Il peut y avoir une autre raison de ne pas pratiquer une escrime plus martiale et plus historique qui tient aux moyens financiers : de bonnes armes correspondant à des armes historiques sont onéreuses et beaucoup de gens n'ont pas forcément les moyens de se les payer, en plus de tous les frais qu'ils auront aussi à débourser pour monter avec un costume décent sur scène. On va ici développer un peu cette excuse que nous jugeons plutôt bonne en voyant les prix, les conséquences de choix moins coûteux mais aussi les alternatives possibles.
Photo d'Alexander Grey sur le site Unsplash |
Les rapières, c'est cher
Comme je l'ai dit en introduction cette affirmation vaut essentiellement pour les rapières. Une rapière historique a une lame plate plutôt longue et il est difficile d'en trouver de bonne qualité. J'en parlais d'ailleurs dans mon "guide d'achat" des épées, pour être à peu près sûr d'avoir une bonne rapière à lame plate il faut cibler les armes conçues pour la pratique des Arts Martiaux Historiques Européens (AMHE). Or ces armes se trouvent rarement en-dessous de 250€ et on atteint facilement les 300€ voire bien plus (les 500€ ne sont pas exceptionnels) en fonction des fabricants ou des modèles.
En-dessous de ces prix on trouve majgré tout des rapières à lame plate moins chères. ce sont soit des armes "battle ready" dont la simple photo vous dit qu'elle vous causera à coup sûr une tendinite, soit d'autres armes à l'équilibre incertain. Toutes celles que j'ai pu avoir en main qui n'étaient pas des armes d'AMHE étaient trop lourdes et donc moins maniables. Certes des rapières d'1,5 kg ont existé, et même plus lourdes encore, mais ce n'est pas forcément l'outil que l'on va rechercher pour préserver son bras et la qualité de son escrime. Je ne dis pas non plus qu'il est impossible de trouver de bonnes rapières en dehors des fabricants de matériel pour les AMHE, je dis juste que, d'expérience, dans leur immense majorité ce sont des armes de mauvaise qualité. Mais si vous avez un bon filon n'hésitez pas à partager !
En conséquence les pratiquants qui veulent faire de la rapière, parce que c'est une arme portée par un imaginaire riche et fort, vont facilement se tourner sur des rapières à lames triangulaires de 25 à 50% moins chères en général. Parce que n'oublions pas qu'il faut aussi acheter un costume avec des chaussures, un chapeau etc. Beaucoup de dépenses pour les pratiquants.
Notons que cette problématique est spécifique à la rapière et n'existe pas avec l'épée longue. En épée longue on va en général pratiquer avec des armes achetées chez des revendeurs d'équipement de reconstitution qui sont moins chers que le matériel pour les AMHE. Pour l'épée de cour vous trouverez des modèles aux mêmes tarifs que les rapières à lame triangulaire et le prix dépendra surtout du niveau de finesse et de décoration que vous souhaitez.
Je me suis amusé à créer la rapière la plus chère sur le site de Castille Armory, avec une garde anglaise et une lame en flamberge d'1m05, et voilà la résultat ! (sans TVA ni frais de douane). Bon ils font de jolies épées et tout est loin de valoir ce prix là, en général vous vous en tirez pour 450 à 500$ chez eux. |
Armes pas historiques, gestes moins historiques
La conséquence de l'achat d'armes n'ayant pas le même équilibre ni le même poids que les originales qu'elles sont censé simuler est que l'on a vite tendance à produire une escrime moins martiale et moins historique. Si vous avez fait l'expérience d'une rapière à lame plate vous avez dû vous rendre compte à quel point cette arme était faite pour l'estoc et à quel point elle était mal adaptée aux coups de taille. Bien sûr, ceux-ci existent à la marge, dans plusieurs traités, en Verdadera Destreza par exemple c'est un coup qui peut venir dans certaines circonstances, notamment quand on a dépassé la distance d'estoc. Joseph Swetnam conseille quant à lui de ne les faire qu'avec le poignet et, d'expérience, c'est à peu près la seule manière convenable de les porter. Donnés ainsi, avec une lame fine, ces coups vont d'abord érafler et ils ne seront réellement efficaces qu'au visage ou portés sur des zones vitales comme des artères. Porter des coups de taille plus ample est très difficile et on sent presque l'arme y résister. Bref les rapières sont des armes faites pour l'estoc et les coups de taille ne sont que très secondaires dans cette escrime.
