lundi 22 mai 2023

Avancer tout droit pour attaquer, rompre d'autant pour parer, un automatisme à dépasser ?

Bonjour à tous ici le Baron de Sigognac pour vous desservir, 


Lorsque nous débutons l'escrime de scène et que nous continuons. Parce que c'est trop bien. Au point de faire tous les entrainements. Au point de se ruiner en matériel, déplacements, stages, costume etc... terminer même diplômé sur les cendres de notre santé mentale et avenir professionnel ; seul face aux pleurs désespérés de nos proches et sourires des huissiers…


BREF ! Quand tout commence, des concepts finissent assez vite par accompagner notre progression : allonger le bras avant la fente ; plier sur ses jambes ; sécurité, sécurité, sécurité ; "Jésus recule t'es trop près". Ce genre de choses. Les styles, les écoles toussa toussa...


Comme je ne savais pas quoi mettre, voici Shade and Darkness - The Evening of the Deluge de William Turner (1775-1851), première exposition 1843.


Parmi ces notions "J'avance / gagne pour attaquer ; je recule / rompt pour défendre / parer", choisissez votre formulation, fait partie des classiques. C'est elle qui permet aux pratiquants de simuler un combat tout en apprenant à se déplacer dans l'axe.

Avec l'expérience, ces règles se complexifient. Nos couronnés ne sont plus toujours aussi amples. Surtout près d'un mur. Allonger le bras complétement avant les jambes devient une simple, mais non facile, prédominance du bras. Ainsi de suite. 

Les déplacements linéaires n'échappent pas à la règle. Mouvements latéraux, diagonaux viennent plus tard nous aider pour attaquer et nous défendre autrement : débordement sur la gauche, fente latérale à droite, déplacements en cercle et j'en passe. Sauf que ... en pratique... ça ne se voit pas ! Des masses.

Comprenons nous bien. Oui ces déplacements sont vus, enseignés, entrainés, mais aussi sous exploités. À tous les niveaux :  les jambes se sont enrichies, améliorées, merci les fondas, la main gère davantage, mais rien à faire, la ligne droite reste majoritaire. Agrémentée ici et là de déplacements latéraux ou diagonaux, voire une volte. Malheureusement, c'est comme caler une technique entre deux gammes, ça ne l'emporte pas. Tout comme caler une volte en compétition pour dire que son enchainements de passes simples est en réalité une phase avancée. OUI JE VOUS VOIS BANDE DE MALIN ! VOUS CROYEZ QUE...


Fracas des lames s'excuse pour l'interruption temporaire de son programme.


Sans être un problème, un peu pour moi quand même, mais ce n'est que moi, hein... Faites bien ce que vous voulez... Donc, sans être un problème, disais-je, ce constat, s'il n'est pas que le simple résultat d'un délire de ma part, si, si, c'est possible, interroge autant sur ses raisons que sur ses possibles remédiations. 

Vu que j'ai pu l'observer aussi bien en salle que sur le terrain, prestations, nous pourrions supposer que des éléments de réponses sont à trouver en premier lieu dans l'escrime de scène et sa pratique. Et en effet, quelques trucs sont à souligner. 


L'escrime de scène et sa pratique, des facteurs favorisants le travail en ligne.


Entrainements et conséquences


N'étant pas en escrime sportive, peu sur les pistes, les déplacements linéaires, un peu dans l'esprit des gammes, servent assez vite une mission pédagogique, surtout pour les débutants : apprendre à avancer et reculer correctement pour ensuite apprendre à bouger à 360 degrés.

Ils apprennent les bases après tout. 

Cependant, avec des confirmés, une bascule pédagogique mériterait de se produire afin de les sensibiliser davantage à la richesse qu'apporte des déplacements non linéaire. Scéniquement, comme techniquement

Une attaque à la tête n'est pas qu'une attaque à la tête. Un déplacement non plus. En choisir un plutôt qu'un autre n'est jamais neutre. Je glisse ça là. 

