mardi 4 août 2020

La sécurité en escrime de spectacle

Allez, abordons un thème dont on parle tout le temps et jamais : la sécurité. "La sécurité c'est primordial en escrime de spectacle !", "la sécurité d'abord !", "il faut ABSOLUMENT être en sécurité", voilà ce qu'on entend régulièrement. Mais au fait, c'est quoi exactement cette sécurité ? Les pénalités accordées lors des championnats de France d'escrime artistique ont aidé à baliser une part du terrain sans pouvoir être exhaustif. Le signe d'une confiance accordée au jury, mais aussi d'une part de subjectif.
Or ce qui est évident doit s'énoncer clairement et s'il y a bien un aspect de notre discipline qui devrait l'être, c'est bien cette sécurité. Ce qui, avouons-le, souffre un peu, dès qu'on va dans le détail et peut devenir source d'interrogations :qu'est-ce qui est dangereux, dans quels contextes ? Tous ? En fonction de soi et du partenaire ?

L'idée est de ne pas faire comme dans ce livre de combat du XVIe siècle !

La sécurité absolue, une quête impossible

Un premier constat s'impose : nous manions des armes, ou du moins des répliques d'armes neutralisées autant que possible mais le plus souvent en métal ou en bois dur et capables de causer de sérieux dommages. Nous les utilisons pour effectuer des gestes martiaux normalement destinés à tuer ou à invalider sérieusement un adversaire. Par conséquent, même avec les meilleures astuces du monde on ne peut écarter tout risque dans la pratique de l'escrime de spectacle. Comme toute pratique physique elle présente des risques de blessure, comme le rugby, comme le football ou le skate-board. On doit s'efforcer de les réduire au mieux mais on ne peut les faire disparaître.

Ainsi, certaines actions sont plus dangereuses que d'autres, mais souvent plus spectaculaires, comme les saltos en gymnastique sont dangereux mais spectaculaires. Comme on n'imagine pas de gymnastique sans saltos, dans la même idée on n'imagine pas d'escrime à l'épée sans estoc. Vouloir absolument enlever tous les coups dangereux réduirait l'escrime à quelque-chose de ridicule et de convenu et on peut éventuellement l'imaginer : une escrime à la rapière à lame triangulaire, un peu lente et exclusivement constituée de coups de taille avec de grands armés qui ne viseraient jamais la tête ou le cou mais le tronc ou les jambes. Avec cette escrime on ne risque que des bleus, mais on s'ennuierait très fermement à la pratiquer.. et le public à la regarder !
Comme on veut autre chose on prendra forcément quelques risques supplémentaires, des risques pensés et mesurés évidemment.
Le combat à la fin de ce sketch des Inconnus donne une idée de ce que serait une escrime de spectacle ultra-sécurisée.

Évaluer les risques

Une fois ce constat posé on peut légitimement se demander ce qu'on risque. Il faut évaluer les conséquences d'une survenue de l'aléa mais également les probabilités de survenue de cet aléa. Occupons-nous d'abord des conséquences possibles. Je propose de les classer en trois grandes catégories :
- Les conséquences bénignes : il s'agit d'une douleur ponctuelle avec comme conséquence éventuelle un hématome ou des égratignures. Ce n'est pas bien agréable mais ce n'est pas grave et on s'en remet vite. Tant que ça n'arrive pas trop souvent normalement on l'accepter. Notons qu'il s'agit de quelque-chose qui survient couramment en escrime sportive (les hématomes sont courants chez les débutants qui évaluent mal les distances ou face à des tireurs très physiques).
- Les blessures sérieuses sans séquelles ou presque : il s'agit ici de blessures incapacitantes mais qui, une fois guéries, ne laissent normalement pas de séquelles. On pense d'abord aux entorses et tendinites (classiques chez les escrimeurs) mais aussi aux éventuelles fractures causées par des armes lourdes. Toutes ces blessures sont à prendre au sérieux et ne devraient normalement pas survenir.
- Les blessures graves laissant des séquelles : On parle ici de traumatismes crâniens, d'empalements, de visage marqué, d'yeux crevés et de tout ce qui peut mettre en jeu le pronostic vital. Ce sont ces blessures que l'on veut absolument éviter et dont tous les clubs ont la hantise.

