mercredi 24 septembre 2025

Heel et babyface, méchant et gentil, ce que le catch peut apporter à l'escrime de spectacle

Normalement, dans un combat d'escrime de spectacle, il y a toujours un scénario, des personnages, une raison de se battre, même minimale. En gros on doit avoir une idée de qui sont les personnages (cela passe aussi bien par le costume, les attitudes, que le dialogue) et de pourquoi ils se battent avec des armes. Une des bases scénaristiques les plus classiques pour impliquer émotionnellement le public est d'avoir un "méchant", que le public détestera, et un "gentil" dont on essayera d'obtenir la faveur du public qui voudra le voir gagner. C'est simple et efficace mais en fait il y a pas mal de variations sur cette thématique mais, surtout, des manières de mieux faire ça en le réfléchissant.

Or, si il y a bien une discipline qui use et abuse de cette opposition, l'exploite jusqu'à plus soif, mais l'a aussi beaucoup explorée et codifié c'est le catch. Pour rappel, le catch met en scène un combat fictif dans un ring avec un corpus de règles et d'interdits comme dans un sport de combat réel, entre deux ou plusieurs athlètes. L'affrontement se termine (le plus souvent) quand l'un des catcheurs effectue un "tombé", c'est à dire qu'il parvient à river les épaules au sol pendant que l'arbitre compte 3 secondes, ou une soumission, dans ce cas un catcheur se soumet à une clef et tape pour arrêter la douleur. Le match est scénarisé (normalement le vainqueur est décidé à l'avance) et les coups ne sont pas aussi violents qu'ils le seraient dans un vrai combat grâce aux mêmes techniques qu'utilisent les cascadeurs. Néanmoins précisons que cela demande un grande technicité et que nombre d'actions de catch restent très douloureuses, bien plus que ce que nous accepterions dans notre discipline (oui tomber après un saut de la 3ème corde ça fait mal, même si on sait comment tomber sans se faire une fracture). Comme le Baron et moi-même sommes des amateurs de catch j'ai eu envie de partir de cette discipline et de voir ce que l'on pouvait transposer dans la notre : l'escrime de spectacle. Nous allons donc d'abord étudier les archétypes classiques du catch, puis nous verrons comment ils ont évolué, se sont raffinés avant de se poser la question de la transposition dans nos propres spectacles.

John Cena (à gauche) l'un des babyface les plus célèbres de l'histoire du catch face au Miz (à droite), un catcheur qui a presque toujours été heel, accompagné de son épouse Maryse.

Nota Bene : Je vais surtout cité ici la WWE, la plus puissante compagnie de catch au monde avec quelques autres références, tout simplement parce que c'est ce que je connais. Je suis un amateur de catch mais pas un fan hardcore et je n'ai pas le temps de tout suivre, d'autant que c'est parfois compliqué (si vous savez comment suivre Stardom avec des commentaires ou résumés en anglais vous m'intéressez). Je m'excuse donc auprès des fans de l'AEW, de la TNA, de la NJPW, de la AAA, de Stardom et des autres compagnies de ne pas citer celles-ci alors qu'il s'y passe probablement des choses très intéressantes.

Heel et babyface dans le catch

Dans le catch le "méchant" est appelé le Heel et le gentil le "face" ou "babyface". Nous utiliserons donc de préférence ces termes quand il s'agira de parler spécifiquement du catch. Notons que ce sont des archétypes très anciens, qui datent probablement des débuts du catch chez les lutteurs de foire du XIXe siècle. Nous allons surtout nous pencher ici sur les archétypes classiques en commençant par le heel et en abordant ensuite le babyface.

Le Heel, le méchant de l'histoire

Le  heel est donc le méchant dans le scénario. Cela peut être uniquement dans le scénario d'un combat mais, en général, c'est tout un personnage qui est développé avec son costume, ses types d'interaction avec le public et son style de combat. La principale caractéristique du heel est qu'il doit normalement se débrouiller pour se faire huer par le public. On peut adorer détester un personnage (pensez à tous ces méchants de films qui vous ont fascinés) mais, pour que le combat se passe bien, il faut qu'il soit hué et que le public souhaite sa défaite. Le heel a donc toujours un ou plusieurs défauts qui vont permettre qu'on ne l'aime pas, ce que l'on appelle "recevoir de la heat" (de la "haine" du public)

Apparence : Dans le catch classique le heel est souvent laid, ou du moins avec un physique hors du commun qui n'est pas dans les normes. Il lui arrive aussi très souvent d'être masqué, c'était surtout le cas dans le catch français d'après-guerre. Le heel adopte souvent l'apparence d'un archétype terrifiant : bourreau, démon avec des couleurs effrayantes : noir, rouge etc.  Dans les années 1970-80 les heels revêtaient en général les costumes des ennemis des États-Unis comme l'Iron Sheick, un véritable iranien, toujours heel.

