Nous allons parler ici, pour la première fois dans cette rubrique, d'une arme défensive et plus spécifiquement d'un élément d'armure du XVIIe siècle qui m'avait beaucoup intrigué quand je l'avais vu pour la première fois : le gantelet de bride. Ce terme est une traduction personnelle du terme "bridle gauntlet" qui, avec "elbow gauntlet" désigne cette pièce d'armure. Je n'ai pas trouvé le terme utilisé dans le monde francophone, ni de meilleure traduction d'ailleurs, donc si vous connaissez le bon terme n'hésitez pas à me le dire, je corrigerai.
Logiquement nous allons donc nous pencher sur l'objet en lui-même, son contexte d'utilisation avant de se demander ce qu'on peut faire avec.
Gantelet de bride (Bridle gauntlet) dans les collections du National Army Museum (1645) |
Une pièce accessoire d'une armure "légère"
Si d'ordinaire les gantelets d'armure vont toujours par paire, pratiquement tous les gantelets de bride que nous connaissons sont des gantelets gauches. Leur forme est également très spécifique puisque ces gantelets vont de la main jusqu'au coude, incluant tout l'avant-bras. Certains ont des protections pour les doigts, d'autres semblent les avoir perdus ou n'en avoir jamais eu. Ils protègent donc toute la main et l'avant-bras et en ce sens ce sont aussi bien des canons d'avant-bras que des gantelets. La majorité d'entre eux sont des armures dites "de munition", c'est à dire fabriquées en série dans des manufactures mais on a également l'exemple de l'armure du roi Pierre II de Portugal (1648-1706, règne à partir de 1683).
Gantelet de bride d'origine germanique conservé au MET (XVIe S.) |
Ces gantelets ne se portaient jamais seuls et faisaient partie d'un type d'armure légère dire armure d'arquebusier, portées par les soldats du même nom. Cette armure comprenait au minimum une cuirasse, pas toujours à l'épreuve du mousquet et un casque ouvert (lobster pot de type britannique mais aussi bourguignotte voire des casques d'infanterie comme le cabasset). On pouvait porter cela sur un buffletin et y ajouter une dossière, un colletin ainsi que ce fameux gantelet de bride. Pour les armures du XVIIe siècle je vous renvoie à mon article sur le sujet. Pour les soldats d'une unité militaire, c'est le chef de l'unité, celui qui avait acheté sa charge d'officier qui était en charge d'équiper ses hommes. Il était donc probable que tous les membres d'une même unité portaient les mêmes modèles d'armes et d'armure. Après rien ne les empêchait d'améliorer leur équipement, de rajouter des pièces ou de ne pas tout porter, d'acheter ou d'échanger un autre casque etc.
On a donc ici une armure considérée comme relativement légère puisqu'on ne porte pas de casque fermé, de spalières, de bras d'armure complets ou de tassettes. Néanmoins on garde sensiblement plus d'armure que beaucoup de cavaliers légers de l'époque. La tendance est, en effet, à l'allègement des équipements au XVIIe siècle, jusqu'à la disparition des armures au début du XVIIIe siècle (et leur retour à la veille de la Révolution pour la cavalerie lourde). Cette armure est donc un assez bon compromis qui permet de la porter longtemps, de ne pas trop faire supporter de poids au cheval,,de descendre et remonter rapidement en selle, de combattre à pied mais également d'effectuer des charges de cavalerie.
Un exemple luxueux : l'armure d'arquebusier du roi Pierre II de Portugal (après 1683) probablement de fabrication britannique Armure conservée au MET - image : Wikimedia Commons |
Un équipement spécifique aux arquebusiers montés
Cet équipement est donc celui qui équipe les arquebusiers montés. Cette dénomination désigne des cavaliers légers armés d'arquebuses. Notons que, dans une époque où l'on n'éprouve pas autant le besoin de définir précisément les choses on peut également employer le terme "dragons" pour désigner ces soldats. On emploiera plutôt le terme "arquebusiers à cheval" au XVIe S. et dans la première moitié du XVIIe siècle et le termes "dragons" ou "carabiniers" par la suite avec beaucoup de flou entre les deux. Les dragons combattent à l'origine à pied et à cheval, avec des titres et dénominations mélangeant la cavalerie et l'infanterie. À l'étranger beaucoup d'arquebusiers montés sont devenus des carabiniers après le remplacement de l'arquebuse par un fusil à silex à canon court : la carabine.
site de la Réunion des Musées Nationaux car la même gravure est conservée au Musée de l'Armée.Leur nom vient donc, comme on s'en doute, de leur arme : l'arquebuse. Mais l'arquebuse à rouet du XVIIe siècle est bien différente de celle qui armait les troupes des débuts du XVIe. Il s'agit d'une arme à feu relativement légère actionnée par un mécanisme à rouet dérivé des techniques d'horlogerie. C'est donc une arme assez coûteuse, moins puissante que le mousquet, mais qui ne nécessite pas d'être maintenue par une fourquine pour tirer. On peut donc tirer à cheval, ce qui est impossible avec un mousquet. Ainsi, si les autres cavaliers légers étaient armés d'une paire de pistolets (à rouets eux aussi), les arquebusiers portaient une arme à plus longue portée qui, contrairement aux pistolets, à son intérêt également en formation à pied. De plus, comme la main gauche soutien l'arquebuse mais ne tire pas, on peut l'équiper d'un gantelet ce qui est impossible avec une paire de pistolets (puisqu'on ne peut pas tirer au pistolet avec un gantelet). Les arquebusiers complètent leur armement avec une forte-épée de cavalerie équipée le plus souvent d'une garde et d'une coquille protectrices qui permettent de pallier l'absence de gantelet pour protéger la main armée.
Équipement d'arquebusier à cheval britannique avec buffletin, cuirasse et dossière, lobster pot et, bien sûr, gantelet de bride (1631-1670) Dans les collections du Musée de Leeds ©Royal Armouries |
Tactiquement les arquebusiers montés étaient employés, comme le reste de la cavalerie légère, dans la "petite guerre" (raids, escarmouches, pillage, escorte etc.). Sur le champ de bataille ils devaient tirer sur les carrés de piquiers aux formations denses et donc très vulnérables aux tirs. C'est ainsi que les employaient principalement les Français et les Hollandais. Mais, durant la guerre de Trente ans, le roi du Suède Gustave Adolphe remit à l'honneur les charges de cavalerie (années 1630). Cromwell fit de même lors de la Révolution anglaise (1642-1651). Ce dernier recruta massivement des arquebusiers montés qui en virent à constituer la majorité de sa cavalerie. Ainsi, les arquebusiers montés anglais étaient-ils plus lourdement armés que les autres et c'est surtout dans un contexte britannique que l'on retrouve les gantelets de bride. Notons aussi le combat à pied, très pratiqué par les arquebusiers montés et les dragons durant la Guerre de Trente ans. Les dragons "véritables" étaient à l'origine pour une part armés de lances pour la charge ou pour mettre en œuvre d'éventuels formations de piquiers accompagnés d'arquebusiers (comme les fantassins).
Les quatre sortes de cavalerie : N°1 : la lance, N°2 : la cuirasse, N°3 : l'arquebuse, N°4 : le dragon On remarquera qu'ici l'auteur distingue arquebusiers montés et dragons, ce qui n'est pas toujours le cas ailleurs. Anonyme allemand - 1616 sur Wikimedia Commons Voir aussi la notice du Musée de l'Armée sur la même gravure. |
Utilisation et possibilités scéniques
EDIT : On me signale que les quelques traités de combat à cheval du XVIIe proposent souvent de viser la main de bride et que ce genre de gantelets se retrouve également chez les Hussards ailés de Pologne à la même époque.
"Er dir mit seinem Schwert nach deinem gesicht hawt oder sticht, So wirff deinen Stanngenzigel in deinen hagken bey deiner girtel, und nimb Im das ab mit deiner lingken hannd auf dein lingkeseiten,"
"[S]’il te frappe ou t’estoque avec son épée vers ton visage, alors jette ta bride sur le crochet à ta ceinture, et écarte-lui [l’épée] avec ta main gauche sur ton côté gauche."Paulus Hector Mair Opus Amplissimum de Arte Athletica (vers 1540) 50e jeu du combat à cheval
Transcription : Pierre-Henry Bas - Traduction : Thomas Rivière
Enfin, si cet article traite du gantelet de bride on peut faire remarquer que l'utilisation du bras gauche armuré en parade n'est évidemment pas exclusif de ce type d'équipement. On l'a vu avec le texte de Paulus Hector Mair, n'importe quel avant-bras gauche bien armuré peut remplir cet office et l'on peut donc transposer cela à des époques différentes tant qu'on peut y porter l'armure. À vous de faire preuve d'inventivité !
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Voici donc une arme insolite sympathique et qui, comme toutes les armes insolites que je présente, peut permettre de varier les plaisirs et surprendre votre public. Il sera, en revanche difficile de vous en procurer car je ne crois pas qu'un quelconque fabriquant propose ce gantelet. Néanmoins il est toujours possible de le commander à un artisan (avec l'armure d'arquebusier ?) pour un prix raisonnable.
Quelques références bibliographiques :
Picaud Sandrine, « La “guerre de partis” au XVIIe siècle en Europe », Stratégique, 2007/1 (N° 88), p. 99-144
L'équipement du cavalier à Rocroi sur le site du Ministère des armées
Cavalry roles sur le site du National Army Museum
LaRocca, Donald J. “An English Armor for the King of Portugal.” Metropolitan Museum Journal, vol. 30, 1995, pp. 81–96. JSTOR
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