mardi 19 mars 2019

Par pitié, mettez de l'intention dans vos actions !


Vous allez dire que je critique encore même si vous devez commencer à avoir l'habitude. Donc voilà, râlons sur ces combats mous que l'on voit trop souvent, ces visages trop inexpressifs, ces gestes trop mécaniques ou avec trop peu de conviction. Bref, je vais râler ici sur le manque d'intention dans les gestes et les expressions et donc vous inciter à vous améliorer sur ce point.

Par "intention" je désigne ici les gestes qui font que le public a l'impression que le coup est donné, que le combat est engagé et qu'on n'est pas là dans une simple démonstration technique.

Cet article est le premier écrit en collaboration avec le Baron Sigognac qui s'est chargé de donner quelques conseils techniques que je lui avais demandés.

Scène tirée du film Le sang des Templiers (Ironclad) de 2011, la furie du combat transparait sur les visage des acteurs

Il faut vraiment mettre de l'intention

Par le Capitaine Fracasse

À la vérité il y a très peu de raisons de ne pas mettre de l'intention dans un combat de spectacle. Pourtant ce n'est pas toujours ce qu'on observe. Cette première partie a pour objectif de vous démontrer l'importance de l'intention.

Une nécessité pour "faire vrai"...

En escrime de spectacle, nous représentons un combat armé, les gens veulent s'y tuer ou au moins s'y blesser gravement, et même dans un combat à armes neutralisées on veut gagner. La tension est extrêmement forte, les corps nerveux, les visages crispés... Lorsque l'on frappe on y met de l'énergie, cela doit être rapide, vif, éventuellement violent si il s'agit d'un coup de taille. C'est ce que l'on ressent des quelques vidéos de duels au premier sang qui nous restent, je n'ose imaginer lors d'un duel à mort, une agression ou à la guerre. Mettre de l'intention c'est donc indispensable pour faire vrai, pour qu'on y croit.

Duel en 1913 entre deux Martiniquais : le député Joseph Lagrosilliere et le Jules Liontel, président honoraire de la Cour d'appel (voir l'article du Figaro de l'époque ici)
On sent bien la tension et la concentration dans les actions ainsi que l'intention dans les attaques

...Mais aussi dans les combats non réalistes

On pourrait m'opposer le fait que tous les combats de spectacle n'ont pas vocations à être réalistes et on aurait raison. Malgré tout cela n'empêche nullement qu'il est toujours utile de donner de l'intention. Comme je l'écrivais déjà dans mon article sur l'escrime artistique et l'escrime historique "dans le doute on devrait partir d’une base réaliste qu’on arrange en fonction de l’objectif". Cela signifie qu'il est le plus souvent intéressant de mettre de l'intention dans les combats à destination comique ou esthétique ou même symbolique. Dans un combat spectaculaire (quelque chose qui s'inspirerait des films de Hong Kong par exemple) il faut évidemment autant d'intention que dans un combat réaliste, voir un peu plus puisque tout doit être exagéré. Dans un combat burlesque on exagérera également les intentions jusqu'à les rendre souvent ridicules, le méchant sera extrêmement énervé et singera la brutalité. Cela sera toujours mieux si le public croit qu'il va vraiment donner le coup plutôt que de le voir simplement mimer mollement un coup énorme auquel personne ne croit. Dans un combat à visée esthétique ou symbolique il est possible de minimiser un peu l'intention, néanmoins, un minimum d'impression que l'escrimeur a envie de donner le coup est indispensable pour que cela ne ressemble pas juste à une chorégraphie réglée comme une horloge (sauf si c'est absolument le but évidemment). On peut donc admettre quelques exceptions mais gardez à l'esprit que la norme doit être de mettre de l'intention dans tous les types de combat.

Dans le film de Mel Brooks Sacré Robin des Bois (1993) le shérif de Rottengham exagère outrageusement son intention de tuer, Robin lui, au contraire est détendu mais porte des coups crédibles.