On notera toutefois qu'il s'agit surtout là du catch "classique" et que c'est de moins en moins vrai de nos jours. On a même eu des archétypes de heels très beaux mais irritants comme les catcheurs Austin Theory (présenté comme le jeunot beau gosse, parfait et tout et favori du parton) ou Tiffany Stratton (une sorte de poupée barbie arrogante parlant avec une voix aiguë insupportable).

Jacques Ducrez dit, "le bourreau de Béthune", célèbre catcheur français des années 1950-60

L'arrogance : Les heels sont souvent arrogants, ils aiment se présenter comme supérieurs et, surtout, dénigrer leurs adversaires. Il leur arrive aussi très fréquemment d'insulter ou de provoquer le public pour obtenir de la hit "facile". Venez par exemple à Marseille avec un maillot du PSG et vous êtes assurés d'être hué par le public, rajoutez quelques commentaires négatif sur l'équipe de football et là, c'est sûr, ils soutiendront votre adversaire quel qu'il soit ! Il y a beaucoup de façons d'être arrogant mais il faut reconnaitre que c'est presque un point commun à tous les heels.

La tricherie : Dans le catch le heel est aussi très souvent celui qui triche. Il porte un coup illégal, cache un objet, se fait aider par quelqu'un qui frappe son adversaire quand l'arbitre ne le voit pas etc. Le heel classique triche toujours et l'arbitre ne le voit jamais, faisant monter la colère dans le public qui s'insurge contre cette injustice flagrante et la nullité de l'arbitre. Ainsi, même quand il gagne, le heel ne mérite jamais vraiment sa victoire, accentuant la frustration du public. Et si le gentil gagne, celui-ci aura d'autant plus de mérite qu'il l'aura fait dans un contexte déséquilibré par la triche de son adversaire.

 L'une des meilleures triches d'Eddie Guerrero en 2005 qui fait accuser son adversaire de l'avoir frappé avec une chaise et provoque sa disqualification.

La lâcheté : La lâcheté est aussi une caractéristique d'un certain nombre de heels décrit comme "faibles". Ils savent qu'ils sont moins forts que leur adversaire mais ils auront recours à une triche intense pour essayer de faire le poids face à leur adversaire. Ils se cachent, fuient, esquivent le combat ce qui provoque la frustration du public... et donc son exultation quand, enfin, ils se font attraper. Ils essaient de tromper leur adversaire pour se retrouver en position favorable.

En général ces heels ont avec un autre catcheur voire tout un clan qui les aide à gagner. À la WWE, cela a été récemment le cas de la catcheuse Liv Morgan, qui avait "volé" son amoureux à Rhea Ripley, qu'elle a également fait exclure de son clan le Judgement Day. Si Rhea était présentée comme bien plus forte et puissante elle n'a jamais vraiment réussi à gagner à cause des intervention de son ex amoureux et de son ancien clan. 

À Summerslam 2024 Rhea Ripley a enfin réussi à attraper Liv Morgan et lui passe une correction
(oui ici c'est la jolie blonde qui est une heel très lâche quand la grande brune musclée est l'héroïne des fans)

La cruauté :  La cruauté est un autre trait courant chez les heels. Rares sont les heels qui n'aiment pas faire souffrir leurs adversaires que ce soit durant le match mais aussi en dehors du match. Durant le match ils aiment insister sur une faiblesse de leur opposant, dénuder un coin de ring pour qu'il ou elle se fasse plus mal ou encore ne pas effectuer le tombé pour pouvoir continuer à faire mal. Il arrive aussi fréquemment qu'un heel n'accepte pas sa défaite et passe à tabac son vainqueur après un match, le plus souvent avec l'aide de son clan.