Malgré tout, l'objectif reste d'éviter toutes les blessures, même bénignes. Mais cette graduation reste importante pour évaluer le degré de risque encouru.


Et un bras cassé ou un coude luxé ! Un !
Christian Egenolff d'après Andre Paurenfeindt Der Altenn Fechter anfengliche kunst 1531-1537

De ce constat il ressort que le visage est clairement la zone la plus fragile du corps humain, surtout que la plupart des blessures sont susceptibles de laisser des séquelles et souvent de mettre le pronostic vital en jeu. Le crâne vient juste après avec ses risques de traumatisme. Le tronc est ensuite très vulnérable à un empalement, le dos à des coups de taille tandis que les mains sont à la merci d'un coup puissant. Les bras et les cuisses sont probablement un peu plus solides que le reste de par la masse musculaire et le moindre nombre de parties vitales. Notons que l'on peut facilement protéger en partie les mains avec des gants et certaines partie du tronc ou du dos avec des protections dissimulées. Enfin, des protections peuvent résulter directement du costume comme un casque, un gambison ou une armure réduisant très fortement la dangerosité de certaines armes.

Regardons ensuite ce qui peut causer ces blessures et tout d'abord les armes. Une première précision, évidente normalement mais toujours bonne à rappeler : les armes pointues et/ou aiguisées sont à bannir. Même dans une recherche de réalisme elles sont bien trop dangereuses pour pouvoir envisager d'en utiliser dans une escrime chorégraphiée. En escrime de spectacle on n'utilise que des armes à la pointe neutralisée et au tranchant émoussé, c'est un peu le minimum syndical de la sécurité.

Il n'en reste pas moins qu'un estoc porté trop violemment peut malgré tout transpercer la chair (faites l'essai sur un carton avec votre rapière) ou, tout au moins faire très mal voire causer une hémorragie interne. Au visage le moindre coup d'estoc peut défigurer ou atteindre l’œil et affecter la vision définitivement ou au moins temporairement (en fait un globe oculaire c'est assez solide). Dans la même idée, les coups de taille portés avec une lame un peu lourde (du style sabre ou épée médiévale) peuvent potentiellement provoquer traumatismes et fractures et, le plus souvent, des hématomes.

Il est possible là encore de réduire les risques en utilisant des armes moins dangereuses comme des armes en bois léger (cannes ou bâtons) voire des armes en mousse (armes de GN). On perd en crédibilité du combat (sauf si on simule un entraînement) mais on diminue les risques. C'est pourquoi on fait très souvent commencer les débutants avec des cannes pour leur apprendre les gestes. Les cannes ont l'avantage sur les armes en mousse de faire quand même un peu mal quand on se prend un coup et donc de forcer celui qui tient la canne à apprendre à retenir ses coups contrairement à l'arme en mousse que l'on pense totalement inoffensive. Cependant, dans le cas d'une initiation ponctuelle l'arme en mousse est à considérer : plus visuelle et moins dangereuse elle a son intérêt, surtout si vous n'êtes pas certain du niveau d'alcoolémie de vos participants (c'est du vécu) !

Mais en fait, tout de dépend d'abord de la violence de ces coups et, avec des armes émoussées seuls les coups vraiment appuyés sont dangereux à l'exception du visage. Or il est rare que l'on reçoive des coups violents car la principale sécurité est en fait dans la compétence des deux partenaires (comme dans la majorité des sports où l'on cherche le spectacle en fait).

Même lorsque l'on oublie sa parade ou que son partenaire se trompe ou maîtrise mal son attaque, les coups doivent normalement être arrêtés et cela dépend de la maîtrise des escrimeurs.

