vendredi 11 décembre 2020

Les fracassantes ! Interview de Maître Pennanec'h, organisateur des Championnats de France 2020.




Bonjour à tous, ici le Baron pour vous desservir dans cet article spécial. Article que nous espérons devenir série. 


Sur la période de juin à novembre, Julien Pennanec'h, a aimablement accepté, malgré un emploi du temps chargé, d'échanger avec le Fracas des Lames. Ce dont nous lui sommes reconnaissants.

Maître Pennanec'h, c'est lui. Crédit : Laureen Keravec Tournage « Viking » CTC Warlegends 


Ainsi, connu notamment pour son titre de champion du monde d’escrime artistique en 2012, son organisation des Championnats de France d’escrime artistique 2020 ( CFEA ) et les titres qu’il y a obtenus, Maître Pennanec’h s'est prêté au jeu de répondre à nos questions. Ces dernières gravitaient autour des armes, l’Histoire et son usage, l’escrimeur de scène, sa formation et, pour finir, les CFEA 2020. 



Bonjour Julien.



Bonjour. 



Avant de débuter notre entretien, peux tu revenir sur ton parcours d’escrimeur de scène puis d’enseignant ?



J’ai commencé l’escrime au Conservatoire National d’Escrime Ancienne avec Maître Palvadeau. Michel m’a formé à l’escrime artistique et l’escrime ancienne, surtout à la rapière italienne (Capo Ferro, Giganti…) et l’épée de salon ou de duel (Besnard, Liancourt, Angelo…). Pendant six ans j’ai fait des saisons estivales de spectacles vivants, notamment au château de Blois. J’ai aussi continué de me former en artistique avec Maître Le Gal (canne et bâton), et de temps en temps avec les Maîtres Carliez.

Les spectacles de Laurent Tixier m’ont amené vers d’autres sites culturels, comme le château d’Apremont ou la Chabotterie en Vendée. En parallèle, j’ai commencé les spectacles du Puy du Fou : au stadium gallo-romain, au carrousel des mousquetaires et à la Halle Renaissance. J’y ai appris plutôt l’escrime de spectacle, et les shows de gladiature que j’ai beaucoup appréciés. Après quelques contrats aux caraïbes, en chine ou en Pologne, j’ai commencé l’aventure Midnight avec Jean Paul Bouron au château de Versailles, aux Invalides, ou à Rueil Malmaison lors des reconstitutions napoléoniennes.

Naturellement, j’ai passé mes diplômes d’animateur et d’éducateur. J’ai commencé à être intéressé par les projets de la FFE comme adhérent et de la FFAMHE comme membre individuel, j’ai vite cerné que la profession officielle en France passait uniquement par une pratique d’escrime sportive FFE. Ainsi j’ai passé mon BPJEPS en 2005 et mon DEJEPS cette année. J’enseigne au sein de la Formation aux Armes, une formation professionnelle indépendante, ainsi qu’à CTA, dans l’ETR Pays de la Loire ou je suis référent artistique, et dans deux clubs de la région. 




Je te propose de commencer. Sur les armes par exemple. Alors, lame plate, acier, aluminium, ou triangulaire ?



Un peu de tout. Je n’ai pas de préférence pour les types de lames. J’essaye de choisir en fonction de la cohérence de la forme d’une lame et pas seulement sa matière. C’est un choix qui fait débat, car certains estiment qu’en compétition, la matière est plus impactante que la forme, notamment au niveau de son poids. Il est dit parfois que certains gagnent plus facilement les compétitions grâce à des épées plus légères, en aluminium. On peut tout autant avoir à redire sur les rapières montées avec des lames sportives. Ainsi, il est aussi possible de ne pas voir des «théories du complot» organisateur/jury, et pourquoi pas entrevoir, que les équipes sur les podiums ont peut-être mérité leurs titres.



Et selon toi, quels avenir en compétition pour ces armes ?



Ce débat sur l’aluminium évoluera difficilement je pense. Les armes d’artistique resteront en acier, et donc la section médiévale en compétition peut encore souffrir d’un catalogue de lames lourdes et moins maniables, car une épée médiévale légère coûte généralement plutôt cher. La section renaissance / grand Siècle pioche dans les lames sportives légères sans moins de soucis. Je pense que cela se résoudra par une limitation des armes et une nomenclature précise des types d’armes de compétition, comme l'a publiée l’AAI dans son règlement sur leur site.