Ce sont là les défauts majeurs des heels et tous les heels ont au moins l'un d'entre eux. On trouve évidemment en eux également une bonne partie des autres défauts humains puisque le heel est fait pour ça. Notons que si on trouve au moins l'un d'eux il est de plus en plus rare de tous les trouver car on invente ainsi de nombreuses manières d'être heel.

Le style de catch : classiquement le heel ne fait pas de mouvement "flashy" qui plaisent au public. Il a souvent un catch brutal et assez lent. Le heel archétypal tente des prises de soumission, utilise des projections brutales (comme des powerbombs) ou assène de violents coups. Il ralentit le match pour frustrer le public, casse le rythme et sortant volontairement du ring etc.

La prise de l'ours, un mouvement typique de heel (ici portée par le Big Show sur Daniel Bryan en 2015)

Le babyface, le gentil, favori du public

À l'inverse le babyface est celui qui doit avoir les faveurs du public. C'est avec lui que le public doit souffrir, exulter, c'est lui qu'il doit encourager et c'est lui qu'il doit vouloir voir gagner. Le babyface est le gentil de l'histoire et doit être aimé. Il est donc parfait ou, si il a des défauts, ceux-ci doivent pouvoir être facilement pardonnables.

Apparence : Le babyface classique est beau, d'où son nom. C'est un catcheur ou une catcheuse au physique agréable et au visage lumineux. Classiquement il porte des tenues de couleurs claires et/ou chatoyantes voire le blanc, associé dans nos cultures occidentales à la pureté. À la WWE il y a généralement un catcheur qui est le "visage de la compagnie" et c'est le plus souvent un babyface. Actuellement il s'agit de Cody Rhodes qui incarne très bien cet aspect.

Notons toutefois que, comme pour les heels, ces affirmations sont beaucoup moins vraies de nos jours. On a facilement des babyfaces avec des physiques plus communs, auxquels les spectateurs peuvent facilement s'identifier. C'est ainsi le cas du catcheur Sami Zayne, mais encore plus d'Otis, un catcheur au surpoids évident et avec une bonne tête d'américain moyen. 

Cody Rhodes, le babyface archétypal du moment

Le courage : Si il y a bien une caractéristique que tous les babyfaces ont en commun c'est le courage. Un babyface n'abandonne jamais ou presque, il se relève toujours après les coups, il ne fuit jamais même si il fait face à de nombreux adversaires.

La gentillesse : Les babyfaces sont toujours gentils avec le public, et notamment avec les enfants. Ils tapent dans les mains lors de leur entrée, vont parler au public, le saluer, souvent ils le font chanter, lui demande son soutien etc. Lors d'un match où les tables sont autorisées c'est souvent un babyface qui va sortir une table quand le public le réclame (le public aime voir des tables et les réclame à grand cris de "we want table"). Ils se prêtent aussi à des séances de dédicaces ou encore donnent des objets au public. 

La politesse et le respect de l'adversaire : Quand un babyface est vaincu par un adversaire qui a été loyal, ou est venu à bout d'un adversaire coriace, il lui montre toujours du respect. Cela arrive en général quand deux babyface s'affrontent (ce qui est rare car, dans ce cas, le public ne sait pas forcément qui soutenir) ou quand un heel n'a pas (trop) triché.

La solidarité : Si les babyfaces font plus rarement partie d'un clan que les heels il leur arrive quand même souvent de s'entraider pour contrer les ruses des heels ou les interventions de ceux-ci. Ils arrivent ainsi pour "sauver" un autre babyface en difficulté (qui se fait lyncher en fin de match par exemple) ou pour empêcher un heel en bord de ring de tricher.

Style de catch : Le babyface est celui qui aura le plus tendance à faire des acrobaties qui plairont au public. Il sautera de la 3ème corde, fera des esquives, des roues, des sauts périlleux etc. Le babyface classique est agréable à regarder et l'on applaudit ses prouesses dans le ring.

