lundi 30 novembre 2020

Armes insolites : le demi-espadon et son intérêt en escrime scénique

Encore une fois c'est grâce à la chaîne Youtube Les arts martiaux français que je vous présente une nouvelle arme insolite. Je dois néanmoins avouer qu'elle reste moins insolite que le biscaïen que j'avais évoqué précédemment puisqu'il s'agit d'une épée tout juste particulière. Celle-ci est surtout particulière pour son époque : la fin du XVIIIe siècle et le début du XIXe et nous donnera pas mal de libertés en spectacle. Je vous invite à regarder la vidéo (à la fin de cet article) qui vous montrera comment on peut chercher des informations sur une arme ou un terme avant de poursuivre la lecture de cet article.

Épée d'officier d'infanterie et de cavalerie, modèle de 1788 (modifiée sous l'Empire) en vente sur le site Antikcostume.

 

Le demi-espadon, une épée de cour pour la guerre ?

Il ressort de l'étude d'Alaric du Capcir (qui tient la chaîne citée plus haut) que le demi-espadon est une arme nommée ainsi entre la fin du XVIIIe siècle et le début du XIXe (1780 à 1820 environ). À ces époques le terme "espadon" a tendance a désigner tout ce qui n'est pas une épée de cour (voir mon article qui lui est consacré) qui est appelée tout simplement "épée". Le terme "espadon" désigne donc aussi bien les sabres courts de l'infanterie et de la marine que les plus longs de la cavalerie ou les lattes de la cavalerie lourde voire les grandes épées à deux mains bien antérieures (auxquelles Marc Olivier Blattin a consacré un article sur ce site). Le demi-espadon serait une version plus légère de l'espadon d'où le terme "demi" qui le situerait entre l'espadon et l'épée de cour (il s'agit d'une hypothèse personnelle ici). Il a affaire en quelque sorte à une épée de cour "lourde". De l'épée de cour le demi-espadon a la garde réduite, en forme de coquillage à l'époque, avec souvent des pas d'âne résiduels (mais le ricasso est trop petit pour y passer les doigts). De l'espadon il a une lame droite et tranchante et la longueur (environ 1 mètre au total). Néanmoins vu le poids des armes (moins d'1kg) cette lame est beaucoup plus légère que celle des sabres (plutôt au-dessus des 1,5 kg). Il s'agit donc d'une lame destinée à être maniée d'estoc et de taille.

Une épée d'officier d'infanterie britannique (1796-1821) qu'on peut appeler en français "demi-espadon" (98 cm dont 81 cm de lame pour 0.74 kg)

Cette arme est avant tout destinée à la guerre où le port d'une arme exclusivement d'estoc est problématique quand le danger peut venir de partout, qu'on peut être amené à parer un coup de sabre au dernier moment en parade d'opposition ou à se retrouver trop près pour estoquer... Malgré tout, en raison de leur statut social (la majorité était issue de la noblesse), les officiers portaient l'épée à la guerre et non le sabre qui était pour la troupe. Le demi-espadon est donc une arme spécifiquement destinée aux officiers d'infanterie (les cavaliers portaient eux le sabre de cavalerie) pour continuer à porter l'épée à la guerre, il était également manié (plus ou moins en infraction avec le règlement militaire) par les maîtres d'armes des régiments qui étaient en général des sous-officiers. Cette arme permet en effet de continuer à utiliser les techniques d'escrime apprise en salle d'armes tout en les agrémentant de coups de taille. À l'époque, l'escrime faisait partie de l'éducation de tout homme bien né (noble ou même bourgeois), à des fins de développement physique, d'éducation au maintien, de récréation et, évidemment, dans la perspective d'avoir un jour à défendre son honneur sur le pré lors d'un duel. Les officiers, issus de ces milieux, étaient forcément escrimeurs et ils avaient donc ainsi une épée avec laquelle ils pouvaient faire ce qu'ils savaient faire à la guerre. Le résultat donne cependant une arme dont l'efficacité n'est pas forcément extraordinaire mais qui leur évitait d'avoir à apprendre une toute autre escrime à l'espadon (escrime qui était également enseignée à l'époque mais mal considérée).

Notons que si j'ai cité la période du tournant du XIXe siècle, il s'agit surtout de l'emploi du terme. Au XVIIIe siècle, les épées de cour étaient loin d'avoir toutes des lames évidées en triangle, beaucoup avaient des lames plates qui les rapprochent des demi-espadons. Ainsi Domenico Angelo, dans son traité de 1763 nous indique qu'il est préférable de choisir une lame plate pour la guerre :

"Les uns se servent de lame plate et les autres de lame vidée. Quelque soin que l'on prenne de bien monter une lame plate et de donner assez de pesanteur à la garde pour rendre la pointe légère, on la trouvera toujours pesante à la main. Conséquemment il est difficile de faire les opérations qui dépendent de la pointe. Je conseillerai de choisir une lame plate pour l'armée, soit à pied, soit à cheval ; et pour une affaire particulière, une lame vidée tant à cause de sa légèreté que de la facilité qu'on a à la manier et à s'en servir."