Felix Novikov « Diana prod » Château de Lodtz - Pologne  


Cela soulève aussi la place de l’histoire et ses limites dans l’escrime de scène en général. Ce qui tombe bien pour ma prochaine question. Tu as insisté sur ta préférence pour la forme plutôt que la matière et je sais que tu met en avant davantage la notion d’évocation, qui me parle personnellement, que celle de reconstitution. Peux-tu nous en dire plus ? Les limites que tu mets entre les deux…



En escrime, la place de l’histoire est pour moi très importante. En effet l’escrime est aujourd’hui plutôt un sport olympique. L’idée martiale de l’escrime et son histoire ne doit pas être oubliée. Pour autant, suggérer ce qu’a été l’escrime d’avant dans un combat ne veut pas dire que l’on est un reconstituteur historique. On ne peut pas se considérer, pour moi, comme reconstituteur, au sens strict du terme. On parle de quelque chose qui est passé et révolu. «La reconstitution historique », « l’archéologie expérimentale », ou le terme «C’est histo!»… je ne suis pas sûr que tout cela ait parfois du sens dans nos pratiques. On fait revivre quelque chose, mais, voilà, on le fait revivre comme on peut, avec notre vision, notre passion, nos méthodes et surtout notre perspective d’aujourd’hui.

Le tout est d’être cohérent, de différencier dans ses recherches l’escrime de duel avec l’escrime judiciaire ou encore l’escrime de salon, et de différencier une épée d’apparat ou d’entrainement d’une épée de combat ou de joute. Tout cela montre aussi la richesse de l’escrime.

Je pense qu’il ne faut pas forcément se considérer comme un scientifique, mais comme un curieux d’histoire, utiliser l’émotion et la mise en scène d’une chorégraphie pour un peu suggérer ce qu’était l’escrime selon son inspiration. Il faut rester humble ici dans tout ça.



J’aurais une deuxième question à partir de là. Si, comme tu es professionnel, tu tombes sur un client qui a un cahier des charges très typé reconstitution, jusqu’où tu mets ta limite. Celle de lui dire « Bah, là, ça va être compliqué, il va falloir qu’on trouve un terrain d’entente. »



En fait, on pourra toujours trouver quelque chose à redire, je pense, sur la méthode pour évoquer la période historique. Que ce soit une méthode à la touche type FFAMHE, une méthode chorégraphiée type artistique, une méthode reconstituée type Acta… des troupes comme Adorea font de la chorégraphie avec les traités, et pourtant je ne pense pas qu’ils soient moins proches d’une réalité que le travail d’Akademia Szermierzy qui va à la touche.

Me concernant je préfère bien sûr la chorégraphie. Au CNEA ou à la Formation aux Armes on a essayé avec Michel, par exemple, de mettre des coups de temps d’escrime renaissance dans des combats chorégraphiés. Forcément, ce sont des combats un peu dangereux parce que la parade et la riposte ce font dans le même temps de l’attaque adverse. C’est l’évocation d’un geste plus complexe à réaliser, ou il faut vraiment être, pour le coup, très entraîné et bien connaître ses partenaires.



Pour terminer avec l’Histoire sur un sujet plus léger. Nous savons que tu travailles par rapport aux différentes époques qui sont proposées. Tu as parlé de gladiature, mais tu fais un peu de médiéval au besoin, de la renaissance, du grand siècle, XIXe... Quel est pour toi, par curiosité, le domaine dans lequel tu te sens le mieux ? L’arme que tu préfère utiliser ? Tes points de prédilections ?



J’ai commencé avec la rapière, j’y ai passé quelques heures. Après, je pense que j’avais besoin de changer, donc je suis passé au glaive. Et alors là, pour le coup, ça a été un peu rude comme changement puisque les gardes ne sont pas du tout les mêmes ! Dans la communauté de l’escrime artistique, il y a une vision à mon sens erronée du travail au Puy du Fou. Sans doute par méconnaissance. Pour l’avoir vécu, je peux dire que le travail au glaive ne se résume pas à l’unique volonté de faire du spectacle. À l’époque ou j’étais au stadium, le travail était intense, physique, et un filet de rétiaire reste un filet. Parfois les coups, même chorégraphiés, restent proche d’un combat, dans un environnement (sable, arène) bien réel. C’est bien sûr une sorte hybride de gladiature de spectacle, mais dans un cadre, l’arène, avec ses contraintes et son terrain. Sans compter que les partenaires ne sont jamais les mêmes, à cause des jours de congés, et n’ont pas les mêmes compétences. J’aime aussi beaucoup le travail au sabre des frères Sieniawski. L’arme médiévale c’est celle que j’ai le moins pratiqué, et je souhaite la travailler en détail, notamment grâce à Paul Tahon qui nous organise un stage national avec Adorea, malheureusement repoussé à cause du covid.