Leg drop depuis la 3ème corde de Lyria Valkyria sur Dakota Kai en janvier 2025

Enfin on notera qu'on a ainsi deux archétypes "classiques" de babyface : le chevalier blanc et l'underdog. Notons qu'il est en fait beaucoup plus difficile d'être un bon babyface qu'on bon heel. Il est facile de se faire détester, il n'est pas si facile de se faire aimer. Beaucoup de babyfaces sont jugés trop lisses et ennuyeux par le public alors que les heels sont forcément pleins d'aspérités. Être un babyface aimé est donc beaucoup moins facile qu'on l'imagine. Il faut avoir un sens de la communion avec le public bien plus élevé que pour un heel.

Le chevalier blanc : L'archétype le plus courant et le plus ancien du babyface est le combattant courageux, doué en tout et aimé des foules. Bref, le gendre (ou la belle-fille) idéal, beau, doué, gentil et courageux.

L'underdog est le challenger, celui que l'on n'attendait pas à ce niveau. Il a souvent un physique relativement ordinaire, souvent moins costaud que la moyenne (des catcheurs, pas de la population). C'est celui qui vous ressemble, que personne ne voyait gagner mais qui, à force de courage et de soutien de la foule, réussi à se hisser à des sommets que personne ne le voyait atteindre. Le plus célèbre d'entre est Daniel Bryan avec le yes movement en 2013-2014 (je vous laisse une vidéo qui raconte cette épopée juste en dessous).


Des archétypes revisités et réactualisés

Ainsi, heel et babyface sont à l'origine des archétypes très codifiés. Mais, au fil du temps, de nombreux catcheurs ont joué avec ces codes pour inventer de nouvelles manières d'être "face" ou "heel". C'est probablement dû aussi au fait d'avoir des shows télévisés hebdomadaires et non des combats isolés qu'on allait voir lorsqu'un cirque passait ou lors d'un gala unique. 

Turn et ambiances "sauvages" 

Jusqu'aux années 1980 un catcheur pouvait faire toute sa carrière en tant que face ou heel dans un seul personnage. Cela devenait plus compliqué dés lors qu'on voyait ce personnage toutes les semaines à la télévision. Les catcheurs ont donc commencé à changer de personnage, mais aussi à passer parfois de babyface à heel ou l'inverse, testant d'autres possibilités.

Ce changement d'orientation avec le public s'appelle un "turn", on parle ainsi de "face turn" (un heel qui devient babyface) ou de "heel turn" (un babyface qui devient heel). C'est d'ailleurs ce dernier qui est souvent le plus marquant et est mis en scène pour surprendre le public et le choquer. Un bon heel turn est justifié par ce qui a été construit auparavant mais doit tout de même surprendre le public. Il mène généralement à des affrontement du nouveau heel avec les anciens amis qu'il a trahis. Le plus célèbre heel turn de l'histoire est celui d'Hulk Hogan, catcheur star de la WWE (WWF à l'époque), idole des enfants, visage de la compagnie, qui a fondé un puissant clan heel deux ans après avoir rejoint sa nouvelle compagnie (la WCW) : le New World Order. Hulk Hogan, connu pour ses tenues colorées jaunes et rouges les abandonnait pour des vêtements noirs, marquant son turn. 

Kevin Nash, Hulk Hogan et Scott Hall, les membres originels du NWO en 1996

Un turn peut sauver une carrière ou redonner un nouvel élan à un catcheur en perte de vitesse. Mais le nouveau catcheur n'est pas toujours à l'aise dans son nouveau rôle, surtout si il n'avait jamais été heel ou babyface auparavant. Ainsi, John Cena, qui avait été babyface toute sa carrière, a tenté, le 1er mars dernier, pour sa dernière année de carrière, un heel turn surprise qui a choqué tous les fans. Si la surprise a été efficace il s'est avéré très décevant en tant que heel et a finalement fait un face turn en août. Ainsi, malgré tout, certains catcheurs sont meilleurs en heel, d'autres en babyface et certains sont très bons dans les deux exercices.

Par ailleurs un turn n'est pas forcément toujours scénarisé bien en avance. En effet, si les scénaristes décident d'événements, de personnages et notamment de qui sera heel et de qui sera babyface c'est malgré tout le public qui a le dernier mot. Aux scénaristes de trouver des histoires et des personnages intéressants, aux catcheurs de les incarner et de les faire haïr ou aimer ! Et parfois cela ne se passe pas comme prévu : le public hue le babyface et acclame le heel. C'est ce que l'on appelle une "ambiance sauvage". Le public peut détester un babyface qu'il trouve inintéressant, ou trop poussé en avant par la compagnie alors qu'il ne le mériterait pas ou que cela a été fait au détriment d'autres catcheurs très populaire. Alors il conspuera le babyface, surprenant tout le monde et les officiels en premier. Dans l'autre sens, il arrive qu'un personnage heel soit tellement bon, tellement intéressant et stylé que le public ne puisse s'empêcher de l'applaudir et de l'encourager.

