dimanche 4 août 2019

La salle des gardes du château

C'est un article un peu hors sujet puisqu'il ne parlera pas d'escrime mais simplement de ceux qui la pratiquaient. C'est l'été, les vacances pour beaucoup d'entre nous et comme vous êtes probablement des passionnées et des passionnés d'Histoire je suis sûr que vous insistez auprès de votre famille ou de vos amis pour visiter des châteaux ! Cet article vous permettra d'étaler un peu plus votre savoir sur ces fameuses pièces notées "Salle des gardes" dans ces châteaux.

Comme moi vous l'avez sans doute beaucoup vu sans savoir très bien quelle réalité cela recouvrait. Eh bien comme je viens récemment de le comprendre, je me suis dit que je pourrais utilement partager l'information avec vous !

Grande salle des gardes du château de Compiègne (fin XVIIIe siècle)
© RMN-Grand Palais / Daniel Arnaudet.

Les gardes personnelles à l'époque moderne

Si les armée féodales ont disparu entre le XIIIe et le XIVe siècle les grands seigneurs et les rois ont continué d'avoir une suite armée autant pour les protéger que pour montrer leur puissance. Ces gardes, pas forcément très nombreux (quelques dizaines sauf pour les grands monarques) étaient intégrés à la maison de ces rois, princes et seigneurs. La maison étant tout le personnel permettant de faire fonctionner les cours de ces Princes, itinérants en grande partie jusqu'au XVIIIe siècle. Plusieurs ordonnances d'Henri III et de Louis XIII ont interdit la possession de gardes, mais le fait que ces ordonnances soient répétées montre qu'elles étaient difficiles à faire appliquer, surtout dans des temps troublés (comme les Guerres de religion par exemple).

Les gardes assuraient un double rôle de protection et de représentation, l'importance de ces rôles a varié en fonction des époques et des circonstances historiques (ainsi après les assassinats d'Henri III en 1574 et d'Henri IV en 1610 le rôle de protection a considérablement augmenté). Ils accompagnaient ainsi leur maître en voyage, à la chasse et en public. La plupart des gardes montées étaient constituées de nobles et c'était même souvent un grand honneur que d'être garde du roi de France ou d'Espagne. En revanche les gardes à pieds étaient des roturiers et même souvent des étrangers (Écossais et Suisses pour la France, Allemands pour l'Espagne) réputés plus fiables car en dehors des intrigues de cour. Le capitaine des gardes du corps du Roi représentait celui-ci dans certaines circonstances, notamment la réception d'ambassadeurs.

Arrivée de Louis XIV précédé des gardes du corps en vue de l'ancien château de Versailles en 1669Adam Frans Van der Meulen (1632 - 1690)
Photo (C) RMN-Grand Palais (Château de Versailles) / Gérard Blot
Les rois les plus puissants avaient plusieurs unités de gardes à leur service. Ainsi à l'époque de Charles Quint (Charles Ier d'Espagne) le monarque était protégé par les Archers du Corps (Gardes du Corps), la Garde espagnole, la Garde allemande et les Monteros de Espinosa (chargés de la garde de nuit). De même, la garde de l'intérieur du souverain français (ceux situés à l'intérieur du palais) est fixée en quatre corps à la même époque par François Ier : Les gardes du corps, unité de cavalerie (organisée en quatre compagnies, une écossaise et trois françaises), les gardes de la porte, unité à pieds chargée de la garde des portes intérieures du palais pendant la journée, les gardes de la prévôté, unité à pieds chargée de la police à la cour ainsi que les Cent-Suisses, unité d'infanterie d'élite composée de soldats suisses.

Garde de la Manche (époque de Louis XV) par Charles Dominique Joseph Eisen (1720 - 1778)
Ces gardes du corps, au nombre de vingt-cinq se tenaient en permanence aux côtés du roi et escortaient sa nourriture pour prévenir tout empoisonnement. C'était le niveau le plus élevé dans la hiérarchie des gardes.
Photo (C) RMN-Grand Palais (Château de Versailles) / Gérard Blot

Les monarques français suivants ont développé ce qui s'est ensuite appelé la "Maison militaire du Roi" en y intégrant et transformant les anciennes compagnies d'ordonnance et en créant de nouveaux corps : gardes françaises (infanterie crée en 1560), chevau-légers de la garde (cavalerie légère, remplacent en 1593 les gentilshommes à bec de corbin),  gendarmes de la garde (cavalerie lourde crée en 1609), gardes suisses (infanterie, crées en 1616) et mousquetaires du roi (créés en 1622). Ces unités militaires constituent une élite qui accompagne le roi à la guerre et dans nombre de ses déplacements. Ces troupes constituaient vers 1625, un corps de 6000 à 7000 hommes, une véritable armée !

