vendredi 26 février 2021

Armes insolites : le gantelet de bride

Nous allons parler ici, pour la première fois dans cette rubrique, d'une arme défensive et plus spécifiquement d'un élément d'armure du XVIIe siècle qui m'avait beaucoup intrigué quand je l'avais vu pour la première fois : le gantelet de bride. Ce terme est une traduction personnelle du terme "bridle gauntlet" qui, avec "elbow gauntlet" désigne cette pièce d'armure. Je n'ai pas trouvé le terme utilisé dans le monde francophone, ni de meilleure traduction d'ailleurs, donc si vous connaissez le bon terme n'hésitez pas à me le dire, je corrigerai.

Logiquement nous allons donc nous pencher sur l'objet en lui-même, son contexte d'utilisation avant de se demander ce qu'on peut faire avec.

Gantelet de bride (Bridle gauntlet) dans les collections du National Army Museum (1645)

Une pièce accessoire d'une armure "légère"

Si d'ordinaire les gantelets d'armure vont toujours par paire, pratiquement tous les gantelets de bride que nous connaissons sont des gantelets gauches. Leur forme est également très spécifique puisque ces gantelets vont de la main jusqu'au coude, incluant tout l'avant-bras. Certains ont des protections pour les doigts, d'autres semblent les avoir perdus ou n'en avoir jamais eu. Ils protègent donc toute la main et l'avant-bras et en ce sens ce sont aussi bien des canons d'avant-bras que des gantelets. La majorité d'entre eux sont des armures dites "de munition", c'est à dire fabriquées en série dans des manufactures mais on a également l'exemple de l'armure du roi Pierre II de Portugal (1648-1706, règne à partir de 1683).

Gantelet de bride d'origine germanique conservé au MET (XVIe S.)

Ces gantelets ne se portaient jamais seuls et faisaient partie d'un type d'armure légère dire armure d'arquebusier, portées par les soldats du même nom. Cette armure comprenait au minimum une cuirasse, pas toujours à l'épreuve du mousquet et un casque ouvert (lobster pot de type britannique mais aussi bourguignotte voire des casques d'infanterie comme le cabasset). On pouvait porter cela sur un buffletin et y ajouter une dossière, un colletin ainsi que ce fameux gantelet de bride. Pour les armures du XVIIe siècle je vous renvoie à mon article sur le sujet. Pour les soldats d'une unité militaire, c'est le chef de l'unité, celui qui avait acheté sa charge d'officier qui était en charge d'équiper ses hommes. Il était donc probable que tous les membres d'une même unité portaient les mêmes modèles d'armes et d'armure. Après rien ne les empêchait d'améliorer leur équipement, de rajouter des pièces ou de ne pas tout porter, d'acheter ou d'échanger un autre casque etc.

On a donc ici une armure considérée comme relativement légère puisqu'on ne porte pas de casque fermé, de spalières, de bras d'armure complets ou de tassettes. Néanmoins on garde sensiblement plus d'armure que beaucoup de cavaliers légers de l'époque. La tendance est, en effet, à l'allègement des équipements au XVIIe siècle, jusqu'à la disparition des armures au début du XVIIIe siècle (et leur retour à la veille de la Révolution pour la cavalerie lourde). Cette armure est donc un assez bon compromis qui permet de la porter longtemps, de ne pas trop faire supporter de poids au cheval,,de descendre et remonter rapidement en selle, de combattre à pied mais également d'effectuer des charges de cavalerie.

Un exemple luxueux : l'armure d'arquebusier du roi Pierre II de Portugal (après 1683) probablement de fabrication britannique
Armure conservée au MET - image : Wikimedia Commons

Un équipement spécifique aux arquebusiers montés

Cet équipement est donc celui qui équipe les arquebusiers montés. Cette dénomination désigne des cavaliers légers armés d'arquebuses. Notons que, dans une époque où l'on n'éprouve pas autant le besoin de définir précisément les choses on peut également employer le terme "dragons" pour désigner ces soldats. On emploiera plutôt le terme "arquebusiers à cheval" au XVIe S. et dans la première moitié du XVIIe siècle et le termes "dragons" ou "carabiniers" par la suite avec beaucoup de flou entre les deux. Les dragons combattent à l'origine à pied et à cheval, avec des titres et dénominations mélangeant la cavalerie et l'infanterie. À l'étranger beaucoup d'arquebusiers montés sont devenus des carabiniers après le remplacement de l'arquebuse par un fusil à silex à canon court : la carabine.

L'armement de l'arquebusier, et diverses figures d'arquebusiers à cheval - Johann Jacobi von Wallhausen (1634) - Wikimedia commons
On voit ici l'armement d'arquebusiers montés du monde germanique, plus légèrement équipés que les britanniques (pas de dossière ne de gantelet de bride)
 Vous pouvez voir la description des numéros sur le site de la Réunion des Musées Nationaux car la même gravure est conservée au Musée de l'Armée.

