mardi 22 septembre 2020

"Oh non ! Ils font du médiéval..."

"Oh non ! Ils font du médiéval..." c'est cette phrase que le Baron et moi-même prononçons régulièrement lorsque nous regardons une vidéo de combats postée par une troupe d'escrime artistique. Ce n'est pas que nous n'aimons pas l'escrime médiévale, au contraire nous adorons ça, mais c'est que nous savons que nous avons de grandes chances d'être déçus. J'avais posté il y a maintenant plus de deux ans un article critiquant l'escrime médiévale au cinéma mais ce n'est généralement pas mieux en ce qui concerne le spectacle vivant. Il y a bien sûr des exceptions, des troupes géniales dont nous adorons les combats, d'autres que l'on trouve intéressantes même en médiéval mais nous devons confesser que le plus souvent c'est la déception qui l'emporte.

Je vais donc ici exposer la plupart des raisons qui font que nous sommes déçus et ce que, à mon sens, nous devrions trouver dans un bon combat médiéval de spectacle. Vous vous sentirez peut-être visés (c'est un peu le but en même temps) mais l'idée n'est pas de stigmatiser des troupes (je ne donnerai aucun nom comme à mon habitude) mais de susciter l'auto-critique et la réflexion sur ses  pratiques. Après cette critique, même si elle prendra parfois des aspects péremptoire reste relativement personnelle, libre à vous d'affirmer le contraire... en m'apportant vos arguments.

Duel dans l'épisode pilote de la série Kaamelott (mais là c'est une série humoristique)

Ce qui ne va pas dans ce que nous voyons

Tout d'abord notre premier constat est le plus souvent que c'est lent, mais vraiment lent. Certes, les épées médiévales sont plus lourdes que des épées de cour ou des rapières à lame triangulaire mais d'expérience on peut tout à fait avoir une certaine rapidité d'exécution avec ces armes. Les raisons de ce manque de rapidité sont souvent multiples. Tout d'abord il semble y avoir parfois chez certaines troupes une appréhension sur le fait de manier des armes un peu plus difficiles à maîtriser et arrêter. Je dirais qu'il ne faut pas écarter l'hypothèse d'un manque d'entraînement : à la fois de travail de la chorégraphie mais également de travail avec l'arme. Si l'on maîtrise correctement son épée bâtarde ou longue, c'est à dire qu'on a compris comment la tenir (la main gauche sur le pommeau pour les droitiers) et que l'on sait utiliser le levier, il est alors très facile de l'arrêter où l'on veut (en la retenant justement avec la main sous le pommeau, toujours avec le principe du levier). En fait c'est cette maîtrise du levier qui permet à l'épée de danser entre les mains sans avoir à faire de grands mouvements de bras dans tous les sens. Pour plus de maniabilité on peut également poser le pouce sur la lame pour les parades et les estocs voire crocheter le quillon (il ne faut alors pas prévoir juste après de technique où la lame adverse redescend jusqu'à la garde sinon gare à vos doigts !).

Avec une lame à une main il faut savoir maîtriser les moulinets et les rotations utilisant le poids de l'arme pour lui donner plus de rapidité. Ajoutons que si l'on a un bouclier les ripostes rapides sont facilité par le fait de riposter avec un arme différente de celle qui a paré. Enfin pour les armes longues de types haches de pas, bâtons, lance et autres armes d'hast c'est là encore la maîtrise du levier combinée à la capacité à faire coulisser ses mains pour changer de prise qui vous donnera de la virtuosité.

Cette planche du traité de 1570 de Joachim Meyer illustre bien l'intérêt de la tenue en levier.

En relation avec cela on assiste aussi trop souvent à une escrime extrêmement simpliste. Certes on trouve encore ici ou là de vieux manuels ou des gens mal informés qui tentent de vous expliquer qu'au Moyen-Âge les armes étaient très lourdes et l'escrime simpliste, mais depuis dix ou vingt ans des dizaines de traités d'escrime médiévale ont été numérisés, mis en ligne et traduits et l'on sait désormais que cette affirmation est fausse. L'escrime médiévale, particulièrement celle à l'épée longue, était riche et complexe au point que les Allemands commençaient encore l'initiation des nouveaux escrimeurs par cette arme au tournant du XVIIIe siècle ! Or en spectacle on voit trop souvent des coups très amples, des coups de "buffle" ou "de paysan" comme les qualifient nos sources. C'est l'escrime des mauvais, ceux qui ne savent pas escrimer, cela peut être intéressant pour jouer certains personnages (voir mon article sur les types d'escrimeurs) mais on ne peut pas s'en contenter. 
 
