jeudi 30 juin 2022

Typologie des scénarios de combat

Bon, on veut représenter un combat dans un spectacle - c'est la raison d'être de notre discipline - mais voilà, on n'est pas au gala des arts martiaux et il semblerait que le public, ce grand dictateur, veille savoir pourquoi les personnages de notre combat se battent. La simple beauté du combat, du fracas des lames (il fallait que je la fasse), ne leur suffit pas et nous devons donc, en plus de la chorégraphie, écrire un scénario qui explique pourquoi l'on se bat. On doit donc raconter une histoire avec nos lames (mais aussi nos corps, nos costumes et, éventuellement, nos voix) et il serait donc bon d'avoir quelques idées sur les types d'histoire à raconter et même ce que ça implique.

Hé oui, parce que le type de scénario prévu pourrait imposer des restrictions sur les mouvements qu'on peut s'autoriser en combat, sur la façon dont les personnages doivent enchaîner ou non les passes d'armes etc. En fait il faudrait même mieux choisir le scénario avant de créer le combat (ne me mentez pas, vous ne le faites pas toujours, je vous vois là dans le fond !), ou du moins choisir un type de scénario en fonction des actions que l'on a envie ou non de voir en combat. Pour vous aidez je vais donc tenter ici d'établir une typologie des types de scénarios de combat les plus courants en les classant du plus encadré (et donc contraignant en terme d'actions) au plus libre.
 
N.B. : Je décris ici certains types de combat mais on peut parfois, au cours d'un scénario passer de l'un à l'autre. Ainsi, par exemple un combat sportif peut se transformer en rixe, ou une rixe devenir un duel etc.

 

Tournois dans un festival - Jacques Callot - 1627

Le combat "sportif" (tournois, Fechtschülen etc.)

Le premier type de scénario de combat, le plus encadré est le combat "pour de faux". En fait il s'agit quand même d'un vrai combat, qui oserait prétendre qu'un match d'escrime aux Jeux Olympique n'est pas un combat ! Simplement il y a des règles, des règles de sécurité d'abord, parce qu'on ne veut pas de mort ou de blessé grave, et parfois aussi des règles d'engagement.

Dans ce scénario les protagonistes utilisent normalement des armes neutralisées. On voit, certes, des entraînements avec de vraies armes dans les films et les séries mais c'est juste stupide d'un point de vue de la crédibilité. Donc restons-en aux armes en bois, aux bâtons, aux fleurets et autres Fechtschwerten (ce qu'on appelle communément "Feder"). Notons que sans protection ça peut faire mal et que, selon le contexte de votre scénario, les protagonistes peuvent retenir leurs coups ou porter des protections voire, dans un scénario impliquant plus de tension, ne pas retenir leurs coups et infliger des blessures sérieuses mais en principe non mortelles à leur adversaire. Le combat de gladiateurs est une exception dans le sens où l'objectif est de blesser l'adversaire à l'aide d'une dague mais surtout pas de le tuer et que des protections spécifiuqes existent pour empêcher cela (je vois renvoie à tout le travail d'Acta Museo sur cela).

Il y a aussi des règles d'engagement. En principe un espace défini et dévolu au combat : une lice, une piste d'escrime etc. Cet espace peut être rigoureusement délimité ou non par un tracé, des barrières, une foule... Néanmoins si l'un des combattants en sort il sa soit perdu, soit perdu un point, soit il est au moins remis dans cet espace. Tout cela implique ainsi une pause dans le combat. 

De même si l'on compte les points il y a aura une pause et une remise en garde à chaque fois. Un principe d'équité joue et veut que la plupart du temps les adversaires soient armés de la même façon, débutent à une distance hors engagement ou alors les lames engagées, en garde etc. De même nulle personne ne doit en principe intervenir durant ce combat et la plupart du temps on trouve au moins un arbitre (et souvent des assesseurs) pour faire respecter les règles du combat, compter les points, organiser le combat etc.

