mardi 21 janvier 2025

Les bonnes excuses : les armes allégées par rapport à celles plus historiques sont parfaites pour ma chorégraphie fantastique.

Bonjour à tous, ici le Baron de Sigognac pour vous desservir. 

Si vous nous suivez depuis quelque temps, vous avez déjà dû lire nos réserves quant à l’usage d’armes « allégées » dans nos prestations. Nous parlions généralement de matière ou du type d’arme : usage du duraluminium ou de lames triangulaires ou sportives à la place de plates pour nos rapières… 

De notre part cela s’inscrit dans une promotion d’une escrime de scène de plus en plus respectueuse de son patrimoine historique. Et à ce jeu, nous constatons assez vite que certaines techniques historiques sont difficilement utilisables si l’arme s’avère plus légère que prévu, tandis que d’autres, pourtant peu concevables, le deviennent. Ce n’est pas l’idéal si on veut présenter une escrime plus respectueuse de celle historique. Une escrime que nous encourageons.

Prenez le comme une injonction si vous le voulez, offusquez vous-en si vous le désirez, mais de vous à moi, cela en dit davantage de vous que de nous. 

Néanmoins est ce que l’escrime de scène se résume à notre propre orientation ? Celle du Capitaine et moi-même ? Non, bien entendu. Est-ce que nous pensons que cela le devrait ? Je suis sincèrement désolé pour vous si vous le croyez. 

Il est vrai que, dans cette hypothèse, il serait inutile d’espérer entendre de notre part du bien de ces armes. Et pourtant c’est ce que nous souhaitons faire. Ce sera d’ailleurs l’occasion parfaite, dans un premier temps, de parler un peu de comment nous nous situons vis de vis de notre discipline.

Au centre et bien entouré. Crédit photo : Adrien Chazal 

Défendre une approche plus respectueuse de l'escrime historique tout en  reconnaissant et appréciant d'autres visions.


Déjà, j’insiste, nous avons bien conscience, pour ne pas dire approuvons l’idée que l’escrime de scène est un art et que, par conséquent, tous les courants, les styles, plus ou moins identifiés à ce jour, peuvent être pertinents. Aussi surprenant que certains pourraient le découvrir, nous ne boudons pas notre plaisir lorsque nous voyons une chorégraphie bien maitrisée. Qu’importe si ses positions scéniques ne sont pas les nôtres.

Exemple personnel, ça vaut ce que ça vaut, mais je suis très friand de cinéma et séries coréennes. Bon, en fait, je ne regarde que ça depuis un bon moment, avec quelques écarts vers des productions anglaises et plus particulièrement les séries dites « historiques ». 
Un bien grand mot, puisque je vais par commodité mettre dans le même panier aussi bien celles peu romancées que celles où la magie est clairement de la partie, avec malgré tout une toile de fond historique. Maudit Yuan. Pauvre Goryeo. Vive Joseon ! La particularité de ces histoires est de nous proposer leurs lots de combats épiques. Ce dans un style spectaculaire qui ne laisse nul doute quant à leur irréalisme : voltes à gogo, projection d’une escouade entière par un simple couronnée, courir sur les murs à la façon tigre et dragon… Vous pensez bien que si j’étais sectaire, cela ne pourrait pas passer. Pourtant J’.A.DO.RE ! 
Bon, je grossis le trait, en fonction des moyens de production, des choix de mis en scène, ils sont souvent plus sobres. Cependant, cela reste très inspiré et exécuté autour de l’idée que les héros et leur némésis sont des surhommes combattants des hommes et des femmes qui savent se battre conformément à leur statut. C’est juste que pour ces derniers, c’est difficile de l’emporter.

Alors pourquoi en France, le Capitaine et moi défendons principalement un style réaliste ?

Nous avons bien des courants qui misent sur le spectaculaire pour contrebalancer leur part assumée d’irréalisme. Cependant, ce n’est pas parce qu’un chorégraphe vous dit que sa création est spectaculaire qu’elle l’est. Le meilleur discours ne peut changer un héros qui confond son épée ou sa rapière avec un gourdin ou le constat que sa manière de combattre tient plus du paysan aviné que du chevalier correctement formé, encore moins la désagréable impression que ce que je viens de vous décrire s’observe beaucoup trop dans des productions professionnelles occidentales. Au point de se demander si ce n’est pas la norme, structurelle.  
Bref nous partons déjà d’un contexte différent. Ce qui a des conséquences sur la pratique amateur.