Quant aux coups très armés je rappelle que les épées étant tranchantes et relativement lourdes (1 à 1,5 kg, 2 kg au maximum) on n'a pas besoin d'armer très fort un coup de taille pour blesser grièvement quelqu'un sans armure. Frapper très fort ne se justifie que dans le cas d'un combat en armure, et encore plutôt en mailles d'acier, car si l'on attaque quelqu'un en armure de plates il sera plus efficace de passer en demi-épée pour estoquer au défaut de l'armure ou de prendre son arme par la lame et de frapper avec le pommeau (le fameux Morschlag ou Mordhau) pour plus d'impact. On nous objectera l'effet visuel, "artistique", mais comme je l'ai déjà dit ailleurs cela ne change rien à la trajectoire de l'arme. L'arme fait toujours un bel arc de cercle qu'on envoie tout son corps ou juste un tour de poignet, or les armes médiévales sont assez larges, bien visibles, prennent bien la lumière et sont un peu plus lentes que les rapières de spectacle (attention, ça va vite quand même). Ne vous inquiétez donc pas, le public verra tout autant votre arme foncer vers la tête ou le corps de votre adversaire et n'aura pas de doute sur ce qui se produirait si il ne parait pas votre attaque !

Dans le même esprit on voit trop souvent des mouvements ou des coups issus de l'escrime artistique "classique" à la rapière. J'ai déjà dit ce que je pensais des voltes mais je les trouve encore plus déplacées dans un contexte médiéval. Et même des coups comme le classique couronné trouvent rarement leur place car trop lent à moins qu'il ne suive une parade "de prime" ou "de quarte" bien envoyée et dont il est la prolongation logique pour porter une attaque dans la ligne opposée. On regrettera également le plus souvent l'absence de jeu court, c'est à dire de corps à corps, de prises avec les armes, pourtant très présent dans les traités médiévaux. Enfin, je trouve également que l'on n'estoque pas assez avec les bâtons alors que c'est le coup le plus présent dans nos écrits (le bâton étant l'arme d'entraînement pour les lances et autres armes d'hast), je déplore aussi les coups qui visent les parties armurées d'un combattant (oui les armures ça protège vraiment) ou encore les tentatives de Mordschlag pas assez bien vendues ; là par contre c'est un coup qui doit vraiment paraître brutal et qu'on utilisera surtout sur un adversaire protégé, ne serait-ce que par un casque.

Estoc au bâton dans le traité de Hans Talhoffer (années 1450)

Ce qu'on voudrait y trouver

Voilà pour les critiques, nous sommes parfois un peu taquin et nous aimons bien râler. Après tout ce blog est là pour que nous nous exprimions non ? Bon, comme on veut quand même vous garder comme lecteurs et lectrices il nous faut aussi expliquer ce que nous aimerions voir dans des combats médiévaux.
 
Tout d'abord nous aimerions voir des coups variés et surtout plus historiques, avec notamment des attaques en diagonale qui étaient tout de même les coups de base de l'escrime médiévale (on avait plus souvent tendance à frapper ainsi du haut plutôt que verticalement). On aimerait aussi voir plus de frappes en se décalant sur le côté (cela complique la parade, casse la ligne et artistiquement ça fait un combat moins "en ligne"), on veut des coups de contre-tranchant, des estocs vicieux en riposte etc. De même les parades devraient être plus variées, se faire avec la lame de 3/4 et non en opposition (ça abîme les tranchant !). On peut parer en suspension (nous appellerions cela prime ou seconde voire none), même des coups hauts, la lame droite ou encore en frappant la lame adverse pour enchaîner derrière. Faire un combat médiéval ce n'est pas seulement changer d'armes mais également changer d'époque et l'on doit ainsi bouger et frapper en relation avec cette époque.