Il en résulte un combat en principe courtois, souvent interrompu mais au final plutôt lisible pour le public puisqu'on explique à chaque fois qui a marqué le point, qui a fait une faute, qui domine, qui subit...

Cette catégorie va regrouper à travers les âges les combats de gladiateurs, les tournois médiévaux, les Fechtschulen (ces compétitions d'escrime organisées par les bourgeois dans les villes de l'espace germanique), les tournois d'escrime au fleuret de toutes époques jusqu'à pourquoi pas, un spectacle de combat d'escrime moderne chorégraphié !

Représentation de tournois en 1515 - atelier d'Albrech Dürer
Collections du Rijksmuseum d'Amsterdam

Le duel (judiciaire, d'honneur...)

Autre type de combat très encadré : le duel. Il s'agit d'un affrontement ritualisé entre deux adversaires en général pour une question d'honneur ou de justice. Sous peine d'être déshonorés voire condamnés les deux duellistes doivent ainsi se conformer à certaines règles qui tendent à instaurer une certaine égalité entre les combattants.

Ceux-ci sont en général deux et si ils sont plus nombreux ils sont forcément en nombre égal. Ils sont armés de la même façon (on pourrait éventuellement envisager des armes désignées par le sort)et toute tricherie est exclue. Dans les duels du XIXe siècle (voir mon article sur le sujet) les armes sont même le plus souvent apportées par les témoins.

De plus des témoins ou des juges sont le plus souvent là pour faire respecter ces règles et s'assurer de l'honorabilité du combat. Il en résulte également un combat fréquemment interrompu. On n'enchaîne pas forcément les phrases d'armes et il y a de fréquentes remises en garde entre celle-ci le temps de vérifier si les duellistes sont encore en état de combattre et si ils souhaitent poursuivre le combat. De même dans certains duels il n'est pas honorable d'attaquer un combattant à terre ou désarmé.

L'enjeu peut néanmoins être mortel, il est en général plus ou moins convenu entre les combattants via leurs témoins, ou fixé par la loi. La règle reste le plus souvent que l'un des duellistes peut à tout moment renoncer et reconnaître ses tors et que l'on ne poursuivra pas le duel si l'un des deux combattants n'est pas en état de le faire. On a donc le paradoxe d'un événement réglé, poli en apparence mais potentiellement mortel ! C'est probablement pour cela que les histoires de duel sont si populaires.

Dans cette catégorie on rangera évidemment les duels d'honneurs du XVI au XXe siècle entre gentilshommes mais également les duels plus populaires à la courte épée (ou au sabre d'abordage) et au pistolet (on les trouve chez les pirates mais aussi ailleurs semblerait-il). Il faut y ajouter les duels d'honneurs entre truands au couteau ou à mains nues. On classera aussi ici les duels judiciaires du Moyen-Âge, les ordalies germaniques ou les duels plus ou moins légendaires entre les champions d'armées de l'Antiquité (on pense au duel entre les Horaces et les Curiaces ou à celui d'Achille contre Hector).

Duel entre James, 4e Duc d' Hamilton et Charles, 4e Duc de Mohun en 1712
artiste inconnu - Wikimedia Commons

La rixe (bagarre de taverne, de rue...)

Lorsque les esprits s'échauffent on en vient parfois aux mains et l'on sort même les armes. C'est là une autre catégorie de combat. La rixe a la caractéristique d'être (en principe) imprévue. Le scénario est celui d'une montée en tension et en violence qui conduit finalement à un affrontement armé. Il faut donc un événement déclencheur : un vol, une tricherie, une attitude malpolie... ou la suspicion de l'une de ces choses qui va déclencher une altercation. L'altercation va monter en intensité et la violence va se déchaîner, soit d'abord à mains nues ou avec des jets de pierres (très fréquents dans nos sources) soit directement avec les armes. Notons qu'entre gentilshommes cela devrait normalement déboucher vers un duel mais certains n'ont pas cette patience (des récits très précis nous l'indiquent).