Les Princes et les gens important avaient eux aussi leurs gardes. La famille royale d'abord (Anne de Bretagne avait pour la garder une garde constituée de 300 gentilshommes bretons), mais aussi d'autres Princes et nobles. Ainsi le Cardinal de Richelieu obtint le droit d'avoir des gardes. En 1626 il obtient le droit (pour sa sécurité surtout) d'être escorté par cinquante cavaliers et en 1631 il obtient une véritable maison militaire avec 100 gendarmes (employés presque exclusivement à la guerre), 120 chevau-légers (c'est ce corps qui constitue les fameux "Gardes du Cardinal" des romans et des films) et, en 1634, des mousquetaires à pied (donc non nobles). En 1636 il finit par avoir près de 3000 hommes à son service, véritable armée privée. En plus de sa protection il emploie ses gardes pour des missions d'espionnage.

L'armement des gardes n'a pas vraiment différé de l'armement des militaires de leur époque : armure de plus en plus légère, forte-épée et pistolets pour les cavaliers, arquebuse, mousquet puis fusil pour les fantassins ou arme d'hast (les piques étaient mal adaptée à la fonction de garde) avec une épée d'infanterie. Il y a cependant une exception pour les intérieurs et notamment la fameuse salle des gardes où les armes d'hast honorifiques et surtout les pertuisanes ont été employées continuellement. De nos jours la garde pontificale porte encore la hallebarde lors des cérémonies ! Les armes des gardes des plus puissants souverains étaient abondamment décorées et il nous en reste énormément dans les collections d'armes.
Garde pontificale en 2006 armés de hallebardes de cérémonie
photo : Alberto Luccaroni (sur Wikimedia commons)

De la "Salle" à la "Salle des gardes"

L'origine de l'organisation des palais et châteaux est à chercher dans celle de la maison noble médiévale des XIVe et XVe siècle. Dans ces logis l'étage noble, celui du Prince ou de seigneur est toujours le premier étage, probable héritage des donjons des forteresses médiévales dont l'entrée se situait toujours à l'étage pour des raisons de défense. Les appartements du maître des lieux consistaient toujours en une grande salle et une chambre. La chambre servait à dormir mais également à recevoir en privé, à travailler ou à se divertir en petit comité. En revanche la salle était un lieu public où l'on dînait, on recevait, on rendait la justice, apparaissait en public etc.

À partir du milieu du XVIe siècle la tendance est, chez les souverains européens (sauf français), à vivre de façon privée et à limiter les apparitions publiques pour en faire des moments importants au cérémoniel grandiose. Ils cherchent également à se protéger des sollicitations incessantes de leurs courtisans pour garder un peu d'intimité. Les souverains multiplient ainsi les obstacles entre la salle et la chambre en ajoutant pièces. Les appartements constituent ainsi des enfilades de pièces (sans couloir puisqu'il s'agit du logement d'une seule personne et de sa suite). Ils adoptent d'abord l'antichambre, puis vient une seconde antichambre, un cabinet et d'autres pièces spécialisées dont une bonne partie viennent de l'influence des palais italiens. Plus l'on avance, plus l'accès à certaines pièces est restreint et plus il est honorable de pouvoir y accéder ! L'augmentation du nombre pièces tend également à leur spécialisation et à l'étalage de décorations ostentatoires.

Les rois de France suivent ce mouvement mais, contrairement aux autres Princes européens, ils continuent de vivre en public au milieu des nobles et l'accès à la plupart des pièces n'est pas restreint quand le souverain n'y est pas. Un roi comme Louis XIV supprime le peu d'intimité que l'étiquette lui laissait. Au XVIIIe siècle certaines coutumes de la cour de France comme de recevoir sur chaise percée ou de manger avec les doigts (sans fourchette) sont même en décalage avec les coutumes de la vie décente. En conséquence, si les rois de France multiplient également les espaces ils n'en ont jamais eu autant que les autres souverains d'Europe.

Évidemment, les grands nobles puis les plus petits suivent tant qu'ils le peuvent l'exemple de leurs souverains dans l'organisation de leurs résidences

Tableau comparatif de la distribution des appartements royaux dans les palais européens
Hugh Murray Baillie : "L’étiquette et la distribution des appartements officiels dans les palais baroques" dans le  Bulletin du Centre de recherche du château de Versailles 1967/2014

La Salle, espace au départ généraliste destiné à toutes les activités publiques reste le premier espace par lequel on entre, celui où se tiennent les gardes avec leurs pertuisanes. Puisque c'est là que se tiennent les gardes il prend, au XVIIème siècle, le nom de "salle des gardes". C'est là que les gardes protègent leur maître des indésirables et même que certains d'entre eux passent la nuit sur des paillasses.