L'intention change tout le combat

L'action visuelle de l'intention mise dans les gestes est extrêmement efficace sur un combat. Le combat peut être simple ou même lent, il changera complètement de visage si on y met de l'intention. N'oubliez pas que le public veut voir un spectacle, il veut voir des gens qui essaient de se tuer ou de se blesser gravement. Vous pouvez faire les plus subtiles passes d'armes sans aucun jeu ni aucune intention, elles auront moins de succès qu'un combat simple où l'on a vraiment l'impression que les gens ont envie de se tuer. Allez voir les vidéos des galas d'arts martiaux pour vous en convaincre, la technique est belle mais on ne ressent rien, parce que ce n'est pas joué (ce n'est pas le but là d'ailleurs). On peut tout à fait mettre de l'intention dans un combat lent (parce que pas encore bien maîtrisé par manque de répétitions), vous verrez qu'il pourra quand même être présenté à un public qui sera plus indulgent parce qu'il voit qu'il pourra ressentir quelque chose.

 Dans ce combat, tiré du film King Rising - Au nom du roi (2009), les coups sont très basiques et la chorégraphie très classique. Mais l'intention et l'énergie que mettent les acteurs transforme ce combat en quelque chose de bien.

Quelques conseils pour donner de l'intention

Par le Baron de Sigognac.

— C’est à moi ?
— Oui, oui, assez rêvassé et au boulot. Allez hop ! Que je me repose !
— Ça va ! Ça va, pas la peine de pousser. Et puis je n’ai pas pris mon cognac, moi… D’accord ! J’y vais ! J’y vais !

Bonjour, à tous, je me présente. Baron de Sigognac pour vous servir ( ou pas ). J’interviendrais de temps à autres au sein des articles de mon confrère. Peut être même, rédigerais un article complet.
L’espoir fait vivre…

Vous vous attendez, sans doute, que je vous livre quelques « secrets » pour améliorer vos intentions. Non ? Bon ben, tant pis. Je l’avais bien dit à l’autre gus que ça ne servait à rien! Bref, je vous donne rendez vous à la fin de l’article.

Vous êtes encore là ?

Ma foi ! Allons y tant qu’à faire.

Vous l’avez compris, le sujet est vaste. Trop vaste pour ces quelques paragraphes ou pour un seul article.
L’intention répond à des objectifs déterminés et mêle allégrement techniques d’escrimes et scéniques. Par choix, je me concentrerai aujourd’hui sur l’escrime, dont deux de ces aspects : le regard et l’accélération.

Le regard

Parfois mis de côté, le regard constitue pourtant un pan important de l’intention dans un combat.

Les escrimeurs sportifs connaissent ce problème. Se focaliser sur son arme ou la cible qu’on veut atteindre nuit rapidement au tireur : son relâchement, sa confiance en soi et en son corps, la précision de son geste, sa sensibilité aux feintes et provocations adverses…
A contrario, fixer son adversaire dans les yeux ( ou du moins son front pour les plus timides ) permet de solliciter la vision périphérique ; offrir une vision beaucoup plus large qui n’apporte que des avantages, dont celui d’imposer sa présence à son adversaire. Ne parlons même pas du fait qu’il est difficile de se défendre d’une offensive ou contre-offensive que l’on ne voit pas.
Dans le cadre de mon enseignement, je ne compte plus le nombre de fois où je tonne : « Ne regarde plus la cible. Regarde moi ! »
Loin d’embêter, cette consigne apporte vite aux élèves une présence, un impact et une précision dont peu sur le moment se pensaient capables.

Oui, mais la chorégraphie dans tout ça ?
J’y viens.

Un relâchement musculaire ? Une meilleure précision ? Une présence renforcée et une meilleure vision ? N’est-ce pas là une manière de dégager sur scène une intention ?
Regarder votre ou vos partenaires dans les yeux n’est pas une qu’une simple option. Elle est un élément important pour créer chez le public la sensation d’une dualité entre vous et votre partenaire. De plus, les avantages physiques — précisions, relâchement, vitesse de réaction… — que vous gagnerez vous autoriseront, au besoin, une plus grande richesse technique et rythmique. Un plus, difficile à se passer.