Technique d'estoc présentée dans le traité de Peter Faulkner (1495)

Un combat médiéval n'a pas plus de raison qu'un autre de ne pas être engagé, au contraire même puisque les codes du duel n'existaient pas (en dehors du duel judiciaire qui est autre chose). Il faudrait qu'un combat médiéval soit aussi dynamique qu'un combat à la rapière et à l'épée de cour. Il faut que ça soit vif et qu'on sente la rage. Cela doit bouger et les lames doivent virevolter : technique et sanglant ; bon OK, là c'est surtout notre goût à nous mais disons que l'époque médiévale se prête moins à des tableaux plus "artistiques" en lien avec la beauté des corps et du mouvement. Après ce n'est pas impossible et je serais curieux de voir une telle prestation si elle est réussie ! Si vous utilisez des boucliers, et spécifiquement des bocles, alors cela doit être encore plus rapide car la riposte vient très vite après l'attaque, simplement parce qu'on a deux armes. 

Deux pratiquants d'AMHE (Nicolas Donnadieu et Marc-Olivier Blattin qui nous a déjà écrit un article sur ce blog) qui décident de créer un chorégraphie à l'épée longue ça donne un combat vif et technique !

Dans ce même esprit d'engagement on devrait voir presque toujours, du moins souvent, des techniques de corps à corps. La plupart des traités médiévaux qui ont survécu nous parlent, pour l'épée, de jeu long ou ("longue épée à deux mains") et de jeu court ("courte épée à deux mains"). Le jeu court comprend toutes les techniques qui permettent de venir et de vaincre au corps à corps à partir d'un jeu d'épées. L'escrime n'est pas encore "civilisée" à l'époque et dans beaucoup de tournois (sauf ceux "à la barrière" où les combattants sont séparés) ou de jeux civils on ne se prive pas de saisir l'adversaire ou de le projeter. Dans le combats plus sérieux on lui fera facilement une clef de bras, on ira le jeter à terre ou l'égorger de près en le maîtrisant. On y ajoute des coups de pied pour repousser mais en revanche les coups de poing ne sont pas présents dans nos traités. On sait néanmoins qu'on se frappe quand même à l'époque, plus sur le mode "patate de forain" que sur des coups plus élaborés comme à la boxe. Bref, allez au contact parfois, ça vous pose un personnage et c'est plus "histo" !

Enfin, disons un mot des armures qui semblent toujours n'être qu'un costume. Certes, le combat en armure n'est pas très visuel, fait de techniques de demi-épée et de lutte, mais quand les personnages portent des protections partielles (c'est très souvent le cas dans les troupes) il serait de bon ton de mimer que l'on vise les endroits non protégés plutôt que le casque ou le tronc protégé par un puissant haubergeon de mailles ! C'est une chose que j'avais énormément apprécié dans la première vidéo de la troupe de combat Spatha : ces gens soignent la précision des coups et ceux-ci visent explicitement les endroits non protégés, et quand ils visent l'armure ce sont des coups puissants qu'on imagine destinés à déstabiliser l'adversaire ou à le sonner !
 
Et du coup je vous remets la vidéo de Spatha en question !


***

Pour conclure nous dirons que nous espérons voir de meilleurs combats médiévaux en escrime de spectacle et espérons que cet article pourra y apporter sa modeste contribution. Il est vrai que le Baron et moi-même avons été biberonnés aux vidéos des groupes tchèques comme Adorea, Merlet ou Balestra ou qu'encore nous avons activement regardé les vidéos de démonstration du groupe allemand Gladiatores. Nous voulons donc faire aussi bien ou du moins nous en inspirer, concilier l'historicité, le spectacle et la belle escrime. Depuis quelques français ont suivi comme Spatha, Warlegend et d'autres. L'espoir est donc là de ne plus appréhender de voir des combats médiévaux de spectacle mais, au contraire, de se réjouir d'en voir présentés sur un scène, un pré ou des pavés !

2 commentaires:

  1. Chouette article. J'aime beaucoup la coexistence des deux listes "ce qu'on voit trop" et "ce qu'on veut voir"

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