Leur nom vient donc, comme on s'en doute, de leur arme : l'arquebuse. Mais l'arquebuse à rouet du XVIIe siècle est bien différente de celle qui armait les troupes des débuts du XVIe. Il s'agit d'une arme à feu relativement légère actionnée par un mécanisme à rouet dérivé des techniques d'horlogerie. C'est donc une arme assez coûteuse, moins puissante que le mousquet, mais qui ne nécessite pas d'être maintenue par une fourquine pour tirer. On peut donc tirer à cheval, ce qui est impossible avec un mousquet. Ainsi, si les autres cavaliers légers étaient armés d'une paire de pistolets (à rouets eux aussi), les arquebusiers portaient une arme à plus longue portée qui, contrairement aux pistolets, à son intérêt également en formation à pied. De plus, comme la main gauche soutien l'arquebuse mais ne tire pas, on peut l'équiper d'un gantelet ce qui est impossible avec une paire de pistolets (puisqu'on ne peut pas tirer au pistolet avec un gantelet). Les arquebusiers complètent leur armement avec une forte-épée de cavalerie équipée le plus souvent d'une garde et d'une coquille protectrices qui permettent de pallier l'absence de gantelet pour protéger la main armée.

Équipement d'arquebusier à cheval britannique avec buffletin, cuirasse et dossière, lobster pot et, bien sûr, gantelet de bride (1631-1670)
Dans les collections du Musée de Leeds ©Royal Armouries

Tactiquement les arquebusiers montés étaient employés, comme le reste de la cavalerie légère, dans la "petite guerre" (raids, escarmouches, pillage, escorte etc.). Sur le champ de bataille ils devaient tirer sur les carrés de piquiers aux formations denses et donc très vulnérables aux tirs. C'est ainsi que les employaient principalement les Français et les Hollandais. Mais, durant la guerre de Trente ans, le roi du Suède Gustave Adolphe remit à l'honneur les charges de cavalerie (années 1630). Cromwell fit de même lors de la Révolution anglaise (1642-1651). Ce dernier recruta massivement des arquebusiers montés qui en virent à constituer la majorité de sa cavalerie. Ainsi, les arquebusiers montés anglais étaient-ils plus lourdement armés que les autres et c'est surtout dans un contexte britannique que l'on retrouve les gantelets de bride. Notons aussi le combat à pied, très pratiqué par les arquebusiers montés et les dragons durant la Guerre de Trente ans. Les dragons "véritables" étaient à l'origine pour une part armés de lances pour la charge ou pour mettre en œuvre d'éventuels formations de piquiers accompagnés d'arquebusiers (comme les fantassins).

Les quatre sortes de cavalerie : N°1 : la lance, N°2 : la cuirasse, N°3 : l'arquebuse, N°4 : le dragon
On remarquera qu'ici l'auteur distingue arquebusiers montés et dragons, ce qui n'est pas toujours le cas ailleurs.
Anonyme allemand - 1616 sur Wikimedia Commons
Voir aussi la notice du Musée de l'Armée sur la même gravure.

Utilisation et possibilités scéniques

Il reste à s'interroger sur l'utilisation de ces équipements. En effet, protéger la main non armée ne semble pas être une priorité dans un combat à l'épée, même monté. À cheval celle-ci tient la bride de l'animal tandis qu'à pied elle est le plus souvent en retrait, ce n'est donc pas la partie du corps la plus exposée aux coups et, quitte à ne porter que des protections partielles, autant protéger d'autres parties du corps plus en danger. Il faut donc que ce gantelet ait une utilité et je n'en vois pas d'autre qu'une utilisation active, principalement en parade. En effet, porté sur un buffletin ou même simplement un vêtement rembourré, il permet très probablement d'arrêter un coup d'épée sans douleur et c'est probablement à cet effet qu'il a été inventer. Avec on peut ainsi parer en opposition ou en déviation tous les coups de taille ou même d'estoc des épées de l'adversaire voire d'autres armes. Parer avec la main non armée permet évidemment une riposte plus rapide avec l'arme, voire simultanée, le principe est le même qu'avec un bouclier, sans les avantage de sa taille et de sa protection passive, mais également sans son encombrement étant donné que le soldat porte déjà une arquebuse. Accessoirement on doit également pouvoir donner des coups de poing violent avec même si on est là dans une utilisation peu orthodoxe.

EDIT : On me signale que les quelques traités de combat à cheval du XVIIe proposent souvent de viser la main de bride et que ce genre de gantelets se retrouve également chez les Hussards ailés de Pologne à la même époque.
 