Les catcheurs, les scénaristes, les officiels n'ont alors pas d'autre choix que de composer avec la situation. Dans le second cas cela ne vient souvent pas d'un coup et l'on a souvent le temps de s'adapter, dans l'autre cela peut être une surprise, souvent lors du retour d'un catcheur ou d'une catcheuse qui s'était éloigné des rings ou de la compagnie pendant quelque temps et que l'on espérait voir acclamer. Lorsque cela arrive sur un match isolé qui n'a pas d'importance pour l'histoire globale de la compagnie il peut même arriver que l'on décide de changer l'issue du match en cours de celui-ci pour faire gagner le favori du public.

En 2023 à Paris, lors d'un show non télévisé de la WWE, le public a fait changé le résultat du match en faveur de Baron Corbin contre Rick Boogs.

De nouvelles manières d'être heel ou face

Tous ces turns ont également affecté les archétypes, à l'origine très codifiés, du heel et du babyface. D'abord parce qu'un catcheur peut difficilement changer radicalement sa façon de catcher mais aussi parce que le public ne peut pas totalement oublié ce qu'il a fait dans le passé. Les archétypes se sont parfois mêlés de gris, sont moins pur mais des catcheurs et des catcheuses ont également inventé de nouvelles façons d'être heel ou babyface.

Notons d'abord l'existence de catcheurs considérés comme "twinners", c'est à dire ni vraiment babyfaces, ni vraiment heels. En gros le twinner joue le rôle du babyface face à un heel et du heel face à un babyface. Ils sont plutôt rares, ne restent pas toujours dans ce rôle mais ils existent.

Si j'ai énuméré des caractéristiques typiques des heels j'ai aussi précisé qu'ils cochent rarement toutes ces cases. Ainsi, Gunther, un autre catcheur de la WWE, est-il un heel dominant, implacable, cruel mais qui ne triche jamais, une machine à tuer qui n'a pas besoin d'aide pour gagner et à qui c'est plus l'orgueil que le respect des règles qui interdit de tricher.

Certains heels sont même très aimés du public qui chante leur thème d'entrée, communie avec eux au début pour ensuite mieux les huer dés qu'ils tricheront ou se comporteront mal. Cela a été le cas de Roman Reigns, le "chef tribal" et son clan, la Bloodline, un clan de catcheurs issus d'une dynastie des îles Samoa et qui demandait à chaque public de le reconnaître comme la tête de la table (Head of the table) en levant le doigt en signe d'allégeance (et le public levait le doigt).

Notons aussi que l'on voit maintenant des heels ne pas se priver de faire des mouvements spectaculaires et aériens. La première raison est que la catch est devenu plus rapide, plus en mouvement qu'avant et que c'est toujours plus agréable pour le spectateur de voir des esquives, des acrobaties et des sauts de la 3ème corde. L'autre raison est qu'il s'agit parfois du style du catcheur. Ainsi une catcheuse comme Iyo Sky, peut-être la meilleure technicienne actuelle, hommes et femmes confondus, n'a pas abandonné sin style de catch acrobatique, rapide et aérien durant toute la longue période où elle a été une championne heel aidée de son clan. Cela ne pose pas forcément de problème : le public actuel peut très bien applaudir un mouvement spectaculaire aux cris de "this is awesome" et la huer par la suite dés qu'elle trichera.

Moonsault de Iyo Sky sur Candice Leray

De même, si il y a encore quelques babyfaces archétypaux d'autres catcheurs sont plus "en relief", notamment lorsqu'ils sont babyfaces après de longues années passées en tant que heel. Ainsi ils peuvent s'autoriser à tricher si les autres le font ou à être brutaux et cruels si ils sont provoqués. Notons que ces comportements de heel sont toujours en réaction et jamais en première intention. Ils n'hésiterons pas à être cassants lors de confrontations au micro et à garder toujours une aura de danger.

