dimanche 5 septembre 2021

Au fait, c'est quoi l'escrime ? Et de quand ça date ?

On entend encore trop dire que l'escrime commence à la Renaissance. Avant Camillo Agrippa ou Achille Marozzo il n'y aurait rien, ou alors juste des techniques brutales et sans subtilité. Soudainement, à la Renaissance, de géniaux maîtres d'armes italiens auraient inventé l'escrime avec son arme de prédilection : la rapière. Spoiler : c'est faux ! Mais pourtant cette idée reçue est encore très fréquemment relayée par des gens qui n'ont pas pris le temps de se renseigner.

Tout d'abord la Renaissance est, en Europe, un phénomène plus long et moins soudain qu'on ne le croit dont les racines prennent pied dans tout le XVe siècle voire le XIVe, et pas seulement en Italie. Le processus de sécularisation du savoir commence au moins au XIVe siècle, dés lors celui-ci n'est plus le monopole du clergé. De même la "redécouverte" des auteurs de l'Antiquité est à relativiser : on lit et on copie déjà Aristote mais aussi Ovide au XIIIe siècle par exemple.

Ensuite on trouve déjà des traités d'escrime dés cette époque, le plus ancien connu étant le fameux I:33 rédigé vers 1300 et la seconde moitié du XVe siècle est marquée par de nombreux traités d'escrime en langue allemande notamment. Évidemment l'imprimerie a décuplé le nombre d'exemplaires de traités et favorisé la "réduction en art" de l'escrime. On observe donc une escrime déjà très développée dont l'arme reine est ce que nous appelons l'épée longue. Les techniques sont très nombreuses (en témoignent les 150 jeux d'épée longue présentés par Paulus Hector Mair dans ses traités des années 1540) et plus ou moins faciles d'exécution. Elles mêlent souvent des techniques de corps à corps (mais pas toujours) ce qui semble parfois gêner les puristes de nos jours. De plus ces traités abordent souvent de nombreuses autres armes comme le coutelas, la dague, la lutte (pas distinguée de l'escrime à l'époque) ainsi que la hache de pas, le bâton et les armes d'hast. Lorsque les rapières se répandent on y ajoute cette arme qui, peu à peu prend de plus en plus d'importance.

Du coup cela nous amène explorer deux questions : comment définir ce qu'est l'escrime et ensuite depuis quand existe-t-elle ?

 AVERTISSEMENT : Cet article est essentiellement spéculatif et ne prétend pas appuyer une réflexion solide et construite sur des preuves tangibles. Il s'agit plus de pistes de réflexion qu'autre chose.

Relief sumérien mettant en scène le combat de Gilgamesh et Enkidou contre Humbaba

Qu'est-ce que l'escrime ?

On commencera par ce que nous appelons escrime au XXIe siècle : la pratique sportive, en loisir ou en compétition, de l'épée, du fleuret et du sabre. Nous avons donc un ensemble de techniques destinées à manier ce qui était à l'origine un simulateur d'arme blanche à longue lame tenue à une main. Nous trouvons à la fois des techniques mais également des principes plus généraux sur le combat. On notera que le terme escrime est surtout réservé à l'escrime occidentale même si on parle parfois d'escrime "orientale" pour le katana, l'épée chinoise ou leurs simulateurs. Actuellement le terme exclut des armes comme la canne de combat et le bâton mais c'est pour des raisons purement historiques. D'ailleurs avant la première guerre mondiale l'escrime aux trois armes, la canne, le bâton mais aussi la boxe française et la lutte française (appelée "gréco-romaine" de nos jours) formaient un ensemble cohérent qu'on pourrait appeler les arts martiaux français (je vous renvoie à la chaîne du même nom si vous voulez en savoir plus). Les enseignants étaient plus ou moins les mêmes ou du moins avaient pratiqué à peu près toutes ces disciplines qui ont peu à peu fusionnées au cours du XIXe siècle.

Voilà à quoi la plupart des gens pensent quand on parle d'escrime de nos jours...
© gaujard christelle
 

On appelle encore sans problème "escrime" les ancêtres de l'escrime contemporaine que l'on retrouve dans les traités du XVIe au XVIIIe siècle. Ces traités traitent en effet majoritairement voire exclusivement d'une arme, la rapière et de sa descendante, l'épée de cour (voir lien vers les articles du blog qui en parlent). Pour autant ils parlent parfois de sabre mais aussi d'autres armes comme la pertuisane ou l'épée longue. Devrait-on donc limiter le terme "escrime" à certaines armes comme la rapière et ses descendantes ? Que faire alors du sabre qui n'en descend pas et a eu son évolution parallèle ? Il faut donc revenir à leur ancêtre commun : l'épée chevaleresque à une main laquelle descend de la spatha romaine, arme empruntée aux guerriers celtes de l'Antiquité. Il faudrait donc logiquement inclure aussi l'escrime au coutelas, lui aussi ancêtre du sabre, et l'épée longue qui est elle également une évolution de l'épée chevaleresque. Cette dernière a eu longtemps comme particularité de se manier conjointement avec un bouclier. Or, si vous étudiez un peu le combat au bouclier vous comprendrez très vite que le bouclier est plus important que l'arme que vous maniez dans l'autre main. La technique de base est la même que vous ayez une épée, une hache, une lance ou un scramasaxe, les subtilités n'interviennent qu'ensuite.

... mais ils peuvent également penser à ça
Les quatre charlots mousquetaires réal par A. Hunebelle en 1974
 

Du coup il semble très réducteur de ne se limiter qu'aux épées, d'autant que la hache de pas a eu droit à des techniques très élaborées, tout comme le bâton. Quant à la canne de combat, les techniques de base ont quand même beaucoup à voir avec le sabre. En conséquence je proposerais bien d'étendre le terme "escrime" à toute forme de combat armé incluant des techniques ou des principes un tant soit peu élaborés. La question suivante est de se demander si on doit y inclure également les formes de combat non armé et là j'aurais tendance à dire que non.

Ce qui différencie le combat armé du combat non armé c'est la létalité des coups. Tous les coups de poing ne font pas forcément mal, si un coup de poing bien placé peut éventuellement tuer ou mettre hors de combat un adversaire cela n'est pas du tout certain. Il faut réussir à bien le placer, le donner avec suffisamment d'impact et il en faudra souvent plusieurs pour venir à bout d'un adversaire. Il en va de même des coups de pied ou des techniques de lutte. En revanche, le moindre coup donné avec une arme causera au minimum une blessure douloureuse et a de fortes chances d'occasionner une blessure sérieuse ou mortelle, surtout aux époques où la médecine restait rudimentaire. Aussi, si on peu encaisser certains coups en combat non armé ce n'est pas le cas en combat armé : on ne peut tout simplement pas se permettre d'être blessé, les conséquences sont trop importantes ! Alors évidemment, de nos jours nous ne faisons que jouer au combat armé quand les boxeurs tentent de se mettre K.O., mais c'est tout simplement que se battre avec des armes capables de blesser serait totalement inacceptable au XXIe siècle.

Nous avons donc une définition large : l'escrime c'est l'art du combat opposant des humains armés. Cela définit assez bien les choses et même des disciplines comme la dague qui mêle des techniques de clefs et de projections issues de la lutte avec des techniques plus proches de l'épée rentrent dans la catégorie "escrime". Tout simplement parce qu'un coup de dague est infiniment plus dangereux qu'un coup de poing. Il reste donc la seconde question : quand commence l'histoire de l'escrime ?

Illustration d'escrime à la dague tirée du Der Altenn Fechter anfengliche kunst édité par C. Egenollf en 1531

Les débuts de l'escrime ?

Il va donc être difficile de dater les débuts de l'escrime, mais reprenons plusieurs points de notre définition. Il faut tout d'abord qu'il y ait des armes, nous en avons au moins depuis l'époque d'Homo Erectus soit 2 millions d'années avant notre ère, et peut-être avant. Il s'agit ici de pierres, de silex taillés pour découper et probablement de bâtons. Le plus ancien épieu est attesté dés 400.000 av. J.C. En revanche ces armes étaient d'abord utilisées pour la chasse aux animaux et on ne sait évidemment pas si elles étaient utilisées contre des humains. Les groupes de chasseurs-cueilleurs préhistoriques évoluaient sur de très vastes territoires, se rencontraient assez rarement et l'hypothèse de guerre de clans est très peu probable. On connait encore au XXe siècle des peuples de chasseurs-cueilleurs qui sont des sociétés qui ne connaissent pas la guerre, c'est à dire l'affrontement entre deux groupes organisés.

En revanche ces sociétés ne sont pas pour autant des sociétés sans violence. Les meurtres n'y sont pas inconnus, ni la violence entre membres du même clan. Les raisons peuvent évidemment être multiples : concurrence sexuelle, jalousie, cupidité et aussi l'honneur. On peut donc supposer des affrontements assez tôt entre membres de ces clans préhistoriques de chasseurs-cueilleurs. À vrai dire ces affrontements se retrouvent dans la plupart des groupes d'animaux sociaux... sauf que ceux-ci n'ont pas les armes mortelles des humains. Il est ainsi raisonnable de penser que des affrontements individuels entre humains ont eu lieu dés l'aube de l'Humanité.

L'épieu découvert à Clacton-on-sea en 1911, vieux de 400.000 ans
sur Wikimedia Commons

Néanmoins ils ne suffit pas qu'il y ait affrontement pour qu'il y ait escrime, il y faut également de la technique. Si le coup de haut en bas visant la tête semble être, de l'avis de la plupart des auteurs de traités, un coup naturel à l'être humain (avec une main armée d'un caillou ou d'un gourdin), les autres, y compris la façon de ne pas se prendre ce coup, sont plutôt du domaine de l'acquis culturel et donc de la technique. Tout comme il y a un art de tailler un silex, de construire une habitation, de confectionner un vêtement, il y a un art de se battre qui relève à la fois de principes généraux (distance, temps, lignes...) et de techniques particulières (déplacements, parades, enchaînements de techniques etc.). Et tout comme les autres artisanats, l'artisanat de tuer s'apprend. N'ayant pas de connaissances étendues en anthropologie physique je ne saurais dire à partir de quand le cerveau humain était capable d'élaborer cet ensemble de techniques et de préceptes. Et quand bien même il en était physiquement capable il reste impossible de déterminer à partir de quand il est apparu.

Notons que son apparition et sa transmission demandent un contexte social où les affrontements entre humains sont suffisamment fréquents pour qu'apprendre des techniques de combat ne soit pas une perte de temps. Cela peut être une pression sur des ressources suffisamment longue pour avoir à défendre celles-ci, en groupe ou non. On peut aussi imaginer que cela relève d'un certain statut social : une caste dominante qui se devrait de perpétuer une maîtrise de l'art du combat pour perpétuer sa domination et se rendre alors difficile à vaincre en cas de rébellion d'un ou plusieurs dominés. Je tiens à préciser que je suis là exclusivement dans la conjecture et qu'il sera probablement impossible de savoir quand l'escrime a pu faire son apparition. On sait juste qu'elle est a priori présente au moins dans l'Antiquité et vraisemblablement bien avant. Si l'on en voit l'intérêt pour les sociétés néolithiques dont beaucoup sont déjà assez complexes et où la pression sur certaines ressources (terre, bétail) est forte, son intérêt est bien plus incertain pour des chasseurs-cueilleurs du Paléolithique.

Ajoutons une dernière conséquence à tout cela : l'existence d'armes d'entraînement, de "simulateurs" comme disent les pratiquants d'AMHE. Elle semble presque aller de soi si l'on veut faire autre chose que d'apprendre des techniques sans les confronter à un combat simulé, sans faire des "assauts" ou du "sparring". La transmission et l'entraînement se font en effet à la fois par ce qu'on appellerait des "katas", répétition mécaniques de techniques seul ou à deux, mais aussi par des "leçons" et une mise en pratique par des "assauts". Sauf pour les "katas" l'utilisation d'armes neutralisées est utile voire indispensable. Nos ancêtres s'entraînaient avec des bâtons légers de différentes longueurs, pas avec des vraies armes dangereuses !

Illustration tirée du New Kůnstliches Fechtbuch de Jacob Sutor Von Baden (1611). On voit ici bien la neutralisation de la pointe de la hallebarde qui est probablement un simulateur.
 

***

Pour conclure on peut sans grande hésitation supposer que l'escrime est une très vieille discipline humaine. En tant qu'ensemble de techniques destinées à l'affrontement armé d'autres humains elle est probablement née quelquepart au cours de la Préhistoire. Il est difficile d'en savoir réellement plus car pour que ces techniques apparaissent il a fallu qu'on en aie besoin. Dés le début l'escrime s'est forcément accompagnée d'affrontement simulés plus ou moins "libres" (pour éviter de se blesser gravement). il est probable qu'ils soient assez vite devenus spectacles. Et si, de nos jours, les armes blanches ne sont presque plus utilisées il reste les simulateurs : le sport et les spectacles et nous espérons, en tant que pratiquants, que ces aspects de la discipline perdureront encore longtemps !



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