Or cette sensation est beaucoup moins présente avec une lame triangulaire, on ressent moins le besoin de gérer sa lame et de garder sa pointe vers l'adversaire. On peut plus facilement faire des coups de taille et on peut aussi beaucoup plus facilement faire de grands mouvements de bras. On en revient toujours à cette idée d'armes ayant du poids ou non. Ajoutons aussi un autre facteur : sur un scène ou un écran une lame plate est beaucoup plus visible qu'une lame triangulaire. Elle est plus large et prend mieux la lumière, on a donc moins besoin des gestes du corps pour lire la lame. ceci étant énoncé on peut quand même essayer de reproduire des gestes et des postures historiques mais sans expérience de lame plate cela risque d'être plus compliqué, d'autant que, dans l'idéal, il faudrait même ralentir certains mouvements. On assumera donc de ne pas faire une escrime historique et peut-être d'exagérer certains gestes avec le corps pour qu'on les voit mieux. Néanmoins cela ne veut pas nécessairement dire qu'on va pratiquer une escrime majoritairement à base de coups de taille. On peut garder une majorité de coups d'estoc et les agrémenter de quelques coups de taille selon les circonstances, rien ne l'interdit.
S'ouvrir à d'autres armes ?
Évidemment, je ne saurais finir cette article sans vous inviter à vous ouvrir à d'autres armes moins onéreuses et qui pourront vous procurer beaucoup de plaisir elles aussi. Tout d'abord l'épée de cour. Vous restez sur l'idée des films de cape et d'épées mais vous changez juste de siècle et le XVIIIe siècle (ainsi que le XIXe dans une moindre mesure) s'ouvre à vous. D'autant que la redingote est tout de même un costume magnifique, bien plus que ce que l'on portait sous Louis XIII et encore plus sous Louis XIV (il faut aimer les demi-manches et les rubans). L'épée de cour est l'ancêtre de nos épées d'escrime actuelles, la coquille en moins et, sauf pour les épées italiennes, avec une lame plus courte (plutôt une lame n°3 en fait). Si vous maîtrisez un peu d'escrime moderne et, notamment, de fleuret classique, vous ne devriez pas être perdus, bien sûr il y a des subtilités qui diffèrent selon les maîtres d'armes, mais la base est assez similaire. En revanche c'est une escrime de pointe à 100%.
Pour des prix parfois moins chers que les rapières de spectacle vous pourrez également vous procurer des sabres d'abordages. D'autres sabres peuvent se trouver à des prix corrects mais le sabre d'abordage est souvent peu onéreux, petit et relativement léger même si il fait partie des armes dont il faut gérer l'inertie et le poids. Si vous aimez les coups de taille et que vous avez un petit budget c'est probablement l'arme idéale. C'est facile à prendre en main et on fait rapidement des chorégraphies sympathiques avec de grands coups de sabres qui impressionnent bien le public. Et si l'univers des pirates vous parle, c'est une vraie alternative et une arme beaucoup trop sous-estimée.
Enfin je ne saurais vous inviter à tester d'autres armes et à aller voir mon article sur les différentes armes bon marché pour changer de la rapière. Les lances, les bâtons ou les cannes pourraient vous plaire par exemple. Notons que, récemment, les élèves du Baron ont monté un combat de Noël en se battant avec des cannes fédérales maquillées en sucres d'orge !
Le père Noël et le vilain lutin par Les Voix des lames.
***
Donc voilà, on veut bien vous excuser si vous n'avez pas de sous et que vous aimez le XVIIe siècle. Les costumes, les épées sont chers, notre loisir n'est pas gratuit et les clubs bien équipés sont rares ! Donc faites au mieux avec les moyens du bord même si ça va manquer d'historicité ou de martialité. Mais envisagez aussi d'autres opportunités !
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire