mercredi 2 janvier 2019

L'épée de cour est une arme de pointe et l'escrime de pointe est belle !

Dans l’escrime artistique on a souvent tendance à confondre l'épée de cour et la rapière. Certes, l'épée de cour descend de la rapière mais c'est une arme différente avec ses propres caractéristiques. Elle partage avec la rapière d'être une arme de pointe mais l'épée de cour pousse cette caractéristique très loin. Cet article est consacré à cette arme, à son escrime subtile dont descend directement la nôtre et à son potentiel de spectacle. Je ne me priverai pas de l’illustrer par quelques-unes des meilleures vidéos de combat à l'épée de cour du web.

Épée autrefois dite de Louis XV exposée au Musée du Louvre

L’arme et ses caractéristiques

L’épée de cour est une arme qui apparaît dans la seconde moitié du XVIIème siècle et perdure au moins jusqu’au milieu du XIXème siècle mais c’est du XVIIIème siècle et de son raffinement qu’elle est le plus le symbole. Elle est l’ancêtre directe de nos épées d’escrimes auxquelles elle ressemble beaucoup si ce n’est la coquille. Elle est aussi la sœur jumelle du fleuret qui est son arme d’entraînement.
C’est une arme élégante à la lame fine et d’une longueur allant de 70 à 90cm (ajouter une vingtaine de cm pour la garde). Les auteurs indiquent que la lame peut être plate (ils la conseillent pour la guerre) ou « vuidée », c’est à dire triangulaire (ce qu’ils conseillent pour une « affaire sérieuse », un duel quoi!). La lame peut également prendre une forme spécifique dite « colichemarde » : épaisse sur le fort et très fine sur le moyen et le faible, il s’agit d’un compromis pour avoir une arme légère capable de parer les armes plus lourdes. Cette lame est apparue dans les années 1680 et a été à la mode pendant une quarantaine d'années.


Épée de cour à lame colichemarde du XVIIIème siècle
dans la collection Sabre-Empire

La garde est très petite, d’abord ronde puis en forme de huit par la suite, elle possède cependant presque toujours un garde-main très simple et un pommeau pour l’équilibre. Les gardes sont très diverses et parfois extrêmement ouvragées lorsqu’il s’agit d’épées destinées à être portées à la cour par de hauts personnages.
À l’époque on achète son épée chez le fourbisseur qui vous vend des lames, des gardes, des pommeaux et les assemblent selon vos préférences.
Quatre épées (a priori les deux du milieu sont des épées de cour) et deux fleurets
Encyclopédie de Diderot et D'Alembert (1757)

Au niveau des caractéristiques l’épée de cour est une arme extrêmement maniable, très vive, capable d’effectuer avec beaucoup de facilité des coupés ou des dégagements, d’esquiver les lames adverses ou de revenir en menace à toute vitesse après avoir été chassée. Sa lame la destine presque exclusivement aux coups d’estoc, elle est a priori affutée pour éviter les saisies mais seule une lame plate a une chance de faire quelque dommage sur un coup de taille (et encore). C'était déjà le cas avec les rapières mais c'est encore plus vrai avec les épées de cour.
De plus, tout comme son ancêtre la rapière, c'est une arme qui nécessite un escrimeur formé pour être maniée efficacement. Il faut bien maîtriser les distances et avoir une bonne main pour que ses caractéristiques dévoilent tous leurs avantages. C'est donc une arme redoutable en duel mais moins efficace sur le champ de bataille où les ennemis peuvent venir de partout, où il faut parfois parer en urgence des armes plus lourdes et où la maîtrise des distances est plus compliquée.

 Le premier duel du film Les duellistes de Ridley Scott (1977)

L’arme de l'école française

L'épée de cour est indissociable de ce qu'on a appelé l'école française d'escrime. Celle-ci a très rapidement supplanté toutes les autres si bien que tous les autres pays se sont convertis à celle-ci et ont adopté l'épée de cour. On peut y voir le rayonnement de la France sous le règne de Louis XIV et au XVIIIème siècle mais on peut également se dire que c'est l'efficacité de cette école qui l'a faite adoptée dans des pays farouchement ennemis de la France comme l'Angleterre. Paradoxe, seule l'Espagne, pourtant alliée de la France après 1715, conserve la longue rapière. Le traité cité comme fondateur est celui de Charles Besnard en 1653, il s'en est suivi des dizaines par la suite, de maîtres d'armes français comme le Sieur de Liancourt en 1686 ou l'italien Domenico Angelo en 1763 (publiant en Angleterre en langue française un traité d'escrime française).

