vendredi 12 février 2021

La leçon d'escrime mise en scène

Le nouveau règlement des championnats du Monde d'escrime artistique comprend désormais une épreuve, qui a surpris tout le monde et qui s'intitule "leçon d'escrime". Elle est surprenante dans le sens qu'il s'agit de la mise en scène d'une leçon d'escrime sportive au fleuret, à l'épée ou au sabre, du moins c'est l'aspect technique qui est noté. Je n'émettrai pas ici de jugement sur cette nouveauté (même si je suis un peu sceptique avouons-le) car ce n'est pas de cela que nous allons parler ici. Une analyse de cette nouvelle règlementation et de ses conséquences est en cours et le Baron planche actuellement dessus, cela sera l'objet d'un prochain article. 

Leçon d'escrime donnée par Silvio Forel à Arya Stark dans la première saison de Game of Thrones (2011)
Mais en attendant cette nouveauté m'a fait repensé à toutes ces scènes de leçon d'escrime que l'on voit dans les films ou les pièces de théâtre et c'était donc l'occasion de parler de la mise en scène d'une leçon d'escrime sur une scène ou un plateau. C'est en effet une situation d'escrime que l'on rencontre dans de nombreux films de qualités diverses et dans quelques pièces de théâtre dont Le bourgeois gentilhomme de Molière n'est pas la moins célèbre. Et comme nous ne sommes pas à une épreuve de leçon aux championnats de Monde on ne se privera pas de parler du scénario, des personnages, bref, de tout ce qui fait l'escrime de scène !

 

Le Bourgeois Gentilhomme nous présente une leçon d'escrime comique. Ici la version du téléfilm de Pierre Badel réalisé en 1968 pour l'ORTF (la leçon est à 27:44)

Un maître, un élève, des archétypes

Parlons d'abord des personnages : il y a forcément un Maître, presque toujours nommé "Maître d'armes" et un élève et souvent leurs caractères et attitudes sont nous dirons quelque peu... convenues !

Le Maître est presque toujours très talentueux et exigeant envers ses élèves, quand il n'est pas complètement caractériel ! Il rabroue facilement son élève, proteste que ce n'est pas ainsi que l'on fait et que celui-ci ne sait rien. Quelle que soit la durée de la leçon, que ce soit quelques minutes dans un film ou un pièce (ou durant plusieurs épisodes de série ou presque toute la durée d'un film il y a presque toujours un moment où il s'emporte contre son élève pour blesser celui-ci dans son orgueil et le faire réagir.

Notons toutefois des variations dans le style des Maîtres d'Armes. Le classique est caractériel et cabotineur, directement issu du Bourgeois Gentilhomme qui a probablement inspiré cet archétype. Un archérype en fait assez proche de celui du Matamore de la Comedia dell'Arte. Ici le Maître d'Armes est clairement imbu de lui-même, sûr de lui et autoritaire. D'autres variantes peuvent le présenter comme plus fantasque et moins autoritaire comme Silvio Forel dans la série Game of Thrones. On peut également en voir, plus rarement, de plus calmes comme dans l'excellent film The Fencer. L'exemple le plus original est peut-être la Maître d'Armes glamour et sexy incarnée par Madonna dans le James Bond Meurs un autre jour, même si elle ne donne pas de leçon...

La Maître d'Armes Verity jouée par Madonna dans le James Bond Meurs un autre jour (2002)

Une chose semble certaine cependant : la compétence du Maître. Même dans un registre comique je n'ai pas souvenir d'en avoir vu de présentés comme incompétents, une chose semble certaine : il connaît son escrime. De même sa pédagogie, même si elle peut sembler étrange (dans un registre hors de l'escrime mention spéciale à M. Miyagi dans le film Karate Kid), finit toujours par fonctionner. À la fin de la leçon ou des leçons si il s'agit d'une série ou d'un film, l'élève a progressé et devient doué. Ce n'est cependant pas toujours vrai dans un registre comique où la nullité en tout de l'élève peut être le ressort comique de la pièce ou du film et où, du coup, il n'arrivera à rien. Ajoutons également que le Maître d'Armes est souvent plus qu'un simple professeur d'escrime, dans beaucoup d’œuvres il est également un mentor auquel l'élève se réfère. Il lui dispense un enseignement moral ou est l'adulte de confiance en dehors des parents auquel on peut se confier. Il va facilement jouer, pour les personnages masculins, le même rôle que la nurse pour les riches héritières.

