lundi 25 novembre 2024

Les excuses : "l'escrime historique ce n'est pas assez spectaculaire"

Occupons-nous ici d'une autre excuse facile pour ne pas éviter les techniques historiques : celles-ci ne seraient pas assez spectaculaires et cela n'est donc pas la peine de les apprendre puisque ce que l'on veut faire c'est du spectacle. Voilà encore une excuse bien facile et pleine d'idées reçues. Elle va loin car j'entends très souvent qu'on opposerait l'escrime "spectaculaire" et l'escrime "historique", comme si on ne pouvait pas faire d'escrime historique spectaculaire, comme si il faudrait forcément choisir. Cela relève le plus souvent d'une méconnaissance des techniques historiques et d'un manque de réflexion sur d'autres points. Examinons un peu tout cela point par point.

Technique de Dussack présentée par Paulus Hector Mair (années 1540)

Des armes historiques impressionnantes, des techniques plus rapides

Parlons d'abord des armes, en admettant que l'on sorte de la rapière à lame triangulaire ou de la canne fédérale. On a des épées longues, des sabres, des rapières à lame plate voire des lances, des hachettes, des hallebardes etc. Sur une scène, un spectacle de rue ou un film les lames triangulaires se voient assez mal et l'une des justification des grands mouvements que l'on fait avec c'est que c'est plus spectaculaire avec un grand couronné par exemple, on aurait plus l'impression de frappe. Mais les armes que j'ai cité précédemment n'ont pas ce problème : elles prennent bien la lumière, sont plus grandes, plus lourdes et nul besoin d'un couronné pour que le public comprenne qu'on n'a pas envie se se prendre cette lame dans la figure ! Ce que je veux dire c'est qu'avec des armes plus historiques on n'a pas besoin de rajouter au spectacle avec des coups irréalistes, l'impression de base suffit déjà.

Par ailleurs, avec ces armes plus lourdes, utiliser des techniques historiques en accord avec la logique de permet d'aller plus vite avec elles. Si vous faites un simple mouvement de poignet au lieu d'un mouvement de bras vous allez forcément envoyer le coup plus rapidement et la rapidité, le dynamisme sont des éléments important du côté spectaculaire (voir cet article par exemple). Réduire ses mouvements voire ses déplacements permet d'aller plus vite (sans se précipiter, juste par la technique) et donc, a minima, de compenser le poids des armes historiques. Et on l'a dit, leur aspect plus visuel suffira pour que le coup paraisse impressionnant. Et même avec une épée de cour, l'aspect virevoltant et hyper technique impressionnera le public, quand bien même il ne comprendra pas tous les mouvements il y verra une sorte de magie de la virtuosité.

Dans cette vieille vidéo d'Exulis on voit un duel à l'épée de cour, rapide, nerveux et technique

Une multitude de techniques historiques spectaculaires

Penchons-nous ensuite sur les techniques plus spécifiques. Admettons que certaines techniques peuvent ne pas être très visibles pour le public et donc pas très spectaculaire : des techniques très subtiles de jeu de lames à l'épée de cour ou à la rapière par exemple, ou des contres en jeu court ou à la dague. Seule une caméra en gros plan pourra rendre visibles ces techniques, sinon en effet elles n'ont pas trop d'intérêt en escrime de spectacle. Certains styles comme la Verdadera Destreza ne sont, en eux-mêmes, pas très spectaculaires et demandent une mise en scène travaillée si on veut le rendre intéressants. Néanmoins ce style peut toujours être choisi pour contraster avec un autre et, typiquement, opposez-le à un pratiquant d'escrime italienne de la même époque (fin XVIe-début XVIIe siècles) et vous retrouvez du spectacle !

En revanche il existe aussi beaucoup de techniques historiques très spectaculaires à commencer par les techniques de projection et de mise au sol qui font toujours leur effet. Les techniques inattendues aussi sont très intéressantes car elles vont surprendre le public et l'étonner d'autant d'audace :  coups de pommeau, de pied, contre-attaques, ripostes inattendues etc.

J'en ai déjà cité beaucoup sur ce blog, je vous fais ici une petite liste des articles où j'en parle. Pour les autres je vous laisserai les chercher vous-mêmes (ou attendre un autre article peut-être).

- Techniques d'épée de cour (P.J. Girard)

- Techniques de sabre (A. Valville)

- Techniques d'épée longue (Fiore dei Liberi)

- Techniques de dague (allemande)

- Techniques de défense personnelle vers 1900

- Les "trahisons" de Godinho (1599)

- Le tirage de barbe de P.H.Mair à l'épée-bocle (XVIe siècle)

Contre de désarmement chez Fiore dei Liberi

Ne jamais oublier de faire le spectacle

J'ajouterai une dernière chose : NE JAMAIS OUBLIER DE FAIRE DU SPECTACLE. Les techniques, qu'elles soient réalistes, martiales, historiques ou totalement fantaisistes sont au service du spectacle. Il ne faut jamais oublier de jouer, de faire le spectacle, ce que l'on voit malheureusement un peu trop souvent quand des gens ont le courage de faire des techniques historiques. Il ne faut pas oublier de mettre de l'émotion, de la rage, de la peur, du calcul dans vos chorégraphies. Exactement comme avec des techniques moins historiques. Il n'y a absolument aucun obstacle à cela. Si vous n'y arrivez pas c'est peut-être que vous en maîtrisez pas assez vos techniques pour être à l'aise et à ça il n'y a donc qu'une seule réponse : allez les travaillez et répétez vos chorégraphies !

***

Êtes-vous toujours convaincus que l'escrime historique ne peut pas être spectaculaire ? Voulez-vous toujours donner cette excuse pour ne pas vous y mettre ? J'espère en tout cas avoir tordu le cou à cette fausse excuse. N'ayez pas peur de manier des armes historiques et faites-le avec les techniques qui y sont associées, celles qui vous permettent de garder de la vitesse et du dynamisme en gérant au mieux leur poids. Allez fouiller, cherchez les techniques sympathiques, originales, les vieux traités en regorgent. ET, évidemment, n'oubliez pas de jouer : vous êtes quand même là pour faire le show ! Et arrêtez de vous cacher derrière de fausses excuses.


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