C'est actuellement le cas de plusieurs catcheurs à la WWE comme Randy Orton, mais aussi Rhea Ripley et Damian Priest qui ont gardé le look sombre gothic-metal de leur période heel.

Nous avons ainsi une nouvelle génération de babyfaces "durs à cuire", "à qui on ne la fait pas" et qui peuvent répondre aux heels avec leurs armes, ou du moins jouer sur l'intimidation et la peur, ce qui marche particulièrement face à des heels lâches.

Les archétypes sont désormais moins purs, permettant plus de nuance, plus de variété dans le catch.

Roman Reigns en 2023 dans sa période Chef tribal où la foule lève le doigt en signe d'allégeance

Méchant et gentil en escrime de spectacle

Mais après avoir vu tout ça, que pouvons-nous en tirer pour notre propre pratique ? Nous faisons nous aussi du combat scénarisé, chorégraphié même (le catch ne l'est que partiellement) et nous avons aussi un public même si celui-ci est rarement impliqué dans le show alors que l'implication du public est dans l'ADN du catch. Enfin, sauf exception, nous avons plutôt des spectacles uniques et courts plutôt que des show hebdomadaires. Voyons néanmoins ce que nous pouvons en tirer et, là encore j'utiliserai mes archétypes de combattants (l'article est ici) et ainsi que l'approche de style d'escrime de l'Esprit de l'épée (article ici).

Le méchant, style et type d'escrime

Si il y a un méchant il faut que le public l'identifie d'emblée, nous avons peu de temps rappelons nous, il faut rapidement poser le personnage. Utilisons donc les défauts des heels et, le premier d'entre eux : l'arrogance. C'est facile mais très efficace pour se faire détester du public. Le méchant qui méprise son futur adversaire, le dénigre, joue les personnages hautains ça se pose rapidement et ça crée de la détestation. Au choix le méchant peut tout aussi bien être risible (vêtements grandiloquents, phrasé ridicule) qu'avoir une certaine classe qui fera qu'on l'aimera bien mais qu'on l'identifiera quand même comme le méchant.

Une autre possibilité c'est la tricherie et la lâcheté : attaquer dans le dos, par surprise, à plusieurs, ça pose un personnage également. On peut le combiner avec l'arrogance ou non. Ainsi des bandits qui tentent de rançonner à plusieurs un ennemi n'ont pas forcément besoin d'être arrogants mais ils seront des méchants quand même. Enfin, si on a une scène d'introduction on peut aussi présenter un méchant cruel qui fait du mal à des gens sans défenses, idéalement des enfants (là c'est sûr, le public vous détestera). Le gentil qui viendra réparer cette injustice sera forcément identifié.

 

Nosferatu, un méchant icônique et effrayant dans Nosferatu le vampire de Murnau - 1922

Au cours du combat le méchant peut tricher, soit en utilisant des ruses (comme celles de cet article), soit en combattant en nombre supérieur, soit simplement en n'ayant pas des armes équitables : par exemple il sort une dague en plus de sa rapière alors que son adversaire n'en a pas. De même un méchant vicieux et dominateur pourra être cruel, faire durer la souffrance avec un adversaire blessé ou simplement d'un niveau d'escrime inférieur et qu'il prendra plaisir à humilier. Laissez parler votre imagination !

Pour ce qui est du style d'escrime le méchant aura tendance à privilégier des styles moins élégants, moins basés sur la technique. Si il ne sait pas vraiment se battre ça sera plutôt un bandit. Pour les niveaux intermédiaires la brute est idéale (l'autodidacte possible comme une sorte de bandit évolué) et pour le combattant d'élite, le vieux briscard est le mieux adapté... encore qu'un méchant très arrogant peut aussi être un artiste qui se vante de la supériorité de son escrime et de sa technique. L'athlète, qui bouge beaucoup et dans tous les sens semble moins adapté (mais toujours possible). Pour des sbires ou des sous-fifres on peut avoir des bons élèves (par exemple des soldats britanniques dans un contexte de piraterie) voire des suicidaires (si le méchant est une sorte de gourou de secte ou de magicien surpuissant). Au niveau de l'approche du combat le méchant aura facilement un profil qui cherche à piéger son adversaire comme le presseur ou le contreur. Le presseur est probablement le profil le plus archétypal : un escrimeur qui avance vers son adversaire, le met sous pression, le forçant à commettre une erreur, de quoi avoir beaucoup d'empathie pour le gentil et mettre en avant aussi bien la cruauté que la ruse.

