous appellerions de nos jours un "quart de volte". Face à un adversaire qui se rue sur vous on efface son corps pour esquiver la lame et on tend son bras et son épée pour qu'il s'y empale. Cela fonctionne encore de nos jours en assaut à l'épée ou au fleuret. Mais dans aucun traité il n'est fait mention d'un coup où l'on tourne le dos à son adversaire ce qui serait hautement dangereux et stupide ! En canne de combat au XIXe siècle Robert Charlemont parle bien d'une volte. Mais là encore il s'agit de ce que nous qualifierions de "demi-volte" puisqu'il s'agit de pivoter sur soi-même à 180°. Cette technique a un contexte bien particulier : faire face à plusieurs adversaires. Quand au coup de pied, il peut se placer mais, de l'avis de pratiquants sur le groupe de l'Amicale des Arts Martiaux Français, c'est tout de même une technique bien risquée. En fait, clairement, c'est martialement un mouvement pas très utile et qui mettrait gravement en danger le combattant qui le tenterait. On quitte l'adversaire des yeux, on expose son dos pendant un long moment sans défense, personne de sensé ne fait ça !
Donc on a deux types de mouvements tous deux totalement irréalistes et non historiques. Vous comprendrez aisément pourquoi je ne les pratique plus. En revanche ils ont tous les deux en commun d'impliquer fortement le corps dans la chorégraphie, et c'est cela qui va nous intéresser.
La volte dans Le traité des armes de Pierre Jacques Girard (1740) |
Des mouvements qui racontent des personnages bien précis
L'athlète et l’autodidacte
Au sein de ma typologie des personnages deux archétypes sont susceptibles d'utiliser ces esquives et ces voltes irréalistes : l'athlète et l'autodidacte. L'athlète a une escrime basée sur une débauche d'énergie physique. C'est un combattant qui bouge énormément, enchaîne les mouvements, les attaques, les parades et les ripostes. De ce fait les esquives et les voltes lui conviennent très bien puisqu'elles impliquent des mouvements de corps et que c'est la spécialité de cet archétype. Vous pouvez donc les utiliser pour raconter ce type de personnage à la limite du surhumain physiquement puisqu'il réussi des mouvements improbables. Un elfe d'un univers fantastique pourrait éventuellement en utiliser pour souligner son caractère surhumain (ça fonctionne avec Legolas dans les films du Seigneur des anneaux, cela marche beaucoup moins bien avec des nains dans Le hobbit !).
L'autre personnage que l'on pourrait éventuellement voir utiliser des esquives et les voltes serait l'autodidacte. Si on ne les imagine pas trop chez le vieux briscard qui ne prendrait pas un tel risque (il n'est pas stupide et se moque de faire de l'esbrouffe), on peut penser qu'un autodidacte les aurait développées un peu tout seul avec l'idée que ça marcherait même si ça n'est pas très conventionnel. Avec une esquive basée sur la ruse certains autodidactes pourraient vouloir prendre ce risque pour surprendre leur adversaire par un mouvement inattendu : c'est risqué mais ça peut gagner. On peut donc envisager que ces mouvements racontent ce type de combattant.
Néanmoins précisons que si je n'envisage ces mouvements que sur ces deux types de profils cela ne veut pas du tout dire qu'il faut obligatoirement mettre des esquives et des voltes pour raconter ces personnages ! Cela veut dire que si on les place, on risque d'être dans ces deux types de profil. Mais on peut tout à fait raconter un athlète ou un autodidacte réalistes qui n'utiliseraient pas ces mouvements.
Dark Maul, dans La menace fantôme - G. Lucas 1999, archétype du personnage athlétique |
Le héros de capes et d'épées
Bon, il faut quand même le dire : si ces gestes font partie de la panoplie qu'on nous apprend ce n'est pas par hasard. Ils sont en effet très employés par les protagonistes des films de cape et d'épée, héros au grand cœur, éventuellement pirates ou pas très regardant sur la loi. Ces héros ont souvent une escrime toute en vivacité, en mouvement (ce qui les rapproche du personnage de l'athlète). Ils sont aussi souvent moqueurs et irrévérencieux et quoi de mieux qu'une esquive improbable pour humilier un adversaire et souligner la différence de niveau entre lui et le héros ! Les esquives est couplée à des sauts, des courses, des lustres qu'on fait tomber en coupant la corde, des épées que l'on lance etc. La volte arrive un peu plus tard mais elle est dans le même esprit. On a un héros qui donne du spectacle, qui en fait trop et ces mouvements, aussi peu crédibles qu'un lancer d'épée, s'intègrent bien là-dedans.
Notez par contre que ce sont généralement les héros qui utilisent ces mouvements, il est rare de les observer chez les sbires du méchant ni chez le grand méchant lui-même. Les sbires sont maladroits, ridiculisés, dépassés et le grand méchant est souvent plus hiératique, plus sérieux, il ne s'amuse pas avec ces fariboles. Cela permet aussi de mettre un contraste de style qui est en général intéressant à regarder.
Ce combat sur le toit de Fanfan la tulipe de 2003 (réal. Gérard Krawczyk) illustre bien l'archétype du héros de films de cape et d'épée insouciant et provocateur.
Des propositions artistiques particulières
On l'a vu avec les films de cape et d'épée, ces mouvements peuvent être utilisés pour ridiculiser un adversaire dans un cadre irréaliste. On arrive là vers le troisième emploi : le comique. Après tout ces manœuvres sont martialement ridicules, donc pour présenter un combat ridicule autant les utiliser ! On peut raconter ça avec elle : une parodie de combat, une pantomime où tout est exagéré. Donc dans un cadre comique ça passe bien aussi. Il faut alors prendre bien soin de les montrer voire de les accentuer. Là on ne cherchera pas à rendre la volte fluide et presque naturelle mais au contraire de bien montrer qu'elle n'est pas un mouvement martial. J'imagine aussi ça assez bien dans un cadre de théâtre de rue où tout est souvent très exagéré et un peu fou.
Enfin on pourrait également envisager ces mouvements dans une proposition artistique proche d'un ballet, ou du moins de quelquechose qui ne se veut pas réaliste pour un sou mais mets l'accent sur le mouvement. On pourrait mêler les voltes à des roues ou d'autres mouvements tournoyants. Pour les esquives on pourrait voir quelquechose de plus acrobatique. Tout reste possible si la proposition est bien assumée et claire.
Je vous invite à regarder le combat à 2:45 sur cette vidéo. La proposition artistique réside dans le coordination des gestes avec le tempo de la musique. Là les voltes sont tout à fait à leur place.
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Voilà donc, je l'espère, une vision honnête de ces deux types de manœuvres que, personnellement, je n'aime pas beaucoup. Notamment parce qu'elles sont présentées comme des mouvements presque de base alors que, même dans le cadre originel des films de capes et d'épées, elles sont réservées aux héros. Voltes et feintes racontent des personnages spécifiques et, même là, on est dans l'exagération, l'irréalisme. Exécutées un peu maladroitement (comme trop souvent) elles sont vraiment ridicules puisque ces mouvements sont censés souligner l'audace et les capacités physiques du héros.
Notons qu'il y a aussi des manières de mieux les placer en combat, de les rendre presque crédibles. Pour les voltes c'est notamment quand la manœuvre précédente vous a déjà obligé à tourner un peu, vous pouvez ainsi déjà amorcer le mouvement en parant par exemple et le terminer en volte. Ça reste irréaliste mais ça passe déjà mieux et c'est fluide. Mal fait c'est juste ridicule. Mais bon, on l'a vu, cela peut aussi être une posture volontaire !
Comme on vous le répète pas mal ces derniers temps nous vous invitons vraiment à penser votre escrime, les coups et mouvements que vous choisissez en fonction de vos personnages et à ne pas faire n'importe quoi. Ces manœuvres ne sont pas des techniques de base employables partout, elles racontent des choses très spécifiques et il convient d'en tenir compte pour vos choix.
Et pourquoi pas simplement s'exprimer au travers d'un combat ou d'une fable... D'une volte ? Trop réfléchir a un geste technique c'est le dénaturer et je vois beaucoup trop de personne cérébralité et prétexté l'impossibilité d'un geste pour justifier une supériorité martial et une technicité ignoré du débutant. La suite logique a tout ça c'est de finir par chorégraphier des duels d'escrime sportive car techniquement efficient. Travaillons l'impossible car c'est de loin plus compliqué que le raisonnable mais raisonnons nos ardeurs pour ne pas sombrer dans le grotesque. La règle c'est qu'il n'y a pas de règle mais pour celà il faut suffisamment d'expérience pour s'en affranchir.
RépondreSupprimerJe signe en athlète sans doute !
En fait si, il y a des règles artistiques un peu partout, même si on peut les briser. Je viens de voir, dans la mini-série Monte Christo de 1979, un champ-contrehamp où la règle des 180° n'était pas respectée et c'était très bizarre. Je ne l'ai pas traquée, c'est juste qu'il y avait un impression dérangeante et qu'en y réfléchissant j'ai trouvé d'où ça venait. Alors, certes, Michael Mann brise cette règle dans Heat, mais il le fait pour des raisons bien précises, pas parce qu'il a raté un plan. Donc, oui on peut s'affranchir des règles mais, pas n'importe comment ! Là je donne quelques indices pour bien utiliser les voltes pour celles et ceux qui voudraient en faire.
SupprimerQuant aux combats martiaux et réalistes ils peuvent être passionnants. Comme cette vidéo de Warlegends par exemple : https://youtu.be/lUfQxLTFUWE?si=nxqAZlRKxr-XjYeH