vendredi 17 octobre 2025

"Mettre hors de la lice", réflexions sur une tactique et ses applications en spectacle

"[...] et sil veult tourner daultre coste poussez sur lautre sans bougier vostre demy hache de dessus son dos. Et en ce faisant le pouez mettre de dehors la lisse.."

 Le Noble jeu de la Hache, pièce n°41, anonyme vers 1400 - transcription ARDAMHE

Dans ce court article je veux me pencher sur la possibilité, dans beaucoup de tournois et de sparrings d'arts martiaux, d'éliminer un adversaire en le poussant en dehors de l'espace de combat (la "lice" pour les tournois du Moyen-Âge et de la Renaissance). Notons qu'on trouve cette règle dans de nombreux arts martiaux de part le monde.

Or cela paraît un peu bizarre de prime abord de gagner en combat simplement en poussant quelqu'un hors de l'espace de combat. On comprend évidemment que, dans un tournois, il faut bien délimiter un espace de combat, mais de là à considérer qu'on est éliminé si on en sort ? Cela m'a longtemps semblé un peu facile, une victoire un peu faible. Mais j'ai récemment réalisé que c'était pas aussi éloigné d'une réalité martiale que cela.

Nous commencerons donc par nous intéresser à la martialité de cette technique, ce que cela peut simuler comme contexte. Ensuite nous verrons évidemment ce qu'on peut en faire dans nos scénarios d'escrime de spectacle. 

Jeu de hache dans le premier manuscrit de Hans Talhoffer (1448)

L'intérêt martial de la technique

Pousser un adversaire pour le faire reculer peut ainsi sembler un peu faible pour gagner un combat. L'ennemi n'est pas vraiment maîtrisé comme avec une clef, il n'est pas sonné ou en position d'infériorité évidente comme avec une projection et encore moins blessé comme après avoir reçu un coup avec une arme blanche. Il est encore debout et indemne... quoique.

En effet, il risque de ne pas rester longtemps debout où qu'il soit. Sur un champ de bataille il trébuchera très probablement sur un cadavre ou autre obstacle (casque, imperfection du terrain...) et même dans un environnement plus normal il finira probablement là aussi par buter sur un obstacle et tomber à la renverse, être projeté contre un mur... et si il y a un fossé ou un ravin ça sera pire. Si la différence de puissance physique entre celui qui pousse et celui qui est poussé est importante, ou si la poussée est soudaine et brutale, il peut même ne pas réussir à suivre la violence de la poussée et se retrouver à terre en étant déséquilibré en tentant de résister.

Notons qu'il est évidemment plus facile de pousser un adversaire si on est plus imposant que lui mais c'est également une affaire de technique. le plus lourd est avantagé mais peut également se retrouver dans la situation de celui qui est mis "hors de la lice" si l'autre sait s'y prendre, avec une meilleure position de poussée (et surtout un adversaire mal placé pour pousser) ou avec un peu de ruse. Il y a évidemment une limite à cette réalité et il sera difficile de pousser quelqu'un de 130 kg si vous ne faites même pas la moité de ce poids !

"Mettre hors de la lice" n'est donc pas simplement un élément de règle d'un assaut d'arts martiaux historiques mais bien une réalité martiale qui peut vous permettre de gagner un combat. Il nous reste à voir comment, en tant qu'escrimeurs de spectacle, nous pouvons nous emparer de cette manœuvre. Et c’est l'objet de la seconde partie de cet article.

Au Sumo, l'une des manière de gagner est de repousser son adversaire hors du cercle de combat, une ritualisation d'une situation pourtant bien martiale.

Quelques idées pour utiliser ces techniques sur scène

Le premier problème qui va se poser est celui d'avoir un décor sur lequel buter. La situation la plus confortable est probablement si vous tournez une vidéo comme un court (ou un long) métrage. En effet, vous maîtrisez ici beaucoup plus le décor que dans tout autre cas de figure. Vous pouvez décider de tourner contre un fossé dans lequel tombera la victime, ou un mur contre lequel il sera plaqué. Vous pouvez aussi placer des décors comme des objets au sol, trouver des rochers contre lesquels trébucher ou même placer une table ou un banc. De plus vous n'êtes pas obligé de jouer en une fois le fait de tomber : grâce à la magie du montage, vous pouvez découper la scène en plusieurs plans pour faire une belle cascade sécurisée. C'est donc la configuration la plus évidente pour ce type de technique.

Dans du spectacle vivant, "de rue" ou dans un bâtiment historique comme un château, vos options seront probablement plus limitées. Vous aurez moins de choix pour votre espace scénique car vous aurez les contraintes du placement du public en sécurité, de l'emplacement qui vous sera permis par l'organisateur ou de la logistique que vous pourrez déployer. Les murs, obstacles et fossés seront à trouver sur place, si possible. Il vous reste évidemment la possibilité d'apporter des décors mais c'est aussi de la logistique en plus. Enfin il va falloir être meilleur en cascade que dans le cas d'une vidéo car vous ne pourrez pas tricher avec du montage, il va falloir vraiment jouer les chutes et les gérer en sécurité. Cela demande de s'y entraîner un peu mais c'est tout à fait gérable.

Le cas de figure le plus compliqué reste la scène de théâtre où vous devrez amener tous les décors et où vous serez forcément plus limité en terme de possibilité. Néanmoins ce reste tout à fait faisable et les remarques du paragraphe précédent, liées au spectacle vivant, s'appliquent tout autant.

Reste à faire des choix artistiques et scénaristiques et notamment de savoir si la technique permet ou non de gagner le combat ou si la victime s'en sort par chance ou par son agilité. On aurait ainsi un bon contraste classique entre un gentil agile et un méchant brutal et plus puissant.

C'est donc ici l'occasion de dire un mot des personnages. Nous avons ici clairement affaire à une technique qui va concerner les personnages dont l'approche est basée sur le physique et, éventuellement, sur la ruse. L'archétype de l'utilisateur de cette technique est la brute, mais elle convient aussi très bien à un athlète ou même à un suicidaire (qui peut d'ailleurs tout aussi bien finir dans le fossé avec sa victime). En revanche elle est à proscrire pour les personnages dont l'approche est basée sur la technique, la seule exception pouvant être dans le cas d'un duel en armure complète, et encore, cela ne serait pas la première technique employée mais plutôt une technique de fin de combat, quand on est fatigué et qu'on ne sait plus quoi faire.

Une des poussées les plus célèbres du cinéma, dans le film 300 de Zack Snyder (2007)

 ***

On a donc une tactique d'où découlent plusieurs techniques de corps à corps qui a une réalité martiale qu'on ne soupçonnait pas forcément au premier abord. Et de part cette réalité martiale, elle peut nous permettre de nous amuser en escrime de spectacle, particulièrement si on a un décor qui s'y prête et moyennant un minimum de base de cascades (basiquement des chutes). Ne vous en privez donc pas !

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