Les Gardes du Cardinal sont un peu l'archétype des méchants nombreux d'un niveau moyen à l'escrime
(ici dans Les Trois Mousquetaires de George Sydney - 1948)

Le gentil, comment l'animer

Le gentil va être plus difficile à identifier rapidement. Il peut l'être par un costume explicite (avec du blanc notamment) mais il le sera principalement par opposition aux actes du méchant. Il en sera soit la victime, soit celui qui s'y oppose vaillamment. 

Comme le babyface, le gentil de l'escrime ne fait pas de coup de traître, n'emploie pas de ruse et se bat à la loyale. De façon caricaturale il peut même attendre que son adversaire se relève voir lui rendre son épée si il l'a désarmé (vous savez que je déteste cet artifice, mais si quelqu'un le fait c'est plutôt le gentil). C'est d'ailleurs cette loyauté qui peut le perdre. Notons qu'on peut imaginer un gentil employer des ruses mais uniquement si il est faible : un enfant mal armé luttant contre une homme fait et vigoureux, bien armé et entraîné, ou alors seulement après que le méchant ait commencé à se battre de façon déloyale.

Au niveau de on type de personnage le gentil sera plutôt un novice si il ne sait pas se battre, un bon élève si il a appris à le faire et, pour les excellents escrimeurs, l'artiste et l'athlète sont les rôles qui lui conviennent le mieux. Un gentil vieux briscard est toujours possible mais ça sera alors l'équivalent du heel "dur à cuire", le vétéran qui vient sauver un innocent ou vient à la rescousse de son élève. De même, un gentil suicidaire serait un parent qui défend son enfant ou quelqu'un qui décide de se sacrifier pour ses compagnons.

Du point de vue profil d'escrimeur le gentil aura de préférence un profil assez direct : conquérant ou défenseur plutôt que presseur ou contreur.  

Je vous laisse lire cette citation de Georges Dubois avant de continuer :

"Il est évident qu'un grand premier rôle ne devra pas, des la mise en garde, ressembler au cauteleux et antipathique traitre c1assique. Autant celui-ci devra écraser sa garde, multiplier les feintes et tourner sournoisement autour de son adversaire, autant le premier sera hautain, méprisant. Ses parades seront sèches, autoritaires, ses ripostes nettes et, s'il doit vaincre, il devra choisir entre une foudroyante riposte de pied ferme ou un arrêt insolent, par une passe élégante. S'il doit être vaincu, il devra donner 1'impression, dés le début, de la puissance et de la loyauté de son jeu, le traitre ne le tuera que par un coup d'aspect déloyal, venant d'en bas, le frappant au ventre."

Georges Dubois, Escrime au théâtre - 1910 

Thomas Marshal, le templier héros du film Ironclad, le sang des Templiers par Jonathan English - 2011, un archétype du héros chevaleresque et courageux

Jouer avec ces archétypes

Nous devons également parler des oppositions entre méchant(s) et gentil(s) et notamment du niveau des combattants. En catch, selon ce que l'on appelle le "momentum", les catcheurs ont un niveau supposé qui dépend beaucoup de si ils sont "pushés" par les organisateurs, de leur réputation et aussi de leur popularité. On sait ainsi souvent que tel catcheur est perçu comme plus fort, moins fort ou de niveau équivalent. En escrime artistique on a presque toujours des personnages différents, sans passé avec le public et l'on doit donc décider pour chaque scénario du niveau de combattant de chacun. Comme je l'avais expliqué à l'époque dans l'article, cela se choisit aussi en fonction des qualités de l'escrimeur de spectacle : de son niveau dans l'art mais aussi de ses affinités et qualités physiques.