Musée des Invalides - Midnight Premiere : Duel sur le parvis du tombeau de Napoléon - Paris 


Je trouve ta remarque sur la diversité des partenaires que tu as rencontrés, qui «n’ont pas les même compétences », très intéressante pour aborder la question autour des escrimeurs de scènes et leur formation. A tes yeux quelles qualités l’un ou l’une d’eux doit avoir ?

Ce que je regarde en premier c’est sa capacité à prendre en compte l’autre. Je trouve que cela reste le plus important, surtout en escrime artistique. L’escrimeur qui a un bagage technique et physique important, mais qui est incapable de s’adapter à une autre école ou une autre méthode, est pour moi un frein. De fait, je reste un fervent défenseur des personnes qui ont la volonté de pratiquer dans plusieurs salles et faire des stages avec des maîtres ou instructeurs d’horizons différents.

Il y a bien sûr des différences entre les salles parisiennes, les salles bretonnes ou vendéennes, les salles d’aquitaine ou de l’Aura. Nous n’avons pas forcément le même langage. Je garde à l’esprit l’un de mes maîtres d’escrime sportive qui résumait nos différents entre régions à « chez vous, les artistiques, incapables de se mettre d’accord sur une volte ou une contre-volte ». Il faut dépasser ce clivage et s’inspirer des anciennes revues de l’académie ou tout est dit. C’est un peu le même débat que « c’est histo, c’est pas histo». Donc, l’escrimeur qui a un bon schéma corporel, qui respecte l’autre, altruiste, qui est plus dans la mise en valeur de l’autre et qui se met en valeur grâce à ça, qui a le sens du rythme, qui est inventif et créatif, est pour moi l’idéal.



Et comment le traduis-tu dans ton enseignement ?



Je suis plutôt adepte de déplacements d’escrime ancienne, avec un travail de jambes forcément conséquent. Je fais travailler des positions de gardes avec des pointes orientées en avant, contrairement à d’autres maîtres qui mettent les rapières en tierce de sabreur. Ces gardes menaçantes peuvent être perçues comme dangereuses, alors que moi j’ai plus de mal avec la tierce de sabreur car l’escrimeur selon moi prends beaucoup plus difficilement sa distance, alors qu’il n’est pas protégé d’un masque. Il est encore question d’école et de méthode, personne n’a vraiment le dernier mot selon moi.

Sur les fondamentaux, je trouve que le mimétisme n’est pas très intéressant passé une certaine étape chez l’élève. Même s’il est parfois nécessaire, j’essaie plutôt de trouver les clés pour chaque tireur, afin qu’il ou elle puisse se découvrir et découvrir sa propre gestuelle. Ça, ça prend du temps. Depuis deux ans, je ne fais plus forcément travailler l’artistique en chorégraphie avec mes élèves, mais en sous forme d’échanges neutres et posés, grâce à un code commun, axé sur la préparation. Je travaille aussi beaucoup la leçon individuelle adaptée à l’artistique.



Nous approchons doucement de la fin, mais avant, je souhaiterais revenir avec toi sur les CFEA 2020. A titre personnel, j’ai adoré les voir se tenir, encore plus les commenter. Un succès, selon moi qui ne demande qu’à grandir et s’améliorer. Cependant, j’ai pu constater que leur création, organisation et tenu avaient suscité des débats et parfois de vive critique. Aurais-tu quelques mots à ce sujet ?



Je suis resté plutôt muet et concentré sur mon DE pendant cette période. Il y a eu de nombreuses réactions, j’ai été personnellement critiqué par des compétiteurs notamment sur une lettre ouverte publiée sur les réseaux, ainsi que de nombreuses remarques négatives. Je me permets ici de rétablir quelques vérités ; même si mon nom est apparu très vite dans les publications officielles, je n’ai jamais été qu’un consultant technique officieux, qui avait l’opportunité de proposer une salle , une équipe bénévole, et des moyens financiers pour accueillir un évènement d’artistique. J’étais loin d’être le seul acteur du projet.

Je pense donc, que si certains sont convaincus qu’une escrime de spectacle selon ma vision de compétiteur a été valorisée, à la défaveur d’une escrime artistique technique, ces personnes me prête une influence exagérée. Il faut se référer au jury national, qui ont bien plus d’expérience que moi, il faut leur faire confiance, et ne pas remettre en cause la loyauté de leur jugement. Je précise d’ailleurs que la plus haute distinction à été attribuée à une équipe de Rennes, dont le travail remarquable est bien différent des inspirations de mes équipes.


Rueil Malmaison - Midnight Premiere : 2e Jubilé Impérial Napoléonien


Si je te suis. Tu reviens sur le reproche qui t’es fait d’avoir été organisateur et compétiteur. Infondé selon toi. Il n’y aurait donc aucun souci à mettre en place une compétition d’escrime de scène et y concourir. Même pour des CFEA ? Des Mondiaux ?



Aucune autre candidature n’est sur la table depuis 15 ans. Il n’y avait pas eu de championnat en France depuis 2004. Le problème se poserait moins s’il y avait plus de candidatures pour organiser. Pour cela il faut que plus d’équipes bénévoles soient motivées pour organiser. Il va falloir accepter que nous ne sommes pas un sport qui peut se permettre d’avoir un comité d’organisation bénévole totalement extérieur à la pratique en elle même. Les prochains organisateurs seront forcément portés, propulsés, conseillés, par des compétiteurs, des collègues ou des maîtres de compétiteurs. Car la volonté d’organiser une compétition vient généralement des compétiteurs eux-mêmes.

Ce qu’il faut travailler, c’est notre système de notation et la définition de l’escrime artistique en compétition, des époques, des armes, et de ce que l’on peut faire ou non. Quand on annule la note d’un jury français face à un compétiteur français, c’est à mon sens accepter le doute. Car dans ce cas, un jury étranger qui note un compétiteur français peut tout autant sous-noter la performance… Cela remet totalement en cause le système. Pour moi le jury est impartial, c’est un groupe d’experts qui agit ensemble, point barre.


Une autre remarque qui m’a intrigué, c’est cette demande, pas si neuve que ça, de créer des catégories pro et amateur. Tu as quel avis dessus ?


Je demande à voir… Qui peut se considérer pro aujourd’hui ? Celui qui est intermittent du spectacle ? Or, l’intermittence est un statut social, en aucun cas un moyen de différencier une personne qui pratique pour le plaisir, de celle qui pratique pour remplir son frigo. C’est un peu ce qui a été dit dans la lettre ouverte, comme quoi les intermittents avaient plus de temps pour s’entraîner qu’un amateur, et que ainsi ils étaient favorisés par leurs temps d’entraînement. Dans ce petit jeu de monter les uns contre les autres, les intermittents peuvent très bien répondre qu’ils sont en recherche constante d’emplois, la précarité de leur emploi les mettent en difficultés, que les salles publiques sont plus difficiles à trouver qu’une association classique etc. etc. À part se coller des étiquettes entre nous, cristalliser et polariser des groupes de gens, je ne vois pas où cela peut mener à part le désengagement de nombreuses troupes de notre fédération.



De ton côté, que voudrais-tu voir évoluer dans les prochaines années ?



Nous avons surtout un éternel problème sur la définition de l’escrime artistique, et celle du spectacle. Or, l’escrime artistique est née de maîtres proches du spectacle, comme Claude Carliez, dont le but initial est de présenter une chorégraphie devant un public. Forcément, cela amène des paramètres scéniques et narratifs.

Il faut aussi que les pratiquants et la future commission se questionne sur une chose ; est-ce que créer l’illusion du combat rentre dans les critères de l’escrime artistique ? Je pense que oui. L’escrime artistique est un spectacle. Suite aux CFEA, je pense que le problème serait probablement résolu si le jury ne note que l’escrime artistique, dans le cadre uniquement du combat. La taille de la scène, la qualité des costumes, du son, ou encore l’environnement (gymnase ou théâtre) s’adapterait naturellement à l’importance de la compétition, la grille de notation doit être la même pendant 10 ans, que ce soit pour une compétition départementale, régionale, nationale ou internationale.

Pour moi, une grande partie du projet fédéral doit partir de la compétition pour tous, et de nos capacités à les organiser le plus souvent possible. Les galas ou une coupe nationale naîtrons en parallèle naturellement, favorisant la pratique. C’est ce qui donnera à nos jeunes l’envie de s’intéresser à notre escrime, et à l’histoire martiale dont je défends les valeurs.


Pour finir. Un dernier mot ?


Je souhaite bonne chance à la future commission artistique nationale, j’attends avec impatience le futur calendrier des compétitions, et en ces temps de confinement, j’imagine que le règlement national des épreuves devrait bientôt sortir.



Julien Pennanec’h / propos recueillis par le Baron de Sigognac entre juin et novembre 2020.


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