Leçon d'escrime dans la pièce Cendrillon, aux origines du syndrome du cucendron écrite et mise en scène par Medhi Héraut Zérigui (Compagnie du Prélude 2016).
L'élève est mis en échec par le Maître qui lui démontre son talent mais on voit aussi qu'il est un tiers de confiance.

L'élève justement est, quant à lui, en position d'apprentissage (sinon il ne serait pas élève me direz-vous). Un point commun : il s'agit presque toujours d'un jeune et le plus souvent d'un enfant ou d'un adolescent. Les adultes qui prennent des leçons d'escrime semblent une anomalie et appartiennent en général au registre comique (Molière là encore mais aussi la série Kaamelot). C'est assez logique puisque la jeunesse est l'époque de l'apprentissage et que beaucoup arrêtaient de pratiquer régulièrement l'escrime une fois leur éducation achevée (pour reprendre en hâte des leçons avant un duel). De par sa jeunesse l'élève est donc aussi plus ou moins ignorant. Il peut être totalement novice ou déjà entraîné. En ce cas il doit franchir un palier supplémentaire mais ne le sait pas encore et le Maître devra le lui faire comprendre. Cela se termine souvent par l'élève qui dépasse le Maître.

Il arrive souvent que la leçon d'escrime intervienne en début d'histoire avec un héros tout juste adulte qui alors fait jeu égal ou bat son Maître d'Armes avec, en sous-titre l'idée que ce dernier n'a plus rien à lui apprendre. Ce genre de scène permet de poser le héros comme un combattant bien entraîné et doué, et si ensuite le grand méchant tue le Maître d'Armes cela posera aussi celui-ci comme un adversaire redoutable. Ainsi l'élève définit son niveau par rapport au Maître d'Armes, il est soit moins fort soit plus fort (ou aussi fort) que ce dernier ce qui donne donc le message au spectateur.

Quant au caractère de l'élève il peut varier : être très appliqué ou au contraire rebelle ou rétif à la méthode du Maître. Très souvent, dans des univers sexistes (et le nôtre l'est encore très largement), les jeunes filles sont souvent volontaires et opiniâtres, opiniâtreté qui finit par convaincre le Maître de revenir sur son refus de les entraîner. Dans tous les cas il devra évoluer un peu, l'enseignement des armes se doublant le plus souvent d'un perfectionnement moral et d'une progression vers l'âge adulte. C'est parfois encore plus fort quand l'élève est l'enfant du Maître qui finit par accepter ou recueillir l'héritage familial.

La leçon d'escrime dans Le Cygne (1956), avec une élève appliquée et gracieuse, ici la leçon d'escrime sert surtout à poser les personnages et la relation qui se noue entre eux.

Des armes mouchetées et un déroulement prévisible

Tout d'abord, je ferai remarquer que ce scénario de la leçon d'escrime est en général le seul à utiliser le plus souvent (mais pas toujours) des armes d'entraînement. Sortez vos fleurets mouchetés, vos Fechtschwerten ainsi que vos épées, dussacks et dagues en bois ! Le public doit savoir que l'on est là dans un cadre courtois, un apprentissage où, en principe, nul ne doit risquer d'être blessé. Si beaucoup de films montrent des combats "amicaux" avec de vraies épées (ce qui est, dans la réalité, une chose stupide), il est extrêmement rare qu'une scène d'apprentissage de l'escrime ne se fasse pas avec des armes neutralisées voire avec des protections supplémentaires. Ces armes ont l'avantages scénaristique de pouvoir "aller à la touche" plusieurs fois de suite dans le combat puisque se faire toucher est perçu comme sans danger par le spectateur. En vérité faites quand même attention dans le cadre d'un combat chorégraphié car même en bois ou mouchetées elles peuvent faire mal !