Le combat le plus classique oppose deux adversaires de niveau équivalent même si il est intéressant qu'ils aient quand même des types différents ou, au moins, des profils différents. Mais si un combattant doit être plus faible que l'autre dans un duel, alors c'est forcément le gentil. Il va alors lutter courageusement contre un adversaire plus fort que lui qui le fera souffrir, l'humiliera et sa victoire sera alors plus forte, ou sa défaite plus tragique malgré tout son courage. En dehors d'un scénario plus complexe, plus long (un combat qui s'inscrirait dans une pièce de théâtre, un court ou long métrage, une série et donc ne serait pas le dernier du spectacle), il y a peu de scénarios où l’inverse est vraiment intéressant (même si le Baron me suggère l'idée d'un méchant qui essaierait en, vain toutes les fourberies sans jamais réussir).

Sam Gamegie, un gentil faible physiquement mais courageux. Ici dans Le Seigneur des Anneaux, le retour du Roi de Peter Jackson 2003

En revanche, quand on a des combats à un contre plusieurs là on peut aussi bien avoir des méchants ou des gentils plus faibles que celui qui est seul. Les méchants s'allieront lâchement contre un héros courageux tandis que les gentils affronteront courageusement ensemble un méchant surpuissant et invincible (oui c'est le même scénario mais les méchants sont méchants). Avec des groupes plus nombreux on peut évidemment mélanger les niveaux et créer des moments où on retrouvera ces oppositions.

Évidemment, même si j'ai décrit les styles de combat archétypaux on peut toujours jouer avec et faire le contraire. L'un des exemple les plus célèbres est le duel de fin de Rob Roy : Rob Roy Mac Gregor, le courageux chef de famille, chef de clan écossais, grand, puissant mais à l'escrime peu subtile affronte la fine lame anglaise Archibald Cunningham, d'un niveau bien supérieur et développant une escrime bien plus élaborée. Ici c'est bien le gentil qui a un niveau inférieur au méchant mais il a plutôt un profil de brute quand l'autre est un artiste de l'épée. Néanmoins son style brutal fait écho à son statut d'homme simple des Highlands, loin des raffinements sophistiqués de Londres. Avec un bon scénario on peut tout faire, mais il faut que ça garde du sens !

Le duel final de Rob Roy, réalisé par Michael Caton-Jones en 1995

Nous n'avons pas évoqué les turns, a priori la plupart de nos scénarios sont trop court pour pouvoir développer un turn. En dehors des pièces de théâtre, des spectacles longs ou des courts ou longs métrages les personnages ne restent pas assez longtemps incarnés pour qu'un changement de camp soit pertinent. C'est en effet difficile mais pas forcément impossible ni inintéressant, dans les deux sens. Ainsi, dans un combat à plusieurs on peut imaginer un face turn, d'un sbire ou d'un suivant qui se retournerait contre son chef méchant qui l'aurait trop humilié tout au long du scénario. À l'inverse un ami du gentil pourrait le trahir à la fin. Mais en revanche il ne faut pas que cela paraisse artificiel, il faut que le public comprenne les raisons de cette trahison qui doit être bien mise en scène. Les raisons doivent être évidentes pour les spectateurs ou, si c'est moins le cas, elles doivent être explicitées clairement par celui qui change de camp. Ce n'est pas forcément facile à mettre en scène mais c'est un rebondissement fort qu'il ne faut pas écarter d'emblée.

Je n'ai volontairement pas parlé de qui doit gagner. Tout dépend si vous voulez une fin morale ou non. Dans un spectacle de Noël ou devant un public d'enfants cela semble préférable que le gentil gagne, mais pour le reste amusez -vous, et n'hésitez pas à traumatiser votre public, en fait il adore ça !

 

 
La fin du Retour du Jedi de Georges Lucas - 1983, peut-être le face turn le plus iconique du cinéma

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Voici donc ce que je pouvais vous dire sur cette opposition heel/babyface qui est fondamentale dans le catch et qui fait écho à notre discipline. On n'est pas obligé de la mettre en scène mais il faut reconnaitre qu'elle a l'avantage de bien plus impliquer le public émotionnellement et de lui faire vivre quelquechose de plus qu'une démonstration d'escrime. Le catch ayant beaucoup creusé ces archétypes je trouvais intéressant d'en parler ici pour vous donner des idées. N'oubliez pas que le plus important est la cohérence de votre personnage : celui-ci doit garder la même attitude, le même style d'escrime tout au long de votre combat... sauf si le scénario le justifie. Construisez des personnages, leur caractère, leur costume, leur escrime et soyez cohérents avec.