vendredi 11 mars 2022

Armes insolites : le parapluie

J'avais déjà évoqué la self-défense au parapluie dans mon article sur les rôles féminins au XIXe siècle mais je pense que cette "arme" méritait un article à part entière. Tout comme le balai il ne s'agit pas d'une arme à part entière puisque l'on détourne ainsi clairement un objet de son utilité première qui était de protéger de la pluie. Néanmoins il s'agit d'un objet qui a véritablement été utilisé en tant qu'arme de défense et, en cela, on doit plutôt la rapprocher de la faux et de la faucille bien que le contexte d'utilisation soit fondamentalement différent.

Il convient donc de nous pencher d'abord sur son histoire avant de voir comment on pouvait (et on peut encore) l'utiliser pour se défendre.

Parapluie avec couverture en soie, manche en bois, sangle de transport en cuir et bouton en corne (1910)
dans les collections du Rijksmuseum d'Amsterdam

Un accessoire destiné aux riches qui se démocratise au XIXe siècle

Si l'ombrelle est connue depuis l'Antiquité, l'histoire du parapluie commence au début du XVIIIe siècle avec l'invention du parapluie pliant en 1705. À cette époque un certain Jean Marius révolutionne le parasol-parapluie : couvert de taffetas imperméabilisé, il pouvait se plier et donc se transporter facilement. Présenté à la cour en 1710, Jean Marius obtient un privilège royal lui garantissant un monopole de 5 ans. L'invention s'est peu à peu répandue dans la bonne société française puis européenne tout au long du XVIIIe siècle. Au début, il était mal vu d'en avoir car cela supposait que l'on avait pas de voiture pour s'abriter et voyager en temps de pluie. Néanmoins il s'est peu à peu imposé au cours du siècle au point qu'en 1767, l'américain Benjamin Franklin s'étonnait que « tant d’hommes et de femmes aient toujours sur eux un parapluie pliant et l’ouvrent en cas de pluie ».

Vendeurs de parapluies et de soufflets  par Jean Duplessis-Bertaux (1760 - 1818)
dans les collections du Rijksmuseum d'Amsterdam



Le parapluie n'était à l'époque utilisé que par la noblesse et la bourgeoisie riche, hommes et femmes. Ce n'est qu'à la Révolution française qu'il s'est démocratisé et a gagné toutes les couches de la société. Le taffetas huilé fut remplacé par de l'alpaga (plus léger et moins cher) et, pendant longtemps, les baleines ont été fabriqués en... fanons de baleine ! Le manche et la poignée étaient généralement en bois. Au XIXe siècle il était donc porté aussi bien par les hommes que les femmes, les ouvriers comme les bourgeois. Le parapluie télescopique n'ayant été inventé qu'au XXe siècle c'est la version longue et rigide qui a été employée pendant longtemps, et cela tombe bien, c'est la plus apte à la défense personnelle.

Femme du peuple avec un parapluie (1872)
dans les collections du Rijksmuseum d'Amsterdam

Une arme improvisée pour la défense personnelle

Si au XVIIIe siècle il était de coutume pour les nobles et les bourgeois les plus aisés de porter l'épée au côté, le port de celle-ci a été interdit à la Révolution française. C'est ainsi que la canne s'est développée pour permettre de se défendre dans les rues pas toujours sûres du XIXe siècle (même si l'insécurité a souvent été exagérée, comme c'est le cas de nos jours). Le parapluie, de par sa longueur, sa rigidité et sa crosse, remplaçait souvent la canne et c'est donc logique qu'on l'ait utilisé pour se défendre.

On trouve ainsi des traces de son utilisation dans les faits divers. Et on trouve même des recueils de technique sur la défense avec cette arme. Ces techniques sont souvent présentées dans des articles de journaux ou sous la forme d'un court paragraphe dans un traité plus long. On peut difficilement parler d'une escrime élaborée au parapluie mais plutôt de principes et de techniques astucieuses pour se défendre.

Extrait du journal La Presse du 2 août 1836
 

Tout d'abord, toutes les techniques nous présentent un parapluie fermé, jamais ouvert. Celui-ci peut ainsi être utilisé à une ou à deux mains. À une main il sera tenu par la crosse, de la façon classique et c'est essentiellement la pointe que l'on utilisera. On peut ainsi porter des coups d'estoc très douloureux à la poitrine et même mortels si ils transpercent l’œil de l'adversaire. On est ici assez proche de l'escrime à au fleuret avec une arme un peu moins maniable et équilibrée mais qui reste dangereuse. On peut éventuellement donner des coups de taille comme si il s'agissait d'une canne mais ceux-ci seront atténués par le tissu du parapluie et n'auront probablement pas une grande efficacité, néanmoins on peut envisager de détourner des attaques portées à l'aide d'autres armes avec le parapluie.

Utilisé à deux mains on le tient plus fermement mais on a forcément une portée bien moins importante et l'on se retrouve facilement à distance de corps à corps. Notons néanmoins qu'il est possible de tenir l'arme à deux mains mais d'envoyer des coups à une main pour surprendre l'adversaire avec une portée plus grande. À deux mains on peut frapper de la pointe en estoc mais également de la crosse dans des coups de taille ou d'estoc. La crosse peut également être utilisée pour saisir des membres, des armes voire la nuque de l'adversaire. Au final on se retrouve avec une arme improvisée plutôt efficace pour la défense, capable aussi bien de faire mal que de déstabiliser un adversaire.

Roger Lafond, fondateur de la méthode Lafond démontrait dans les années 90 les méthodes de défense au parapluie à la télévision française (émission Coucou c'est nous ! sur TF1)

Le parapluie en escrime de spectacle

Si le parapluie était largement répandu au XVIIIe siècle, c'est plus dans des scénarios du XIXe siècle et même de la fin de celui-ci et du début du XXe siècle qu'il trouvera sa place (voir mon article). Comme on l'a vu il pouvait équiper toutes les couches de la société et tout type de personnage en portera. On l'imaginera plus volontiers dans les mains des "gentils", des passants agressés qui utilisent ce qu'ils ont pour se défendre. En effet, il y a d'autres armes pour agresser et on prendra plus facilement un gourdin, un couteau voire une canne. Il fera une arme idéale pour une femme qui n'est pas censée en porter à cette époque.

Pour ce qui est des scénarios, celui de l'agression est évidemment le plus évident. On peut tout aussi bien l'intégrer dans des combats de groupe que dans des combats individuels. Mais on peut également l'imaginer dans les mains d'un enquêteur audacieux comme Sherlock Holmes ou le John Steed de Chapeau melon et bottes de cuir (Avengers). Celui-ci (ou celle-ci) peut aussi bien porter sciemment cette arme improvisée que se battre avec ce qu'il peut trouver à porter et donc, entre autres, un parapluie.

 

Image issue du journal The Idler - 1908

Une autre remarque : il n'est pas forcément intéressant, aussi bien scénaristiquement que visuellement de voir s'affronter deux personnages tous les deux armés de parapluies. L'effet défense avec une arme improvisée contre une véritable arme reste plus intéressant, et comme les techniques sont assez pauvres on peut alors jouer sur les différences d'allonge, les différentes prises et, évidemment, mêler les techniques de parapluie avec des coups de pieds de boxe française ou des techniques de lutte ou de jiu jitsu d'époque. Deux personnages se battants seuls à coup de parapluie feront probablement un effet un peu étrange et l'on aura assez peu de techniques à montrer.

Enfin, si j'en parle d'un point de vue de self défense, donc un style de combat plutôt réaliste et un peu "sale" ce n'est pas forcément le seul angle artistique sous lequel on peut aborder cette arme. On peut aussi imaginer un combat très stylisé, dansant, sous des airs connus comme Singing in the rain par exemple. À vous d'inventer ce qui vous plait !

 

 Imaginez un combat sur cette chanson ! Vous voudriez forcément un parapluie non ?

***

J'espère vous avoir présenté cette arme et vous avoir donné envie de l'utiliser dans un ou deux spectacles. Ce n'est évidemment qu'une arme improvisée, insolite et non une arme qui fait l'objet d'un corpus fourni de techniques subtiles. Néanmoins elle fera probablement son petit effet vis à vis des spectateurs, notamment de par le fait qu'il s'agit encore d'un objet familier pour eux.

Quelques références :

Article sur l'histoire du parapluie sur le site Histoire pour tous.

Un autre article sur l'histoire du parapluie sur le site Hérodote.

L'Histoire du parapluie sur l’Encyclopedia Universalis

Article du San Francisco call du 8 novembre 1908 sur la self défense féminine.

Article du journal The Idler de 1908 sur la défense féminine

Article du Journal des voyages du début du XXe siècle sur l'escrime au parapluie

Manuel d'escrime de R. G. ALLANSON-WINN et C. PHILLIPPS-WOLLEY sur la broad-sword et le single-stick où l'on trouve un chapitre sur le parapluie


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