Bien sûr, des exceptions existent.
Lors d’un entraînement, face à une difficulté technique, il peut être pédagogique de regarder la cible et ou la position de sa lame pour se placer. Toutefois, cela ne doit durer qu’un temps. Quitte à y revenir.
Sur scène, faire exprès de regarder la cible, la lame de son adversaire ou la sienne peut traduire, de façon non exhaustive, un personnage manquant de maîtrise, une attaque plus efficace que les autres, l’inquiétude du personnage face à une offensive parée in extremis… Là encore, c’est la scène et son « cahier des charges » qui vous guideront sur ces exceptions.

Mais dans le doute, regardez votre partenaire.  Je répète. REGARDEZ LE ! REGARDEZ LES !

Hum ! Hum ! Je m’emporte. 
Avouez que ce ne serait tout de même pas pareil si ils regardaient leurs épées !
Extrait de Pirates des Caraïbes - la malédiction du Black Pearl Gore Verbinski (2003)

L'accélération

Un autre point qui renforce l’intention c’est l’accélération. Le fait de prendre de la vitesse pendant l’action. Elle se pratique aussi bien des bras que des jambes et nécessite une grande rigueur dans sa coordination. En effet, la diversité des situations peut amener plusieurs variations et changements de rythmes rendant un enchainement complexe : accélérer le bras, les jambes moins, accélérer ensemble, séparément, l'inverser... tout un programme.
Certains conseillent sur scène de ne pas le faire, notamment en ce qui concerne les bras. Question de sécurité. Ne pas perturber le partenaire dans ses parades, par exemple, ou éviter par précipitation d’asséner un impact plus virulent que d’habitude dans son offensive ou sa défensive.
Malheureusement, c’est ici se priver d’une source importante de l’intention d’un combat. ( ce qui est possible. Nous le répéterons jamais assez. ). Après tout, essayez de toucher un adversaire sans accélérer un moment dans le cadre d’une escrime d’opposition. Vous verrez que ce n’est pas évident.
Certes, l’interdire représente un aspect pédagogique intéressant pour des débutants, afin de leur faire prendre confiance en eux et développer une habilité motrice, etc... Sauf que nous ne restons pas débutants et qu’un moment donné, il faut savoir complexifier son art et l’accélération représente un atout indéniable.
Alors usez-en ! En fonction des « courants » et « styles » scéniques, elle peut intervenir plus ou moins tôt dans l’action, mais usez-en ! Ou sachez pourquoi vous ne l’utiliserez pas pour des raisons scéniques.

Les changements de rythme et les accélérations contribuent à rendre ce duel extrêmement réaliste
Les duellistes - Ridley Scott (1977)

Voilà. C’était tout pour moi. Il existe plein d’autres points à aborder, mais ce sera peut être l’objet d’autres articles. Nous verrons. 

Bonne fin de lecture avec notre capitaine préféré.

Et pour terminer...

Nous espérons vous avoir convaincu de la nécessité absolue de donner des coups en mimant l'intention de blesser (ou de toucher), en joutant du jeu, du punch, de l'envie, de la vie quoi !
Pour finir, nous vous laissons avec cette vidéo de Tammy Everett et Scott Moyle, deux acteurs qui n'ont pas oublié de jouer en passant leur examen final à l'épée de cour avec, en prime, une belle technique d'escrime. On regrettera juste que les acteurs n'aient pas rejoué le combat en costume...



2 commentaires:

  1. Un élément important, qui vousne mentionnez pas,etqui aide énormément, c'est le son. Dans un combat il faut crier, s'encourager, s'invectiver, se motiver. Un duel silencieux, c'est juste super plat.

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  2. Baron de Sigognac20 mars 2019 à 00:22

    Bonjour,
    Merci de votre commentaire.
    En ce qui concerne ma partie — pour les conneries de mon associé veuillez vous rendre porte 23 36e étage.
    Je partage avec vous l'importance du son que je classe dans les techniques scéniques. Ce que je n'aborde pas dans cet article.
    Peut-être une autre fois. C'est un sujet intéressant ou beaucoup serait à dire.

    Escrimement
    Baron de sigognac

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