La rixe peut d'ailleurs parfois ressembler sur certains aspects au duel si les amis des participants s'accordent (tacitement ou non) pour ne pas intervenir. Mais ces mêmes amis peuvent tout à fait se mêler du combat sans souci d'égalité ou d'honorabilité. Dans ces circonstances on attaquera sans problèmes de dos ou par surprise. Les traîtrises ne sont pas exclues dans les rixes voire recommandées (voir l'article sur les trahisons de Godinho par Marc-Olivier Blattlin sur ce blog). D'une manière générale il y a peu de règles dans une rixe et les notions d'égalité et d'honorabilité dépendront énormément des personnages qui se battent (c'est donc un sujet de scénario). Dans le même ordre d'idée les armes seront celles que les protagonistes portent déjà sur eux ou peuvent trouver dans leur environnement. On est donc en principe en tenue civile, sans armure ni casques et sans armes de guerre du type hallebarde ou bouclier. Les armes à privilégier sont donc les épées que l'on peut porter au côté, les dagues, poignards et couteaux et toutes les armes improvisées : gourdins, tabourets, chaises, chopes etc. Notons que l'intervention de gardes peut cependant impliquer l'utilisation d'armures, de hallebardes ou de boucliers...

L'enjeu d'une rixe peut être très variable et selon les insultes qui auront pu être proférées ou la gravité de l'offense ce n'est pas forcément la mort que l'on recherchera. Et surtout on ne voudra pas forcément risquer de mourir si l'on se sent en infériorité ou en difficulté. L'un des combattant ou groupe de combattants pourra donc renoncer si l'envie de combattre n'est plus là et se rendre en reconnaissant sa défaite ou s'enfuir lâchement. Notons que l'un des deux peut même ne pas vouloir le combat.

Bagarre dans une auberge - Frans Greenwood 1733
Collections du Rijksmuseum d'Amsterdam

L'agression

Comme la rixe l'agression n'est pas un événement prévu, du moins par l'une des deux parties. L'un des combattants ou groupe de combattants attaque l'autre pour une raison ou autre (le dépouiller de ses biens précieux, le tuer pour une question de vengeance ou de jalousie). Il n'y a en principe pas de règles même si l'enjeu peut être de vouloir éviter d'avoir un meurtre sur la conscience dans le cadre d'un détrousseur.

Question armes l'agressé n'est en général armé que de ce qu'il porte ordinairement ou peut trouver à portée de main tandis que les agresseurs ont en général pris soin d'être bien armés, du moins suffisamment pour intimider. Les agresseurs sont donc en général plus nombreux et/ou mieux armés, peuvent avoir tendu une embuscade (et ainsi tuer d'emblée un ou plusieurs agressés).

Selon l'enjeu l'agression peut être immédiate ou précédée d'une tentative d'intimidation pour obtenir ce que l'on veut sans combattre. Dans le cas d'une vengeance le ou les agresseurs peuvent également expliquer les motifs de leur agression dans un exercice classique de monologue du méchant (ou du gentil). Les agresseurs vont en général vouloir continuer leur agression jusqu'à obtenir ce qu'ils souhaitaient ou à en être découragés, jugeant ainsi que le jeu n'en vaut pas la chandelle. Le ou les agressés vont plutôt vouloir échapper à l'agression et la fuite peut tout à fait être une option pour eux, ou simplement mettre en fuite les agresseurs sans forcément chercher à les capturer ou les tuer.

Vous l'aurez compris entrent dans cette catégorie les tentatives de vengeance mais surtout tous les scénario impliquant des détrousseurs. On pourrait y ajouter également les opérations de police visant à capturer ou tuer des criminels.