Parade de tierce sur un coup de tierce dans l''école des armes de Domenico Angelo
 
L'escrime à l'épée de cour est l'aïeule de notre escrime moderne au fleuret et à l'épée. On y trouve les coupés, les dégagements, les orientations de lames, une bonne partie du jeu de jambes et le travail en ligne (d'où l'utilisation bien plus tard de pistes d'escrime en longueur). Elle en diffère par ce qu'elle est une escrime pour tuer. Les cibles sont le tronc et le visage (uniquement le tronc pour l'escrime de salle au fleuret, ce que nous adopterons également dans nos représentations scéniques), en effet un coup de pointe au bras n'est pas forcément suffisant pour mettre hors de combat l'adversaire. Comme on ne cherche surtout pas à être touché et donc qu'on veut éviter une double touche on garde au maximum le contact du fer de l'adversaire avec une position forte pour l'écarter. On est donc en tierce quand sa lame est de notre côté armé et en quarte quand elle est du côté non-armé pour avoir de la force. La sixte n'existe officiellement pas mais il y a cependant des attaques avec "la main tournée en quarte" vers l'extérieur dans certaines circonstances.
Notons également l'utilisation de la main non armée, le plus souvent pour écarter la lame adverse après une parade. Le corps à corps, les techniques de lutte ou de frappe ne sont pas utilisées et probablement inconvenantes dans un duel et à la salle d'armes, en revanche les désarmements sont admis et cela ne semble pas poser problème jusqu'au XIXème siècle de tuer un adversaire que l'on a désarmé. On a également des demi-voltes et des quarts de voltes qui en fait une escrime pas complètement en ligne. Seul Philibert de La Touche parle des "coups d'estramaçon" (les coups de taille) dans son traité en précisant bien qu'ils ne sont plus enseignés depuis longtemps dans les salles d'armes, il conseille cependant de mêler les coups de taille et les coups d'estoc.

Duel à mort par la compagnie Adorea

Du point de vue du spectacle un combat à l'épée de cour est un combat technique où l'on présente essentiellement une escrime de pointe. Les lames sont rapides, les mouvements moins amples qu'avec une escrime de taille mais cela peut néanmoins être impressionnant pour le public. Celui-ci ne comprendra probablement pas tout ce qui se fait mais il est important qu'il comprenne que les deux personnages sont de bons escrimeurs (sauf si l'on a décidé le contraire dans le scénario). Il faut également ne pas hésiter à mettre des feintes, des tromperies, l'idéal serait que le spectateur soit subjugué par une sorte de magie de l'escrime. Un peu comme un prestidigitateur dont vous ne comprenez pas le tour mais dont vous admirez l'habileté. Les spectateurs doivent se demander comment la lame qui attaquait à droite est passée à gauche subitement, comment cette parade à échoué, d'où est venue cette attaque etc. La force de l'épée de cour est sa technique, avec des coups basiques elle est beaucoup moins intéressante, cela la destine donc aussi en représentation aux escrimeurs ayant un minimum d'expérience et de technique.

Une arme de nobles et de bourgeois-gentilshommes

Comme on l'a dit, l'épée de cour nécessitait, pour être efficace, un escrimeur bien formé. Cela en faisait plus que tout une arme destinée aux plus hautes couches de la société. C'est d'abord une arme civile que les gens bien nés portent en permanence à la ville comme à la cour. Ainsi, pour entrer à Versailles il fallait porter une épée et l'on raconte qu'il s'en louait près des entrées du château. On voit donc toute la symbolique qu'elle revêtait. L'arme était clairement un symbole de rang et les bourgeois qui rêvaient d'être anoblis en portaient également et apprenaient l'escrime soit dans des académies, soit auprès de maîtres d'armes indépendants. Pour pouvoir être anobli la première condition était en effet de vivre noblement et savoir manier l'épée faisait partie de ce mode de vie. Ainsi voit-on M. Jourdain, dans Le bourgeois gentilhomme de Molière (vers 1670) prendre des leçons d'escrime, mais aussi de danse, de musique et de philosophie.

L'épée de cour est d'abord l'arme du duel, celle avec laquelle on défend son honneur au pré, selon les règles codifiées du duel (qui à l'époque se finit normalement au moins par un mort). C'est probablement l'usage pour lequel elle a le plus servi et le plus évident des scénarios pour un combat d'escrime artistique. Notons que si le duel était codifié la codification était parfois assez vague et il pouvait aussi arriver qu'on vide la querelle sur le champ, dans la rue, mais à armes égales.
C'est aussi une arme de défense personnelle puisque c'est celle-ci que l'on portait sur soi au quotidien. Ce n'est pas une arme très bien conçue pour affronter plusieurs adversaires mais il fallait se contenter de ce qu'on avait en cas de mauvaise rencontre à la ville ou sur les chemins ! Un scénario de mauvaise rencontre est donc également une bonne idée pour sortir les épées de cour.
N'oublions pas que une arme utilisée à la guerre, du moins au XVIIIème siècle par les officiers qui la portaient à la fois comme signe de leur rang mais également parce que c'est l'arme à laquelle ils avaient été formés à se battre. C'est donc un dernier type de scénario possible que j'ai en partie traité dans mon article sur les armes des pirates (et de leurs ennemis).


 
Un duel à l'épée de cour par la compagnie Exulis


On ajoutera à tout cela les combats aux fleurets mouchetés dont j'ai déjà parlé dans un précédent article. Si il ne s'agit pas à proprement parler d'épées de cour il s'agit de la version d’entraînement de celles-ci et toutes les techniques s'y retrouvent.
Enfin, une dernière possibilité scénique, totalement différente des autres est de ne pas chercher le réalisme mais de jouer sur la grâce de l'arme et de ses techniques. On peut donc imaginer un combat plus "artistique", raffiné, dans des costumes de cour somptueux et sur de la musique du XVIIIème siècle ou même en y mêlant de la danse ou du ballet classique dans une recherche d'esthétique pure. De toutes les armes c'est probablement la plus gracieuse et elle est même capable de faire oublier qu'elle était à l'époque un redoutable instrument de mort !

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