Il s'agit presque toujours de la plus grand pièce du palais ou du château. En dehors des très grands palais elle est souvent commune aux appartements des deux époux. En cas d'appartements doubles il arrive qu'on la trouve au rez-de-chaussée mais la plupart du temps elle se situe au premier étage du logis. Dans les très grands châteaux comme Versailles on trouve plusieurs salles des gardes pour le roi ainsi qu'une pour tous ceux qui ont le droit d'avoir leurs gardes au château (reine, dauphin et même frère du roi et parfois d'autres). C'est évidemment un immense honneur que d'avoir sa propre salle des gardes dans la résidence royale !

Comme il s'agit de la plus grande pièce de la demeure c'est là qu'on y tient toutes les cérémonies publiques où l'on veut rassembler le plus grand monde possible comme les lites de justice ou l'exposition du tombeau de souverain décédé. Sa taille est également adaptée à la tenue de banquets, de grands bals (les plus petits se donnent dans l'antichambre) ou à la représentation de spectacles ou de pièces de théâtre. En cas d'appartement doubles l'une des salles sert au banquet tandis que l'autre (celle du rez-de-chaussée mais parfois c'est l'inverse) sert au bal. La salle des gardes conserve ainsi une bonne partie de l'aspect multifonctionnel de l'ancienne grande salle médiévale.

La salle des Cariatides du Louvre (ancienne salle des gardes) réaménagée en salle de théâtre pour la représentation donnée en l’honneur du tricentenaire de la naissance de Molière le 18 janvier 1922. Fonds Aulanier © Musée du Louvre/Histoire du Louvre

Au niveau de la décoration, la salle des gardes est souvent une des parties les moins décorées des appartements même si il faut la juger en fonction de la richesse du propriétaire (la salle des Caryatides du Louvre reste impressionnante). Seul le salon de Mars à Versailles, salle des gardes éphémère, a bénéficié d'une décoration thématique. L'ameublement rarement décrit est léger : surtout des bancs, quelques commodes. C'est une pièce assez vide qui impressionne d'abord par ses dimensions et peut servir à tout.

Grande Salle voûtée du château de Montal et ancienne salle des gardes
© David Bordes / Centre des monuments nationaux


Le corps de garde, l'autre salle des gardes

On ne trouve de salle des gardes que dans les résidences royales destinées à recevoir du public et non dans les résidences de chasse ou d'agrément. On trouve également nombre de château où la salle des gardes est située au rez-de-chaussée près des communs. Ces espaces sont nommés eux-aussi "salle des gardes" même si, pour nous, gens du XXIe siècle qui aimons les définitions précises il serait plus correct de parler de "corps de garde".

Corps de garde - Nicolas Guérard (1648 - 1719)
Photo (C) Paris - Musée de l'Armée, Dist. RMN-Grand Palais / Christian Moutarde


 Le Reniement de saint Pierre dans un corps de garde avec des joueurs de cartes David Teniers (1610 - 1690)
dans les collections du Musée du Louvre
Dans une garnison ou une résidence à protéger le corps de garde est le lieu où vivent les gardes qui ne sont pas en service direct à ce moment. Ils s'y tiennent en réserve, prêts à intervenir (il faut ainsi, à l'époque des mousquets, toujours disposer de feu et de mèches pour être prêt à tirer), ils y passent le temps également en jouant ou en fumant. Nous avons de nombreux tableaux représentant les gardes oisifs passant le temps au milieu de leurs armes.

Plan du rez-de-chaussée du château de Bellevue (Meudon) vers 1760 (aujourd'hui en ruines), la salle des gardes permet de surveiller le vestibule et les entrées mais n'a aucune fonction de salle officielle.


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J'espère vous avoir éclairé sur l'organisation des châteaux et plus particulièrement celle des salles de gardes. Sur ce je vous souhaite de bonnes visites et peut-être que cela vous donnera des idées de scénarios !


Bibliographie utilisée pour cet article :

Marina VIALLON "La salle des gardes dans les résidences royales françaises" Bulletin du Centre de recherche du château de Versailles - 2014

Hugh MURRAY BAILLIE : "L’étiquette et la distribution des appartements officiels dans les palais baroques" dans le  Bulletin du Centre de recherche du château de Versailles 1967/2014

Bertrand JESTAZ "Étiquette et distribution intérieure dans les maisons royales de la Renaissance". In: Bulletin Monumental, tome 146, n°2, année 1988. pp. 109-120 ;

Sophie JUGIE. "Les appartements de Philippe le Bon et de Charles le Téméraire et la distribution intérieure de l'hôtel des ducs de Bourgogne à Dijon." In: Bulletin de la Société Nationale des Antiquaires de France, 2009, 2012. pp. 70-88

José Eloy HORTAL MUNOZ "Les gardes royales des monarques Habsbourg hispaniques et l’étiquette : la lutte pour la proximité avec le souverain"  Bulletin du Centre de recherche du château de Versailles 2017

"Les Gardes du Cardinal", sur le site Le Monde de d'Artagnan 2007 (?)