Affrontement à la Canne dans le traité de Leboucher Théorie pour apprendre á tirer la canne en vingt-cinq leçons - 1843

La maîtrise des combattants : Le facteur essentiel

Quand j'ai commencé on m'a bien recommandé de ne pas être en garde la pointe vers l'adversaire, de faire de grands armés bien visibles, de pistonner avant d'estoquer, de faire un moulinet avant d'attaquer à la tête, d'estoquer hors distance et de ne pas estoquer à la tête. Aujourd'hui, en dehors de l'estoc à la tête auquel je ne me risque pas, je ne fais plus rien de tout cela (bon, la distance de l'estoc est une chose un peu plus complexe). Pourquoi ? Tout simplement parce que j'ai beaucoup plus d'expérience qu'à mes débuts et que je maîtrise mon arme, mes distances et mon escrime. Je sais donc m'arrêter lorsque mon partenaire n'a pas paré, baisser ma pointe si je le vois tomber sur moi en trébuchant voire parer ses coups même lorsque ceux-ci n'étaient pas prévus. Entre deux partenaires expérimentés nous savons même gérer des contre-attaques (ce que je ne me risque pas avec des débutants). Tout cela se résume à un mot : l'expérience.

Notons que cette notion est tout à fait présente dans les instructions de progression données par la FFE. On peut critiquer celles-ci à la marge (notamment pour les coups de taille hors distance qui peuvent être dangereux pour le nez ou le visage si la distance est mal évaluée par le débutant alors qu'autrement il aurait frapper du fort une partie moins fragile) mais on doit reconnaître que la notion de sécurité qui diminue avec la progression des bretteurs est à la base d'un tableau des mouvements autorisés selon les âges et les niveaux.

Une démonstration de BMX, une discipline spectaculaire où on doit gérer des acrobaties dangereuses

En fait comme je le dis c’est une notion présente dans tous les sports spectaculaires. Vous ne gagnerez pas une compétition de BMX sans des sauts acrobatiques dangereux, mais tout comme nos armes neutralisées, vous porterez tout de même un casque et des protections pour minimiser les conséquences des échecs. De même, dans le patinage artistique auquel on compare souvent l'escrime de spectacle, vous devrez effectuer des figures techniques et dangereuses si vous voulez impressionner le public. Vous les exécuterez le plus souvent en toute sécurité parce que vous avez des années d'entraînement derrière vous et que vous les avez répétées scrupuleusement. Il en va de même pour notre discipline : plus l'on a d'expérience, plus on peut tenter de choses considérées comme dangereuses pour des gens moins expérimentés.

La sécurité est donc liée intrinsèquement à la compétence des escrimeurs de spectacle et si on doit la juger c'est au regard de la maîtrise des geste qu'on doit le faire. Ainsi crocheter une arme ou utiliser une arme du type bâton ou lance sans protections des mains autres qu'un gant peut être dangereux face à un adversaire ne maîtrisant pas bien ses coups, ça ne doit pas l'être si il ou elle est sûr de ses gestes. C’est pourquoi je ne fais plus tout les petits gestes de sécurité que j'ai appris au début, parce que je sais arrêter mon coup si mon partenaire ne m'a pas vu, encore plus quand il ou elle est expérimenté et saura parer même une attaque imprévue. En fait j'ose dire qu'avec des combattants expérimentés tout est possible, y compris les estocs à la tête ou les coups avec une arme dont on ne maîtrise pas l'inertie. Il faut que le spectacle en vaille la peine et le justifie (comme un mousquetaire du Roi affrontant un ennemi en armure, l'estoc au visage est normalement l'attaque la plus logique) mais entre gens très expérimentés cela reste possible. Cependant, au vu des risques je comprends que l'on interdise le plus souvent l'estoc au visage afin d'éviter de se mettre en danger inutilement.

Pour reproduire cette gravure en sécurité vous aurez probablement besoin de pas mal gens expérimentés.
L'affliction des paysans Peeter Baltens, after Pieter Bruegel (I), 1540 - 1584
Dans les collections du Rijksmuseum d'Amsterdam

En complément : le mot du Baron.

Bonjour à tous, ici le Baron de Sigognac pour vous desservir.

Je tenais à terminer notre développement, en surface tant le sujet est vaste, avec une ou deux réflexions, ressentis et précisions vis à vis de celui ci.