Deux brigands tentent une embuscade dans un bois...
par Les Bretteurs de St Jean & le Club d'Escrime Stéoruellan

La guerre

Plus violente que l'agression, la guerre suppose surtout un autre contexte. Les combattants sont forcément des ennemis désignés de par le camp auquel ils appartiennent et peu de règles s'appliquent à leur affrontement. Il peut y avoir à certaines époque des coutumes voire des conventions légales qui protègent les prisonniers; les blessés ou les civils mais même là leur respect est relatif.

Le combat a le plus souvent un objectif : prendre tel ou tel lieu, tuer/capturer un ennemi important, piller un village pour semer la terreur ou simplement se ravitailler etc. L'affrontement va en principe au moins jusqu'à la mise hors de combat de l'adversaire et souvent jusqu'à sa mort à moins de vouloir le mettre en fuite.

La notion d'égalité des armes est absente et même en principe bannie. Un bon tacticien n'attaquera que si il a un avantage sur son adversaire : en nombre, en armement ou en position (forteresse ou embuscade)... à moins que, désespéré, il ne tente un geste héroïque ! Notons néanmoins
que les combattants, sauf si ils sont surpris au camp, seront normalement armés pour la guerre et porteront leurs armures et armes de guerre. On n'aura donc rarement des combats avec de simples épées mais plutôt des armes d'hast, des boucliers ou des baïonnettes. Aux époques où les armes à feu sont courantes il faudra les gérer quitte à tuer un figurant au début du combat ou à simplement rater ses tirs en raison de la faible fiabilité/précision des armes de l'époque.

Enfin les scénarios de guerre se marient souvent mal (hors affaires d'espionnage) avec des combats individuels et ils se prêtent beaucoup plus aux combats de groupe. À tout le moins il est possible de "ruser" en mettant hors de combat quelques figurants au début de l'affrontement pour terminer sur un affrontement à un contre un.

Paysans se vengeant des soldats dans Les Malheurs de la guerre de Jacques Callot - 1632-1636
dans les collections du Rijksmuseum d'Amsterdam

L'allégorie

La dernière catégorie est celles des combats improbables et non réalistes. On range ici les combats symboliques (Bien contre Mal, Amour/Haine etc. Il s'agit d'ailleurs d'une catégorie assez représentée dans l'escrime artistique et peut-être encore plus lors des compétitions. Elle permet toutes les libertés, y compris de ressusciter les morts, de combattre sans se soucier du réalisme etc.

Pour cela je ne la développerai pas beaucoup plus, c'est en fait à vous de la créer finalement !


 La Dame de Pique, médaille d'or aux championnats du Monde 2016

 ***

Cette typologie essaie d'être exhaustive et de permettre de ranger tous les types de combat. Elle n'est cependant pas parfaite, comme toute réduction de la réalité, et il arrivera probablement que certaines situations rentrent mal dans une catégorie, ou que deux d'entre elles se chevauchent voire se confondent. Ce n'est finalement pas bien grave car l'essentiel est surtout de penser au cadre dans lequel s'inscrit le ce scénario de combat que vous voulez présenter. Plusieurs questions sont à se poser :

- Quelle situation amène au combat et comment la mettre en scène ou la faire comprendre ?

- Quels sont les objectifs des différents combattants (ils peuvent d'ailleurs évoluer) ?

- Quelle forme doit prendre le combat ? Sera-t-il souvent interrompu ? Tous les coups sont-ils permis ?

- Quelles armes (offensives et défensives) sont possibles pour ce combat ?

- Quel rapport de force initial doit être envisagé ?

- Quel événement doit conclure le combat ? Quand doit-il s'arrêter (abandon, blessure, mort, fuite etc.) ?

Une fois ces éléments décidés vous pourrez ainsi créer un combat cohérent et crédible (n'oubliez pas les personnages !) qui ne fera pas se poser des questions au public sur pourquoi tel personnage fait ci ou ça ou pourquoi cela se termine de cette façon étrange...

À vous de jouer !

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire