lundi 13 décembre 2021

L'escrime de spectacle doit-elle forcément être belle ?

Lorsque l'on regarde le haut niveau dans l'escrime artistique en France et dans le Monde on ne peut que constater la beauté de l'escrime qui nous est présentée. Les gestes sont très précis et l'ensemble respire la grâce et l'élégance. On peut même parfois avoir l’impression d'un ballet de lames et de corps qui se déroule devant nous pour nous présenter un tableau agréable à l’œil. Les mouvements peuvent être expressifs, c'est même conseillé si l'on veut vraiment un grand numéro mais l'ensemble doit rester gracieux, fluide avec des gestes impeccables. Mais est-ce que cette sorte de perfection est le seul but à atteindre lorsque l'on est un pratiquant d'escrime de spectacle ? Ce style doit-il être le seul ? Et d'ailleurs est-il parfait ? Cet article vous invite à réfléchir à cette question et à vos pratiques.

Que l'on se mette d'accord, ce style a donné et donnera encore de superbes numéros. Je prends personnellement un grand plaisir à regarder ce genre de combats chorégraphiés et je souhaite pouvoir toujours en voir de nouveaux. Les critiques que je formule ici sont d'abord un plaidoyer pour plus de diversité dans les styles, pas pour la disparition de ce style.

Gravure peinte de l'École des armes de Domenico Angelo (1763)

La belle escrime, un style dominant... et parfait ?

On notera que c'est d'ailleurs ce sur quoi l'on insiste dans l'enseignement. On enseigne souvent une sorte de perfection du geste qui semble, consciemment ou non, passer en priorité sur le reste comme l'expression ou l'intensité du combat. On nous apprend le plus souvent à faire de la belle escrime, à poser nos gestes, à se concentrer sur ceux-ci. Malheureusement la conséquence est que, quand on n'est pas sur du haut niveau, cela manque souvent de vitalité, d'engagement voire de mouvement (voir mes articles sur l'intention et la rapidité). Les escrimeurs semblent souvent beaucoup s'appliquer et oublient souvent de raconter le reste de l'histoire en montrant que leurs personnages sont là pour se tuer.

Un autre souci concerne les personnages. Tous sont forcément bons escrimeurs, avec des gestes parfaits, de belles attaques, des parades bien exécutées. Bien sûr ce n'est pas forcément comme ça dans la vraie vie mais on dira que c'est ici la quintessence de l'escrime et que si l'on chorégraphie c'est aussi pour voir de la belle escrime. Je suis d'accord avec cette hypothèse mais je constate également qu'elle empêche de jouer certains personnages qui ne seraient pas bons en escrime ou auraient un style plus "brut". Souvent même la brutalité est stylisée et donc fausse. Bien sûr qu'il est possible d'être très engagé et très technique (même si il faut un bon niveau pour ça) mais quelle crédibilité aurait par exemple un personnage de bûcheron qui serait ainsi ? En voulant absolument faire du beau et du gracieux on se prive ainsi de la possibilité de représenter de façon crédible nombre de personnages que le public n'a aucune chance d'accepter ainsi de part ce qu'ils sont. Donc, si on veut tout de même les jouer et les présenter de façon non stylisée il faudra faire autre chose que de la belle escrime.

Un autre problème, peut-être plus grave : comment raconter une histoire avec un personnage qui prend le dessus sur l'autre quand les deux personnages produisent une escrime parfaite. Un personnage en difficulté s'est en principe fait surprendre par un feinte, un enchaînement original ou par la rapidité et l'intensité de l'agression... Il parera donc moins bien, au dernier moment, avec une parade de panique qui ne lui laissera pas la possibilité de placer une riposte. Or comment être crédible si cette parade est en fait parfaitement propre, à la bonne distance et dans le bon tempo ? À aucun moment on ne sentira la difficulté dans laquelle se trouve le personnage, elle sera totalement artificielle. Je caricature évidemment un peu en poussant le style dans ses extrémités mais il faut tout de même garder cela en tête.

Bon, avouons-le, à haut niveau la belle escrime c'est quand même superbe : Inspiré du Cid par la Compagnie d'armes du Périgord, médaille d'or aux CFEA 2020.
(oui je n'aime pas pointer un groupe en particulier, du coup je vous met du bon et du beau)

Adapter son style à son personnage et au genre

Mais que faire alors me direz-vous ? Eh bien adapter son style de combat au personnage que l'on incarne et/ou à l'ambiance que l'on veut donner au combat. Certains personnages qui se battent de façon peu académique auront des gestes, certes maîtrisés, mais plus brutaux, moins "parfaits". Ils ne seront pas forcément en garde de façon classique ou peuvent vouloir provoquer l'adversaire en adoptant des postures originales. L'idée est ici de renoncer à travailler le geste parfait pour se concentrer sur l'intensité de l'engagement ou l'impression que l'on veut donner. On peut ainsi travailler la violence brute, la roublardise ou même la maladresse afin d'interpréter tout un panel de personnages.

Le raisonnement est le même concernant le genre du combat. Quelle impression veut-on que les spectateurs aient de notre spectacle ? Veut-on qu'ils aient l'impression d'avoir vu quelquechose de beau et d'intense ? Alors là, oui, on choisira la belle escrime. Mais si l'on veut qu'ils aient l'impression de plonger dans l'enfer et la rage du combat ? Si l'on veut qu'ils rient ? Si l'on souhaite qu'ils aient peur pour le héros, qu'ils voient du mouvement, qu'ils soient surpris ? etc. Vous l'aurez compris je trouve dommage de se limiter à un seul style et de ne pas travailler d'autres registres de jeu que la belle escrime. J'ajouterai que ça l'est d'autant plus que la belle escrime doit vraiment être bien maîtrisée pour être belle et intéressante et que l'on se condamne ainsi à avoir des combats pas très intéressants quand ils sont faits par des escrimeurs moins expérimentés.

Une note sur la sécurité cependant parce que je vois venir ce genre de critique de loin ;-) : il ne s'agit pas ici de ne pas maitriser son geste, l'escrimeur doit maîtriser sa force, viser la bonne cible et être capable d'arrêter son attaque au besoin. Ce que je dis c'est qu'en adoptant d'autres styles on n'est plus obligé de rechercher la perfection du geste à la distance parfaite et l'on peut ainsi se concentrer sur d'autres aspects comme donner l'impression de l'intensité de l'engagement, bouger plus, plus vite ou mieux simuler la difficulté. Parce qu'il n'y a pas besoin de faire le geste parfait pour qu'il soit sécurisé (mais on doit quand même toujours savoir ce que l'on fait et se maîtriser).

 Warlegend est l'une des rares troupes en France à proposer un autre style plus.. brutal ;-)

 ***

Ma conclusion est donc évidemment que l'escrime de spectacle n'a pas forcément besoin d'être belle pour être intéressante. Elle peut être intense, spectaculaire, le tout est qu'elle raconte une histoire fut-elle abstraite. Et cet article est une invitation, à tester d'autres styles dans lesquels vous vous sentirez peut-être plus à l'aise, à sortir de l'obsession de la perfection du geste qui peut vous freiner pour exprimer d'autres choses. Après si vous préférez rester beaux c'est aussi un excellent choix, parce que c'est pour moi un style parmi d'autres et que je prendrai toujours plaisir à voir !

2 commentaires:

  1. J’avoue que j’ai du mal à comprendre où tu veux en venir avec cet article.

    Si tu parles de l’escrime de spectacle, c’est-à-dire d’une escrime qui soutient un texte et une histoire comme p.ex. « Roméo et Juliette » de Shakespeare, la chorégraphie dépend des nécessités de la mise en scène. Alors la question : « Est-ce que cette escrime est belle ? » ne se pose même pas.

    Ou parles-tu de cette escrime de spectacle qu’on voit sur les fêtes des châteaux ou médiévales, de ces petites saynètes où l’escrime joue le rôle principal ? Je ne pense pas que tu as l’intension d’inciter les troupes à se rapprocher d’avantage des productions surréalistes hollywoodiennes avec leur quota de violence gratuite.

    Mais si tu parles de l’escrime artistique proprement dit, « qui est à l’escrime sportive ce qui est le patinage artistique au patinage … » (selon M.Carliez), nous sommes quand-même dans une escrime artistique certes mais de compétition avec un règlement stricte et contraignant qui ne laisse pas vraiment le choix d’autre que de faire « de la belle escrime » au risque d’être sanctionner par le jury.

    Et concernant ta dernière vidéo d’exemple, elle correspond 100% à la description que tu fais pendant tout un paragraphe des chorégraphies qui te dérangent : deux combattants qui se ressemblent physiquement, dans leurs actions et leurs attitudes comme des jumeaux et une belle chorégraphie hyper technique où tu te demandes comment ça se fait qu’il y en a un qui gagne.

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    1. Je reconnais que cette remarque est pertinente. j'ai probablement mal défini du coup. Disons que la différence c'est que la seconde vidéo n'a pas de recherche esthétique, du moins pas l'esthétique visuelle admise comme juste, celle qu'on enseigne le plus souvent. Il n'y a pas cet aspect posé même si c'est technique.
      Après ce n'est probablement pas la meilleure vidéo d'illustration mais bon, ce n'est pas toujours facile à trouver ;-)

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