Une illustration de la parade avec le gantelet dans le film Cromwell de Ken Hugues (1970)
 
Il s'agit évidemment d'une déduction personnelle et je n'ai pas trouvé de preuves formelles de cette utilisation (mais je n'ai pas fait de recherche approfondie non plus). Si vous voyez d'autres possibilités d'utilisation je suis ouvert à vos suggestions mais la parade me semble suffisamment évidente pour être proposée ici. Notons qu'un siècle auparavant, Paulus Hector Mair nous propose une parade du bras gauche dans sa partie sur le combat à cheval en armure.

"Er dir mit seinem Schwert nach deinem gesicht hawt oder sticht, So wirff deinen Stanngenzigel in deinen hagken bey deiner girtel, und nimb Im das ab mit deiner lingken hannd auf dein lingkeseiten,"

"[S]’il te frappe ou t’estoque avec son épée vers ton visage, alors jette ta bride sur le crochet à ta ceinture, et écarte-lui [l’épée] avec ta main gauche sur ton côté gauche."
 
Paulus Hector Mair Opus Amplissimum de Arte Athletica (vers 1540) 50e jeu du combat à cheval
Transcription : Pierre-Henry Bas - Traduction : Thomas Rivière

D'un point de vue scénique cette technique est encore de celles qui surprendra le public qui n'est pas habitué à voir utiliser la résistance des armures. Celui-ci, ne voyant pas d'arme à la main de l'arquebusier, ne pensera probablement pas qu'il peut utiliser son gantelet. De plus, comme la riposte sera plus rapide après une parade, puisqu'on utilise deux armes, cela permet d'accélérer le rythme d'un combat à la broadsword ou aux fortes épées, forcément plus lourdes et plus lentes que des armes plus légères. D'un point de vue du personnage on aura clairement affaire à une escrime peu académique, une escrime de champ de bataille (en même temps, on ne porte pas d'armure dans le civil) ce qui colle bien avec l'image du soldat. Il ne faut pas non plus négliger l'utilisation en coup de poing qui donnera de la violence à une scène de corps à corps même si, le poing étant en acier, il vaut mieux bien répéter et avoir un minimum d'expérience pour tenter ce genre de technique en sécurité.
 
L'armure du roi Jacques II (1686), un autre exemple d'armure d'arquebusier tardive.
À la fin du XVIIe siècle ce type d'armure était à peu près le seul encore porté par des cavaliers
Dans les collection du Musée de Leeds ©Royal Armouries
 
Ajoutons que ces gantelets sont totalement contemporains de l'époque des Mousquetaires du Roi (qui, eux, sont des Mousquetaires montés), époque de prédilection pour les escrimeurs de spectacle. Il est donc facile de les intégrer à ce genre d'histoire. Néanmoins le gantelet de bride semble surtout être répandu chez les Britanniques, il faudra donc un personnage britannique armé en guerre, ou expliquer pourquoi un non britannique en porte (pris au siège de La Rochelle ? Liens avec l'Angleterre ? Échange avec un cavalier anglais). Ajoutons que les premiers gardes du Cardinal (de 1626 à 1631) semblent avoir été des arquebusions montés avant d'être des chevau-légers. L'arquebusier monté, avec une armure plus légère que d'autres cavaliers peut être un bon personnage. Il suppose un peu de condition physique pour supporter l'armure mais comme il ne s'agit pas d'une armure complète elle sera plus facile à supporter (et moins chère à acheter).

Enfin, si cet article traite du gantelet de bride on peut faire remarquer que l'utilisation du bras gauche armuré en parade n'est évidemment pas exclusif de ce type d'équipement. On l'a vu avec le texte de Paulus Hector Mair, n'importe quel avant-bras gauche bien armuré peut remplir cet office et l'on peut donc transposer cela à des époques différentes tant qu'on peut y porter l'armure. À vous de faire preuve d'inventivité !

 ***

Voici donc une arme insolite sympathique et qui, comme toutes les armes insolites que je présente, peut permettre de varier les plaisirs et surprendre votre public. Il sera, en revanche difficile de vous en procurer car je ne crois pas qu'un quelconque fabriquant propose ce gantelet. Néanmoins il est toujours possible de le commander à un artisan (avec l'armure d'arquebusier ?) pour un prix raisonnable.

Quelques références bibliographiques :

Picaud Sandrine, « La “guerre de partis” au XVIIe siècle en Europe », Stratégique, 2007/1 (N° 88), p. 99-144

L'équipement du cavalier à Rocroi sur le site du Ministère des armées

Cavalry roles sur le site du National Army Museum

LaRocca, Donald J.An English Armor for the King of Portugal.” Metropolitan Museum Journal, vol. 30, 1995, pp. 81–96. JSTOR

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