Gladiateurs à l'entraînement avec des armes en bois dans la série Spartacus (2010-2013)

J'en ai déjà largement dit sur le déroulement des scènes de leçon d'escrime en présentant les personnages. Le plus souvent l'élève arrive, croyant savoir ou ne sachant pas et il échoue. Le Maître fait alors souvent une démonstration pour montrer que c'est facile (pour lui) puis il parvient, par divers procédés astucieux à faire comprendre à l'élève ce qu'il faut faire, avec parfois des échecs de la part de celui-ci quand, enfin, à force de persévérance et de talent du Maître, il finit par y arriver. On retrouve très souvent une scène de découragement où l'élève veut abandonner. Il peut alors être remotivé par le Maître mais aussi, quand le Maître est présenté comme très sévère et très exigeant, par d'autres personnages comme ses camarades d'apprentissage mais aussi un parent, un mentor ou la personne qu'il ou elle aime.

 
Le Masque de Zorro de Martin Campbell (1998) caricature un peu les astuces du Maître d'armes : grand cercle inspiré de la Verderada Destreza, entraînement athlétique etc.
 
 
Enfin il faut dire un mot de la leçon de groupe. On a souvent deux cas de figures : soit un Maître d'armes entraîne un groupe de jeunes à l'épée, soit un guerrier expérimenté forme à la hâte des paysans ou tout autre groupe de non-combattants en vue d'une bataille prochaine. La première n'est qu'une variante de ce que l'on vient de dire avec plus de possibilité. Ainsi les élèves peuvent échouer chacun leur tour et essayer les uns après les autres pour réussir. On peut également le faire s'affronter les uns les autres pour dégager le plus fort qui prendra ensuite une leçon d'humilité avec le Maître car il a encore beaucoup à apprendre. Ils peuvent évidemment se soutenir les uns les autres ou être au contraire en rivalité... Vous pouvez reprendre tout ce que je viens de dire et le développer avec plusieurs personnages aux caractères différents. Pour ce qui est de l'entraînement des paysans c'est souvent assez sommaire avec toujours la scène de l'échec et de l'explication astucieuse ou encore celle du découragement. Ce genre de scène s'inscrira en général dans une œuvre plus longue.
 
 
L'entraînement des jeunes recrues de la Garde de Nuit dans la série Game of Thrones (2011)

***

J'espère avoir ci relevé les éléments clefs qui pourront voue permettre de monter sur une scène (ou un plateau) ce type de représentation d'escrime très particulière qu'est une leçon d'escrime. La leçon d'escrime s'inscrit souvent dans une histoire plus large, soit une histoire d'apprentissage, soit elle est là pour poser un personnage : un ou une aristocrate qui reçoit son éducation, un jeune héros qui veut progresser etc. Elle est souvent l'occasion d'éléments comiques ou du moins légers en s'amusant des erreurs de l'élève ou du caractère fantasque du Maître d'Armes. Prise isolément il faut qu'elle réussisse à raconter quand même une histoire tout en respectant un certain de nombre de codes convenus auquel s'attend le public (même si on peut toujours le surprendre en enfreignant une ou deux règles mais pas plus). Le choix du comique n'est donc vraiment pas à négliger, sinon il faudra réussir à faire progresser l'élève sur une scènette de quelques minutes ce qui n'est pas gagné. Rajouter des personnages peut probablement faciliter les choses mais tout cela sera à voir par vous ! À vos fleurets donc !

 
Nous terminerons sur cette bande-annonce du film The Fencer (2015) est l'une de ces récits centrés autour de l'apprentissage. L'originalité est peut-être qu'il prend le point de vue du Maître d'Armes et non des élèves.

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