Ensuite, pour continuer de raconter un peu notre vie, avant d’être un « amateur éclairé » pour l’un, Maitre d’Armes pour l’autre, nous sommes des gestionnaires de patrimoines culturels de formation. Nous disposons donc déjà de deux trois bases en histoire et sommes sensibles au respect du patrimoine matériel ou immatériel dont nous faisons la promotion. Directement ou non. Or, l’escrime historique à travers ses traditions, ses traités, etc... constitue à nos yeux, et pas que les nôtres, un patrimoine. Patrimoine dont l’escrime de scène peut être un vecteur et qui, en plus, est assez spectaculaire comme telle. Il faut choisir les techniques, vérifier qu’elles correspondent bien aux personnages incarnés, c’est toujours un peu de boulot, mais c’est là. 
Et vu que le soi-disant spectaculaire à l’hollywoodienne, surtout en escrime médiévale, nous semble à minima bancal, que c’est ce sujet qui nous a intrigués lorsque nous étions de jeunes escrimeurs… vous devriez mieux nous cerner désormais. 

Toutefois, retenez que non, nous ne sommes pas fermés par définition à des créations qui misent davantage sur une escrime irréaliste. Nous serons méfiants si cela se produit lors des journées du patrimoine et que vous êtes censés incarner des mousquetaires, mais dans le cadre d’un gala, d’un festival, d’une animation… YOLO. Vous avez juste à savoir ce que vous faites. 

Et c’est, dans ce cadre non « réaliste », « fantaisiste » que l’usage d’armes allégées peut devenir intéressant. 


Ou alors, je suis juste raide dingue de leurs costumes... c'est important aussi ça... le costume.기황후 (Impératrice Ki) 2013-2014

L'usage d'armes allégées : une idée intéressante dès que nous ne créons autour d'un univers non historique. 


Pratiquer une escrime scénique qui s’affranchirait des contraintes réalistes ne veut pas dire faire n’importe quoi. Votre univers scénique, bien que fantaisiste, répondra à des règles. Vous aurez certes la liberté de les fixer, mais il vous faudra les respecter. Dans une vision plus réaliste : le choix des techniques dépendra plus du niveau des combattants, de leur origine, moins de ce qu’il représente pour l’histoire. Ce que le jeu d’acteur aura la charge. En revanche, dans une approche plus irréaliste, les gestes sélectionnés peuvent davantage appuyer les figures qu’incarnent nos personnages. Un héros pourrait se voir choisir une gamme technique plus aérienne avec des voltes, énormément de déplacements latéraux, des esquives. Au contraire, sa Némésis disposerait de techniques certes avancées, mais davantage axées sur la puissance, le déplacement linéaire, etc... Les possibilités sont nombreuses. 

Toutefois cela donne souvent la part belle à un profil de personnage : l’athlète. Le côté surhomme que je présentais tout à l’heure pour le cinéma coréen en est une parfaite illustration. Si votre héros est capable de l’emporter en exécutant des techniques qui aurait envoyé n’importe lequel de ses utilisateurs au cimetière c’est bien qu’il a un truc en plus. Le scénario ? chhhhhhhuuuut. 

Or, ce surhomme ou femme est joué pourtant par une simple personne. Il va falloir tricher un peu et rien de tel que de disposer d’une arme plus légère. 

Un univers qui s’inspire de la renaissance, mais qui a des rapières lames triangulaires ? Très bien. Avec ça mes escrimeurs vont pouvoir être plus rapide, plus agile que s’ils devaient composer avec les contraintes d’une lame plate. Ne faites pas les fous et restez en sécurité, hein. 

Un monde davantage médiéval fantastique ? Le duraluminium peut s’avérer un excellent alliage pour s’affranchir de certaines contraintes. Notamment pour souligner des personnages extraordinairement agiles. Ou puissant. 

Prenez une arme fantaisiste telle que certaines gargantuesques issues des Final Fantasy. Ces proportions irréalistes montrent certes la puissance surhumaine du personnage. Sauf que pour son interprète nous ne pouvons pas l'imaginer  manier son arme avec la précision et rigueur nécessaire d'une chorégraphie si c'était de l'acier. De même pour le duraluminium à partir d'un certains stade. 

Quant à incarner un personnage agile au delà de ce qu'un humain est censé pouvoir réaliser, coucou les elfes, disposer d'armes allégées ne peut qu'aider l'escrimeur dans ses actions. Même si ses armes sont de dimensions normales. Même si cela nécessite toujours un entrainement et une condition physique sérieuse. Cela reste un bon coup de pouce. 



Hé v'là la taille du pouce. 

Bref, vouloir exploiter l’avantage d’une arme plus légère dans une chorégraphie non réaliste et les techniques qu’elle favorise de fait est une bonne excuse. Et soyez certains que si c’est assumé et bien pensé, ce n’est pas nous qui irons vous critiquer. 

C’était le Baron de Sigognac pour vous desservir

À la prochaine. 

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