Pour terminer la série des mauvaises excuses pour ne pas montrer une escrime plus historique et plus martiale, plus "crédible", en escrime de spectacle nous nous proposons de terminer sur quelques bonnes excuses. Oui, il peut exister de vraies raisons de ne pas choisir la voie précédente, de faire des coups de taille à la rapière à lame triangulaire etc.
Et la première que nous allons voir est celle de devoir faire vite avec des débutants. On pose le contexte : vous devez en une quinzaine ou une vingtaine d'heures, voire moins (pour les plus fous furieux) présenter une chorégraphie sur une scène ou à la caméra avec des gens qui n'ont jamais touché une épée de leur vie et n'ont aucun passif martial. Pour les pratiquants que nous sommes cela semble fou, mais c'est, hélas, la réalité de beaucoup de chorégraphes de théâtre ou de cinéma. Personne ne semble se rendre compte du temps qu'il faut pour apprendre à correctement manier une arme et simuler un combat avec des épées (ou autres) !
La priorité du chorégraphe/enseignant reste la sécurité. Les comédiens vont devoir répéter le même combat chaque soir, durant toute la durée de la programmation de la pièce ou de la tournée, ou plusieurs fois dans la même journée pour du spectacle de rue. Au cinéma le combat sera probablement tourné plusieurs fois, avec de nombreux angles différents et de nombreuses prises pour laisser du choix au montage. Et même pour un spectacle de jeunes avec une seule représentation on ne voudra pas prendre de risques. Après tout, la sécurité reste une priorité pour les enseignants d'escrime de spectacle et l'on ne veut pas de blessé à l'entraînement comme en représentation ! Seuls des cascadeurs professionnels peuvent, à la rigueur, accepter de prendre quelques risques mesurés pour la beauté du spectacle, mais ce n'est pas d'eux dont on parle ici.
On va donc voir ainsi comment augmenter la sécurité et comment "tricher" un peu pour réussir à obtenir un résultat présentable.
Gravure du XVIIIe siècle illustrant Le bourgeois Gentilhomme de Molière dans les collections du Rijksmuseum d'Amsterdam |
Le choix des armes
Une des premières possibilités réside dans le choix d'armes qui minimiseront les dangers pour les pratiquants et leur donneront plus d'aisance.
Tout d'abord, le poids des armes. C'est un de mes sujets récurrents depuis quelques années, mais c'est une chose importante pour une escrime crédible. Pour simplifier, on a deux catégories d'armes : celles dont le poids est négligeable et les autres. Dans la première catégorie, on trouve les épées de cour, les armes à lame triangulaire, les cannes et les bâtons de combat fédéraux ou encore les sabres laser. On pourrait y ajouter, dans une moindre mesure, une bonne partie des armes en duraluminium. Dans la seconde on trouve toutes les autres : épées médiévales, sabres en acier, rapières à lame plate, haches, armes d'hast etc.
La première catégorie permet de faire rapidement à peu près tous les mouvements, d'interrompre sans problème une attaque, de changer de coup, de côté très facilement. Avec la seconde il faut mieux penser ses enchaînements, ses transitions, apprendre les moulinets au sabre ou la gestion du levier à l'épée longue, l'utilisation du contre-tranchant etc. Tous ces mouvements sont indispensables pour gagner en fluidité et maîtriser réellement son arme voire simplement ne pas se blesser. Notons que cela demande aussi d'acquérir un peu de "poigne", en fait le temps que les muscles profonds stabilisateurs s'adaptent et gagnent un peu en puissance (non vous ne deviendrez pas un.e bodybuilder pour autant !).
Gérer le poids d'une arme ça s'apprend, et pas trop difficilement, mais c'est forcément ici une chose en plus à apprendre. Et avec votre temps de répétition les muscles n'auront pas non plus le temps de beaucoup s'adapter. Or on l'a dit, ici on n'a pas le temps, donc si on peut se passer de cette étape avec des armes légères eh bien ça fait partie des solutions, ça sera autant de temps pour apprendre d'autres choses dont on aura besoin.
Le revers de la médaille c'est aussi qu'en se passant de cela, on va forcément dénaturer profondément le geste martial. On n'arrivera probablement pas à tenter de reproduire correctement l'effet d'une arme ayant du poids avec une arme qui ne pèse rien, et de toutes façons on n'aura pas le temps. Donc on fera forcément une escrime moins crédible, mais au moins on a une bonne raison !
