Le nouveau règlement des championnats du Monde d'escrime artistique comprend désormais une épreuve, qui a surpris tout le monde et qui s'intitule "leçon d'escrime". Elle est surprenante dans le sens qu'il s'agit de la mise en scène d'une leçon d'escrime sportive au fleuret, à l'épée ou au sabre, du moins c'est l'aspect technique qui est noté. Je n'émettrai pas ici de jugement sur cette nouveauté (même si je suis un peu sceptique avouons-le) car ce n'est pas de cela que nous allons parler ici. Une analyse de cette nouvelle règlementation et de ses conséquences est en cours et le Baron planche actuellement dessus, cela sera l'objet d'un prochain article.
Leçon d'escrime donnée par Silvio Forel à Arya Stark dans la première saison de Game of Thrones (2011) |
Le Bourgeois Gentilhomme nous présente une leçon d'escrime comique. Ici la version du téléfilm de Pierre Badel réalisé en 1968 pour l'ORTF (la leçon est à 27:44)
Un maître, un élève, des archétypes
Parlons d'abord des personnages : il y a forcément un Maître, presque toujours nommé "Maître d'armes" et un élève et souvent leurs caractères et attitudes sont nous dirons quelque peu... convenues !
Le Maître est presque toujours très talentueux et exigeant envers ses élèves, quand il n'est pas complètement caractériel ! Il rabroue facilement son élève, proteste que ce n'est pas ainsi que l'on fait et que celui-ci ne sait rien. Quelle que soit la durée de la leçon, que ce soit quelques minutes dans un film ou un pièce (ou durant plusieurs épisodes de série ou presque toute la durée d'un film il y a presque toujours un moment où il s'emporte contre son élève pour blesser celui-ci dans son orgueil et le faire réagir.
Notons toutefois des variations dans le style des Maîtres d'Armes. Le classique est caractériel et cabotineur, directement issu du Bourgeois Gentilhomme qui a probablement inspiré cet archétype. Un archérype en fait assez proche de celui du Matamore de la Comedia dell'Arte. Ici le Maître d'Armes est clairement imbu de lui-même, sûr de lui et autoritaire. D'autres variantes peuvent le présenter comme plus fantasque et moins autoritaire comme Silvio Forel dans la série Game of Thrones. On peut également en voir, plus rarement, de plus calmes comme dans l'excellent film The Fencer. L'exemple le plus original est peut-être la Maître d'Armes glamour et sexy incarnée par Madonna dans le James Bond Meurs un autre jour, même si elle ne donne pas de leçon...
La Maître d'Armes Verity jouée par Madonna dans le James Bond Meurs un autre jour (2002) |
Une chose semble certaine cependant : la compétence du Maître. Même dans un registre comique je n'ai pas souvenir d'en avoir vu de présentés comme incompétents, une chose semble certaine : il connaît son escrime. De même sa pédagogie, même si elle peut sembler étrange (dans un registre hors de l'escrime mention spéciale à M. Miyagi dans le film Karate Kid), finit toujours par fonctionner. À la fin de la leçon ou des leçons si il s'agit d'une série ou d'un film, l'élève a progressé et devient doué. Ce n'est cependant pas toujours vrai dans un registre comique où la nullité en tout de l'élève peut être le ressort comique de la pièce ou du film et où, du coup, il n'arrivera à rien. Ajoutons également que le Maître d'Armes est souvent plus qu'un simple professeur d'escrime, dans beaucoup d’œuvres il est également un mentor auquel l'élève se réfère. Il lui dispense un enseignement moral ou est l'adulte de confiance en dehors des parents auquel on peut se confier. Il va facilement jouer, pour les personnages masculins, le même rôle que la nurse pour les riches héritières.
L'élève est mis en échec par le Maître qui lui démontre son talent mais on voit aussi qu'il est un tiers de confiance.
L'élève justement est, quant à lui, en position d'apprentissage (sinon il ne serait pas élève me direz-vous). Un point commun : il s'agit presque toujours d'un jeune et le plus souvent d'un enfant ou d'un adolescent. Les adultes qui prennent des leçons d'escrime semblent une anomalie et appartiennent en général au registre comique (Molière là encore mais aussi la série Kaamelot). C'est assez logique puisque la jeunesse est l'époque de l'apprentissage et que beaucoup arrêtaient de pratiquer régulièrement l'escrime une fois leur éducation achevée (pour reprendre en hâte des leçons avant un duel). De par sa jeunesse l'élève est donc aussi plus ou moins ignorant. Il peut être totalement novice ou déjà entraîné. En ce cas il doit franchir un palier supplémentaire mais ne le sait pas encore et le Maître devra le lui faire comprendre. Cela se termine souvent par l'élève qui dépasse le Maître.
Il arrive souvent que la leçon d'escrime intervienne en début d'histoire avec un héros tout juste adulte qui alors fait jeu égal ou bat son Maître d'Armes avec, en sous-titre l'idée que ce dernier n'a plus rien à lui apprendre. Ce genre de scène permet de poser le héros comme un combattant bien entraîné et doué, et si ensuite le grand méchant tue le Maître d'Armes cela posera aussi celui-ci comme un adversaire redoutable. Ainsi l'élève définit son niveau par rapport au Maître d'Armes, il est soit moins fort soit plus fort (ou aussi fort) que ce dernier ce qui donne donc le message au spectateur.
Quant au caractère de l'élève il peut varier : être très appliqué ou au contraire rebelle ou rétif à la méthode du Maître. Très souvent, dans des univers sexistes (et le nôtre l'est encore très largement), les jeunes filles sont souvent volontaires et opiniâtres, opiniâtreté qui finit par convaincre le Maître de revenir sur son refus de les entraîner. Dans tous les cas il devra évoluer un peu, l'enseignement des armes se doublant le plus souvent d'un perfectionnement moral et d'une progression vers l'âge adulte. C'est parfois encore plus fort quand l'élève est l'enfant du Maître qui finit par accepter ou recueillir l'héritage familial.
La leçon d'escrime dans Le Cygne (1956), avec une élève appliquée et gracieuse, ici la leçon d'escrime sert surtout à poser les personnages et la relation qui se noue entre eux.Des armes mouchetées et un déroulement prévisible
Gladiateurs à l'entraînement avec des armes en bois dans la série Spartacus (2010-2013) |
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J'espère avoir ci relevé les éléments clefs qui pourront voue permettre de monter sur une scène (ou un plateau) ce type de représentation d'escrime très particulière qu'est une leçon d'escrime. La leçon d'escrime s'inscrit souvent dans une histoire plus large, soit une histoire d'apprentissage, soit elle est là pour poser un personnage : un ou une aristocrate qui reçoit son éducation, un jeune héros qui veut progresser etc. Elle est souvent l'occasion d'éléments comiques ou du moins légers en s'amusant des erreurs de l'élève ou du caractère fantasque du Maître d'Armes. Prise isolément il faut qu'elle réussisse à raconter quand même une histoire tout en respectant un certain de nombre de codes convenus auquel s'attend le public (même si on peut toujours le surprendre en enfreignant une ou deux règles mais pas plus). Le choix du comique n'est donc vraiment pas à négliger, sinon il faudra réussir à faire progresser l'élève sur une scènette de quelques minutes ce qui n'est pas gagné. Rajouter des personnages peut probablement faciliter les choses mais tout cela sera à voir par vous ! À vos fleurets donc !
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