Domenico Angelo - L'école des armes - 1763

On imagine bien qu'il ne s'agissait pas d'une opinion originale chez Angelo (qui, si je ne me trompe, se trouve également dans d'autres traités du XVIIIe siècle) et que de nombreux officiers des armées européennes appliquaient ce principe, rapprochant ainsi leur arme du demi-espadon.En revanche, à partir des années 1820 les officiers d'infanterie se voient dotés de sabres spécifiques, presque droits, mais qui restent des sabres (avec une poignée et une garde de sabre) et non des demi-espadons.

Épée d'officier de marine néerlandais du Brick Ste Lucie datée de 1800. On pourrait elle aussi la qualifier de demi-espadon, d'autant qu'elle ne possède qu'un seul tranchant.
Collections du Rijksmuseum d'Amsterdam
Le demi-espadon, une bonne arme pour l'escrime de spectacle.

Il reste à nous pencher sur ce qu'on peut faire de cette arme dans nos spectacles. Or, si elle avait une efficacité limitée à l'époque, probablement du fait de coups de taille peu puissants en raison de sa légèreté et d'un escrime de pointe moins efficace, le demi-espadon est pour nous une arme très intéressante. Tout d'abord, comme elle se manie comme une épée de cour à laquelle on ajoute des coups de taille, il sera assez aisé pour la plupart des escrimeurs de spectacle de la prendre en main. En effet l'escrime moderne descend directement de l'escrime à l'épée de cour et on ne sera ainsi pas dépaysé. Il faudra cependant veiller à avoir plus de contacts de fer car, à l'époque, on se couvrait beaucoup de la lame adverse. De plus son poids réduit et son équilibre la mettent à la portée de tous les escrimeurs et escrimeuses.

Infanterie de ligne, 1793 - d'après Alfred de Marbot (1812 - 1865) - On y voit bien la lame plate du demi-espadon de l'officier.
Credit: Photo (C) Paris - Musée de l'Armée, Dist. RMN-Grand Palais / Tony Querrec

Mais la principale raison est sa polyvalence. Il s'agit d'une arme qui donne aussi bien des coups d'estoc que des coups de tailles. Prendre des demi-espadons évite donc la complexité de penser un combat uniquement avec des coups d'estoc et permet d'y adjoindre des coups de taille qui apportent de la variété. Ajoutons qu'il peut également tout aussi bien s'opposer à une épée de cour dont il partage les techniques, même si il est un peu moins maniable, qu'à des sabres qu'il peut facilement parer en opposition (ce qui évite d'avoir recours à des esquives de lame, des parades et détournant l'arme ou à parer sur l'extrême fort). En fait c'est une arme qui évite un certain nombre de questionnements, ou les rend moins prégnants. Reste son contexte, il s'agit d'abord d'une arme de militaires, cependant celui-ci peut facilement être contourné si vous ne voulez pas investir dans un uniforme (cependant, pour le début du XIXe siècle ça semble difficile de l'éviter). Ajoutons que tout ce que je dis est également vrai pour les épées de cour dotées de bonnes lames droites du siècle précédent.

Enfin, point non négligeable, si il s'agit d'une arme "insolite" (surtout mal connue), elle n'est pas forcément compliquée à trouver ou à monter. En prenant une garde d'épée de cour (notamment les gardes en coquillage de la fin du XVIIIe S.) vous pouvez remplacer la lame triangulaire par une lame droite au pas de vis standard (je ne vais pas donner de noms de fournisseurs mais ça se trouve relativement facilement) d'une longueur de 80 cm environ (donc un peu plus courte qu'à l'habitude) et vous avez ainsi un demi-espadon de spectacle plutôt convainquant.

J'avais déjà partagé ce duel extrait de la série Sharpe's Honour avec des demi-espadons (et qui se termine de façon complètement choquante pour l'époque).

***

Le demi-espadon est donc une arme intéressante par son maniement proche de l'escrime classique et sa polyvalence. Arme d'estoc mais aussi de taille il permet des chorégraphies variées et s'oppose facilement à toutes sortes d'armes. On le trouvera dans les mains d'officiers d'infanterie mais aussi, pourquoi pas, dans ceux des officiers de la marine (civile ou navale) voire des corsaires issus des milieux favorisés (officiers et volontaires).

Je vous laisse avec la vidéo de la chaîne Les Arts Martiaux Français sur laquelle je m'appuie en grande partie :

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