L'autre intérêt de faire ces choix d'armes légères est aussi de minimiser les risques de blessures en cas de coup mal maîtrisé. On est pressé, il faut faire vite et, forcément, on aura moins le temps d'apprendre à bien arrêter un coup ou à le parer, donc autant que les petits incidents restent limités. C'est une deuxième sécurité qui ne doit normalement pas arriver, mais qui minimise les conséquences si elle entre quand même en action. Un coup de taille de ces armes n'est jamais bien agréable à prendre, mais il y a moins de chances qu'il ait des conséquences que si on avait une épée ou un sabre d'acier d'1kg ou d'1,5 kg ! Cela conforte dans le choix de ces armes et donc d'un éloignement de la martialité.
Paire de rapières destinées à l'escrime artistique vendues chez Antikcostumes. |
Le choix des techniques et des coups
L'autre façon de sécuriser est de choisir les bons coups. Un estoc qui touche alors qu'il ne devrait pas sera toujours plus dangereux qu'un coup de taille avec des armes légères. On privilégiera donc ceux-ci en interdisant les estocs ou du moins en les limitant. C'est ainsi qu'on se retrouve avec ces fameux coups de taille à la rapière à lame triangulaire que je déteste tant ! Est-ce là une des raisons de leur arrivée dans notre pratique ? Peut-être, les créateurs n'ont pas écrit à ce sujet donc on en est réduit à des hypothèses. Mais reconnaissons qu'ainsi on minimise les risques.
Et c'est encore plus vrai quand on demande de cibler les épaules au lieu du visage, qui est la cible la plus crédible pour des coups horizontaux ou diagonaux. Ainsi, un coup de taille non paré avec une arme légère arrive sur l'une des parties les plus musclées et les moins douloureuses du corps, autant dire qu'ainsi on réduit drastiquement les risques ! Ce n'est pas très beau, mais on l'a dit, on n'a pas le temps de faire beaucoup mieux.
Le choix des grands coups de taille permet quand même de mettre un peu de spectacle quand la technique ne peut pas le faire : ça donne vaguement une impression de brutalité et ça prend de l'espace. Parce qu'il faut quand même avec ça qu'on ait l'impression qu'ils combattent hein ! On choisit des techniques simples ici car, rappelons-le, on est ici dans l'hypothèse de complets débutants. Ils ne savent rien faire à la base, et ne pourront pas apprendre grand-chose. À vrai dire ils apprennent même la chorégraphie en même temps que l'escrime. Donc : coups simples, parades simples et tant pis si Cyrano se ferait embrocher par le premier spadassin un peu formé ! Notons qu'on va souvent utiliser des parades de tierce et de quarte avec remise en garde après pour refrapper un coup de taille (oui, c’est compliqué d'enchaîner un coup de taille après ces parades là, l'estoc passe mieux), mais nous pourrions tout à fait proposer des parades en prime haute et seconde haute qui se prêtent mieux à une riposte en taille (c'est d'ailleurs ce que proposait le Lieutenant de vaisseau Pringle Green pour ses marins il y a deux siècles).
Dans tous les cas on va donc devoir choisir une escrime simple et essayer de faire en sorte qu'elle soit le plus spectaculaire possible tout en restant sécurisée et exécutable avec les compétences extrêmement limitées de nos néo-escrimeurs. Donc en effet l'historicité et la martialité vont passer au 3e plan au moins, on essaie d'abord de cacher la misère faire au mieux avec ce qu'on nous accorde !
Enfin, et uniquement en vidéo, on peut aussi jouer sur le surdécoupage des plans, les ralentis ou l'accélération voire la shaky cam (coucou Les Trois Mousqutaires !) pour tricher et rendre un combat acceptable. Mais ne rêvez pas tout de même, vous n'aurez pas la même chose que si vous embauchez des cascadeurs spécialisés dans le combat avec du temps de répétition devant eux !
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Voilà donc une bonne excuse pour ne pas pratiquer une escrime de spectacle historique et martiale. On a traité ici de parfaits débutants, mais parfois certains peuvent avoir des qualités, des connaissances, qu'il ne faudra pas hésiter à exploiter. Des participants ayant un passé d'arts martiaux apprendront plus vite, et ils connaîtront déjà quelques techniques que vous pouvez essayer de placer. Avec des acrobates ou autres athlètes il serait dommage de ne pas exploiter leur souplesse. Enfin, l'idée est là. C'est aussi comme ça qu'on se retrouve avec des films où les cascadeurs abandonnent leurs armes pour se battre à mains nues parce qu'ils savent faire ça beaucoup mieux qu'avec des armes, mais bon...
Notez qu'on reste dans des cas particuliers qui ne sont pas celui d'un club ou d'une association avec des participants assistant à un ou deux cours par semaine. Pour ceux-là cette excuse n'est pas valable, vous avez le temps de les former et qu'ils apprennent.
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