Quelques soient notre manière de concevoir l'escrime de scène, son pendant compétitif, l'escrime artistique, évolue dans son propre paradigme. Cela avantage certains styles et pratiques, mais, le cadre étant connu, chacun peut s'y préparer. Or, devant la diversité des positions que notre discipline peut engendrer, notamment sur la sécurité, il convient que ce cadre soient le plus rassembleur possible.

Ainsi, pour prendre un exemple qui fera peu débat, je le crois, l'interdiction des pointes aux visages rentrent dans cette catégorie. Dans un cadre de spectacle, avec des experts, des professionnels, il ne serait pas choquant que son usage soit jugé suffisamment sécurisé, dans certains cas et avec les bonnes personnes. Notons cependant que cela fait beaucoup de conditions pour un gain scénique à déterminer au cas par cas. Gain d'autant plus discutable que la cible constitue une réelle prise de risque aux conséquences graves. De quoi inciter, même à un très haut niveau, à s'en passer. Toutefois, son usage, même à la marge, existe et devant les enjeux d'une compétition, certains pourraient vouloir se démarquer avec. Ce qui, bien fait, et dans un monde où cela serait considéré comme acceptable en compétition, aiderait à démontrer ses capacités techniques.

Dès lors, son interdiction plaide pour une adhésion du plus grand nombre en évitant qu'une telle distinction puisse être faite. La conséquence directe est ainsi, d'éviter que des personnes incapables de mettre en œuvre ces gestes, en sécurité, soient incitée à le faire. Devant les conséquences possibles d'un accident de ce type, on comprend aisément les organisateurs. Cependant, cela implique aussi que la sécurité prônée en compétition n'est pas la sécurité en elle même. Faire un geste interdit lors d'un tournoi, ne fait pas de vous un fou dangereux. Tout dépend de vos capacités et des mesures que vous prenez à cette effet. Les tournois posent un seuil tolérable, pour assurer la sécurité de tous, mais en dehors vous pouvez être amené à dépasser ces cadres. Votre connaissance des interdits lors des compétitions et, leurs évolutions au fil du temps, représentera alors un excellent point de repère pour vous interroger sur le bien fondé de vos prises de risque.

Hé non ! Je ne vois pas comment vous pourriez justifier l'usage d'armes aiguisées. Ne me faites pas dire ce que je n'ai pas dit. Soyez conscient des risques que vous prenez dès la tenue de votre arme et si vous ne sentez pas une action, ne la faites pas ou apprenez à votre rythme à l’exécuter correctement.

Ceci étant dit n'oubliez pas qu'évoluer, progresser c'est aussi savoir quand prendre davantage de risque, au risque de stagner. La sécurité ne doit pas devenir un concept qui vous freine, mais bien un guide, liée à une ou des méthodes et leurs principes pour vous accompagner dans vos progrès. Le tout en préservant votre intégrité et celles de vos camarades.

Vouloir tout de suite faire des contre attaques à pleine vitesse n'a guère de sens, mais rester des années à ne faire que des offensives simples téléphonées l'est tout autant.

A nous de trouver en chaque instant le bon équilibre. Et c'est peut être ça qui demeure le plus intéressant.

Voilà c'était tout pour moi. Il ne me reste plus qu'à vous souhaiter un bon été et de vous dire à la prochaine. Capitaine à toi !

Pointe au visage + contre-attaque à pleine vitesse non maîtrisée = gros bobos
Nicoletto Giganti Scola, overo teatro - 1606

***

Que dire pour résumer notre propos sinon que notre discipline comporte, par sa nature même, certains dangers que l'on peut minimiser un peu par l'équipement ? Cependant la principale sécurité restera toujours les compétences des pratiquants et leur habitude d'arrêter un coup pour qu'il ne touche pas le partenaire. C'est à cette aune qu'il fait évaluer le degré de risque que l'on s'autorise et donc les gestes que l'on accepte ou non de mettre dans une chorégraphie. Il serait donc vain de vouloir édicter des règles absolues en matière de sécurité puisque celles-ci dépendent directement de qui est sur scène !