L'ennui c'est qu'un biais grippe de temps à autre cette progression. Celui de considérer le succès d'une étape quelconque de notre apprentissage comme celle de la discipline elle même. Inconsciemment ou non. 

En d'autres termes, là où la maitrise, relative, des déplacements linéaires devraient servir de tremplin pour aborder petit à petit l'intégralité des actions de jambes de notre discipline, le pratiquant comprendrait, se persuaderait, ce n'est pas des bons termes, j'en ai conscience, que l'escrime de scène c'est se déplacer dans l'axe. 


Là c'est Light and Colour (Goethe's Theory) - The Morning after the Deluge - Moses writing the Book of Genesis de William Turner, 1843.

Peut être parce que, dès le début, nous valorisons la réussite de ses déplacements ce qui est normal. Peut être par manque de communication sur ce qui nous attends ensuite. Sincèrement, je ne sais pas.

Et j'ai envie de dire qu'importe. Le fait est que, sans corrections, nous aurions beau enseigner, les pas latéraux et diagonaux, les pratiquants touchés par cette confusion risquent d'avoir du mal à les utiliser en actions. Tout au plus en saupoudrage, tel un truc ou gadget en plus. Sympa s'il en est, malheureusement ce n'est pas ça pour eux la discipline. 

Je caricature, mais cela expliquerait certaines constructions chorégraphiques de confirmés, type déplacements linaires 1, un ou deux déplacements latéraux-diagonaux X, déplacements linéaires 2, un ou deux déplacement latéraux-diagonaux Y etc... Un schéma qui rappelle étrangement gamme / infini 1, technique X, gamme / infini 2, technique Y etc... D'ailleurs, les deux font souvent la paire.

L'ennui ? Ce ne sont plus des débutants.

Après ça se corrige très bien, n'est pas dramatique, n'est qu'une hypothèse, une des miennes. Prenez ça avec des pincettes.


L'influence de l'école française, et des rapières à lame triangulaire.


Même si le médiéval connait un certains essor quantitatif et qualitatif en ce moment, notre discipline sur le territoire national reste très influencée par l'épée de cour / fleuret et l'école française. 

Parmi ces composantes, citons le fait de dominer l'axe entre les deux escrimeurs, plutôt que d'en changer. Du moins, si on compare avec les pratiques précédentes. Un contexte qui peut nous inciter à "oublier" qu'en dehors, le linéaire n'est pas tant automatique. 

L'arme n'est pas en reste, spécialisée dans l'estoc avec, tout de même, son petit lot de fourberies de tailles et d'entailles, elle incite à la recherche de profondeur ce qui favorise là encore des schémas linéaires. 

Or, si cela n'aurait rien de choquant pour des chorégraphies d'épée de cour, parce que... vous avez compris,  nous devons bien constater que leurs lames, carrés ou triangulaires, la légèreté qui va avec, équipent très, trop, souvent nos "rapières". De quoi rendre incongrus les déplacements, davantage latéraux-diagonaux, qui accompagnaient leurs techniques, pensées pour des armes plus lourdes et capable de tailler correctement : le manque de poids et surtout d'inertie nous encourageant à avancer de front. Ce même de taille. Ce même avec le plus ample des couronnés ou moulinets inversés. 

Enfin, sans être exhaustif, un dernier point concernant nos habitudes chorégraphiques a sa place.


Ici Vesuvius in Eruption de William Turner, 1817-1820.



L'habitude chorégraphique d'alterner cible à gauche puis à droite 


Lorsque nous attaquons de taille et que nous reprenons, nous avons par soucis de symétrie tendance à changer de côté. Nous exécutons l'offensive à droite puis la suivante à gauche, etc... Même si nous nous déplaçons dans le sens de notre attaque, à droite puis à gauche dans cet exemple, cela reste souvent linéaire. Indirectement. Les latéralités s'annulant.

Ceci dit, au delà de notre escrime, qui à certains égards nous risquerait bien à abuser des déplacements linéaires, nous ne pouvons laisser de côté le cadre de nos prestations. 

Les prestations, des contraintes pouvant aussi inciter à travailler principalement en ligne. 


Certaine scène de théâtre, par exemple, voire spectacle vivant manquent de profondeur pour se permettre un festival d'actions à 360 degré. D'où un besoin de travailler principalement en ligne. Dans le bon sens du public, bien sûr. 

En soi, nous pourrions ne pas accepter de jouer sur de telles scènes, mais on s'en accommode fort bien. Cela reste une prestation. Et les prestations on aime ça. Après si la sécurité n'est pas garantie, c'est un autre problème. Bloquant. A régler d'urgence. Déconnez pas. 

Toutefois, dans le cas où la réalité de notre pratique nous amènerait à régulièrement s'adapter à cette contrainte, il est tout à fait compréhensible que nous arrêtions d'envisager des combats fondés sur des déplacements latéraux.  A quoi cela servirait ? Autant intégrer le paramètre pour se concentrer sur d'autres aspects. Gains de temps et d'énergies.
Cependant, les réalités changent et la contrainte peut disparaitre ou ne plus être habituelle. Dès lors, demeurer sur ce parti pris perd de sa force.

Le raisonnement est un peu le même face à une caméra. En fonction des plans, se déplacer latéralement peut rendre la scène difficile voire impossible ; sortie du champ, pas assez de temps pour passer du point A au point B etc... 

De quoi, là encore justifier la prédominance d'une ligne. 

Un petit dernier ? Death on a pale Horse (le titre se discute), William Turner, possiblement inachevée, 1825-1830.


Encourager une meilleure cardinalité de nos déplacements, quelques pistes de réflexions.


Vous l'aurez compris, l'objectif n'est pas de dire que se déplacer de façon linéaire est une mauvaise chose. Il s'agit d'une composante importante de notre discipline qu'il faut savoir maitriser avant de se demander s'il serait judicieux ou non de l'utiliser. 

Cependant, une fois ce stade atteint, gare à l'automatisme. Ce dans un contexte qui semble malgré tout nous y pousser. 
 
A ce jeu, pas de conseils miracles, mais quelques gardes fous. 

Pour le pratiquant, garder en mémoire qu'importe la technique ou l'exercice demandé,  il ne s'agira que d'une façon de faire parmi tant d'autres. Se déplacer dans l'axe est tout à fait possible, mais au besoin il doit tout autant le faire en cercle, sur les côtés, de pied ferme, sur une poutre… Le défenseur à ce jeu, dispose d'un rôle important. S'il n'est pas "maître" de la cible, c'est bien lui qui peut imposer "de force" un changement de ligne par son jeu de jambes défensif. Qu'il pare ou non. 

Ensuite et peut être, adopter dans le doute, je m'avance surement de trop, l'absence de contrainte, les déplacements propres à la logique de son arme. 
Attention, par arme je parle de ce qu'elle représente : si mon bâton est une épée longue, je l'utilise comme une épée longue. Même si c'est un bâton. 
Et vu, qu'à moins d'être friand de corps à corps subi, la plupart des armes couramment utilisées dans notre discipline n'ont pas une approche toujours linéaire… 

Et pourtant, on m'avait prévenu !


A cet fin, les encadrants ou partenaires sont d'une grande aide : par le dialogue, " Ce n'est qu'une étape, on va ensuite intégrer les fentes latérales…", les démonstrations, les contraintes proposées, "Prenez votre enchainement et je ne veux que des déplacements latéraux et diagonaux..." etc...

Autant de pistes qui, à la longue, permettraient autres choses qu'avancer tout droit pour attaquer et rompre de même pour parer ; dépasser ainsi cette automatisme louable quand il est justifié et pourtant si discutable quand il ne l'est.

C'était le baron de Sigognac pour vous desservir

A la prochaine.

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